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Bruxelles. La Monnaie. 12-X-2019. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Giovanna d’arco, opéra en trois actes et un prologue, sur un livret de Temistocle Solera, d’après die Jungfrau von Orleans de Friedrich Schiller, donné en version de concert. Avec : Salomé Jicia, soprano (Giovanna d’Arco) ; Francesco Meli, ténor (Carlo VII) ; Dimitri Platanias, baryton (Giacomo) ; Carlo Cigni, basse (Talbot) ; Maxime Melnik, ténor (Delil). Chœur symphonique de la Monnaie (chef de chœur : Martino Faggiani). Orchestre symphonique de la Monnaie, direction musicale : Giuliano Carella
Avec la rare Giovanna d'Arco de Verdi donnée en version de concert (et en création bruxelloise), la Monnaie inaugure son diptyque automnal consacré à la Pucelle d'Orléans : il sera complété le mois prochain par la Jeanne au bûcher d'Honegger dans la mise en scène de Romeo Castellucci. C'est l'occasion de (re)découvrir un opéra un peu boudé, une oeuvre rare, inégale mais attachante.
Giuseppe Verdi considérait, à l'époque de sa composition, Giovanna d'Arco, créé à la Scala de Milan en 1845, comme « le meilleur de (ses sept) opéras » alors achevés, alors que Nabucco et Ernani avaient connu, à juste titre, de bien plus francs succès. L'œuvre, faire-valoir de valeureuses sopranos, ne s'est jamais imposée au répertoire, et souffre du livret assez médiocre de Temistocle Solera, infidèle tant à la vérité historique (Jeanne est mortellement blessée au combat sous les coups ennemis) qu'à la trame politique et dramatique du drame original de Schiller Die Jungfrau von Orleans. Sans doute Verdi, dans une Italie alors inexistante sous le joug de l'occupation, a-t-il été interpellé par l'incarnation nationale et héroïque de Giovanna, trahie par un père la croyant possédée et la livrant – un moment – aux Anglais !
Le compositeur apparaît à la croisée des chemins stylistiques et parfois en recul face à ses récents succès. Il reprend certaines ficelles et formules de l'opéra romantique parisien à grand spectacle (Halévy, Meyerbeer) tout en osant de nouveaux effets expressifs – par exemple l'opposition manichéenne du diatonique et du chromatique dans l'affrontement des forces du Bien et du Mal – ou orchestraux, tantôt abasourdissants (les fortissimi de l'ouverture), tantôt bien plus délicats : citons outre la vivacité rythmique, une mise en valeur de la petite harmonie ou une grande variété des effets de cordes. Mais surtout la partition est conçue sur mesure pour le trio de solistes, créateurs de l'œuvre, hors normes, dont la fameuse Erminia Frezzolini dans le rôle-titre, et réserve de splendides surprises comme ce duo Giovanna-Carlo VII, final du premier acte, quasi prototype du genre chez Verdi.
La Monnaie choisit de faire l'impasse sur toute improbable mise en scène d'un opéra à l'argument dramatique aussi fruste, et se contente à juste titre d'une version de concert de l'œuvre. Salome Jicia, applaudie en 2018 à Liège dans la Donna del lago de Rossini, incarne une parfaite Giovanna d'Arco, certes vocalement sculpturale, mais nimbant son personnage d'une kyrielle de nuances psychologiques allant de la vertu pieuse à l'esprit chevaleresque le plus romantisé. Le timbre est homogène mais subtilement corsé, magnifié par une rutilante puissance vocale doublée d'une parfaite maîtrise du vibrato.
Francesco Meli en Carlo VII nous a moins convaincu. Certes dans les mezza voce, la voix presque melliflue est proche de l'idéal, mais le ténor solidement campé sur le proscénium, ne s'embarrasse guère de nuances face aux déchaînements orchestraux, et force quelque peu le trait dans les forte : l'aigu se gerce sensiblement jusqu'à une certaine dureté un peu rédhibitoire dès le prologue.
Dimitri Platanias incarne avec un bel éventail de couleurs, en Giacomo, un père partagé entre craintes de possession diabolique et contrition face au funeste destin filial. Baryton verdien absolu et typique, il manque juste d'un soupçon d'agilité dans les vocalises ponctuant sa scène et romance « Speme , al vecchio era una figlia », sommet d'intensité du deuxième acte. Dans leurs brèves interventions, Carlo Cigni en Talbot et le tout jeune Maxime Melnik en Delil se révèlent irréprochables.
Les chœurs et orchestre de la Monnaie, dans un excellent soir, sont très habilement conduits par un Giuliano Carella très efficace, concerné et attentif tant aux détails insignes d'une partition par moments très ouvragée qu'au rendu sonore très théâtral des tutti les plus coruscants.
En conclusion, saluons donc cette rare occasion d'entendre, dans d'excellentes conditions de concert, un opéra de la jeunesse verdienne, peu fréquenté par les maisons d'opéra et, ce soir, vaillamment défendu.
Crédits photographiques : Salome Jicia © DR – La Monnaie ; Giuliano Carella © la Monnaie
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Bruxelles. La Monnaie. 12-X-2019. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Giovanna d’arco, opéra en trois actes et un prologue, sur un livret de Temistocle Solera, d’après die Jungfrau von Orleans de Friedrich Schiller, donné en version de concert. Avec : Salomé Jicia, soprano (Giovanna d’Arco) ; Francesco Meli, ténor (Carlo VII) ; Dimitri Platanias, baryton (Giacomo) ; Carlo Cigni, basse (Talbot) ; Maxime Melnik, ténor (Delil). Chœur symphonique de la Monnaie (chef de chœur : Martino Faggiani). Orchestre symphonique de la Monnaie, direction musicale : Giuliano Carella