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Paris. Opéra Comique. 27-IX-2019. Francesco Filidei (né en 1973) : L’Inondation (2019). Livret et mise en scène : Joël Pommerat. Avec : Chloé Briot, La Femme ; Norma Nahoun, La Jeune Fille ; Yaël Raanan-Vandor, La Voisine ; Cypriane Gardin (comédienne), La Jeune Fille ; Boris Grappe, L’Homme ; Enguerrand de Hys, Le Voisin ; Guilhem Terrail, La Narrateur/Le Policier ; Vincent Le Texier, Le Médecin. Orchestre philharmonique de Radio France, direction : Emilio Pomàrico
Lancé dans une politique de soutien à la création, l'Opéra Comique a commandé au metteur en scène Joël Pommerat et au compositeur Francesco Filidei cet opéra qui s'inspire d'une nouvelle éponyme d'Evgueni Zamiatine (1929). Quand une écriture contemporaine épouse un texte à l'électricité dramatique…
Inventer et présenter un opéra aujourd'hui ne va pas de soi. Pourquoi le faire et comment ? Toujours est-il que L'Inondation est le résultat d'une opération à trois, le commanditaire – l'Opéra Comique – imposant la relative petitesse de sa salle de spectacle et de sa fosse d'orchestre pour créer une atmosphère intime, celle d'un drame familial.
L'Inondation est à l'origine une courte fiction d'un auteur reconnu. Dans une langue d'une extrême simplicité mais porteuse d'une incroyable force évocatrice, Zamiatine donne vie à tout un monde fragile où les êtres vivotent au seuil de l'indigence et se soutiennent parfois entre eux. Un monde soumis à des forces capricieuses, où la catastrophe semble toujours planer au-dessus de la tête de ces petites gens. Et l'inondation est à la fois celle de la Neva et celle de la folie d'une femme meurtrière. Au départ, un couple saint-pétersbourgeois, encore assez jeune, qui se délite parce qu'il ne peut avoir d'enfant. Un voisin vient à mourir et le couple décide d'adopter l'orpheline. Rapidement, les relations entre le mari et l'adolescente deviennent intimes, et l'épouse, rongée par la douleur et la jalousie, finit par assassiner sa rivale (à coups de hache, comme Raskolnikov). Cette dernière ayant, aux yeux de tous, simplement disparu, le couple renoue et un enfant naît enfin, mais la meurtrière, hantée par son crime, sombre dans la folie.
Assez fidèle au texte, Joël Pommerat gomme quand même toute référence historique pour transporter le public dans l'univers vintage d'un décor Ikea, avec, occupant toute la scène, les trois niveaux d'un immeuble en coupe face aux spectateurs. Le couple occupe le rez-de-chaussée, une famille de cinq personnes habite au-dessus, et, au deuxième, s'ouvre une sorte de galetas où vivait la Jeune Fille et où elle retrouve de temps à autre des garçons de son âge. Ainsi s'alignent cuisines, salons et chambres, dans un sobre ameublement fifties : autant de petites boîtes où s'affairent les uns et les autres. Ce dispositif fonctionne très bien, les différents niveaux s'allumant où disparaissant dans l'obscurité au gré des événements. Il y a dans le roman de rares dialogues, toujours très ordinaires. Cette modestie des propos se retrouve sous la plume du librettiste, mais faut-il regretter qu'une phrase toute plate soit répétée à l'infini par les chanteurs ou bien se dire que ce naturalisme est évidemment voulu et que les mots restent toujours à la surface des choses ? D'ailleurs, Francesco Filidei a tout à fait raison de rappeler le caractère debussyste du chant qui s'impose d'emblée, aussi économe que les paroles proférées.
Au compositeur revenait le rôle d'orchestrer le temps qui passe et les atmosphères successives. La durée impalpable est symbolisée par les gaines électriques agitées par les percussionnistes, qui sifflent à intervalles réguliers, tandis que « bruitent » les instruments chers à Filidei parcourant tout l'orchestre (flûtes à coulisse, appeaux d'oiseaux, boîtes meuh, sirènes à bouche, ressorts de suspension, papier bulle, etc.) et feule, hoquette ou explose un orchestre très expressif et à la sonorité particulièrement somptueuse. C'est tout un monde organique qui fait vivre les éléments naturels – vent, fleuve, animaux… –, soulignant ou plutôt incarnant la montée irrépressible des eaux et des ressorts de la tragédie. Cela donne une progression par tableautins et demande une précision extrême et un grand sens des nuances, parfaitement rendus sous la baguette d'Emilio Pomàrico, qui assure aussi le lien avec les chanteurs, dont il faut souligner l'égale qualité dans ce qui finalement s'apparente à du théâtre chanté. Beaucoup de trouvailles et donc de surprises dans cette composition raffinée, comme, à la toute fin, le débit saccadé du médecin (Vincent Le Texier) doublé à la clarinette. La délicatesse est encore manifeste dans les magnifiques inflexions de la voix de contre-ténor de Guilhem Terrail, tour à tour narrateur et enquêteur de police.
L'Inondation est donc une entreprise composite à quatre mains (écrivain, commanditaire, compositeur et librettiste/metteur en scène), une création aboutie dont le mérite est sans doute d'essuyer les plâtres d'un genre qui se cherche encore, tendant vers une « œuvre d'art commune », c'est-à-dire une « polyphonie d'éléments relativement autonomes », comme l'écrivait Bernard Dort en 1987 déjà, dans un extrait fort opportunément cité dans le très beau et très riche programme.
Applaudissements nourris et particulièrement chaleureux pour saluer les rôles principaux : Chloé Briot dans celui de la Femme, Boris Grappe de l'Homme, Enguerrand de Hys du Voisin, Guilhem Terrail du narrateur et policier, sans oublier Francesco Filidei, l'Orchestre philharmonique de Radio France, ni Emilio Pomàrico.
Crédits photographiques : © Stefan Brion
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Paris. Opéra Comique. 27-IX-2019. Francesco Filidei (né en 1973) : L’Inondation (2019). Livret et mise en scène : Joël Pommerat. Avec : Chloé Briot, La Femme ; Norma Nahoun, La Jeune Fille ; Yaël Raanan-Vandor, La Voisine ; Cypriane Gardin (comédienne), La Jeune Fille ; Boris Grappe, L’Homme ; Enguerrand de Hys, Le Voisin ; Guilhem Terrail, La Narrateur/Le Policier ; Vincent Le Texier, Le Médecin. Orchestre philharmonique de Radio France, direction : Emilio Pomàrico