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À Lucerne, les Mozart du survolté Teodor Currentzis

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Lucerne. KKL Luzern, Konzertsaal.
12-09-2019. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Le Nozze di Figaro », opéra bouffe en quatre actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte d’après la pièce « Le mariage de Figaro » de Beaumarchais. (Version concertante mise en espace). Avec Andrei Bondarenko, Le comte Almaviva ; Ekaterina Scherbachenko, La Comtesse Almaviva ; Alex Esposito, Figaro ; Olga Kulchynska, Susanna ; Paula Murrihy, Cherubino ; Daria Telyatnokova, Marcellina ; Evgeny Stravinsky, Bartolo ; Kristin Adam, Don Basilio ; Danis Khuzin, Don Curzio ; Fanie Antonelou, Barbarina ; Garry Agadzhanyan, Antonio
14-09-2019. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Don Giovanni », drame giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte. (Version concertante mise en espace). Avec Dimitris Tiliakos, Don Giovanni ; Robert Lloyd, Il Commendatore ; Nadezhda Pavlova, Donna Anna ; Kenneth Tarver, Don Ottavio ; Federica Lombardi, Donna Elvira ; Kyle Ketelsen, Leporello ; Ruben Drole, Masetto ; Christina Gansch, Zerlina
15-09-2019. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Cosi fan tutte », dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte. (Version concertante mise en espace). Avec Nadezhda Pavlova, Fiordiligi ; Paula Murrihy, Dorabella ; Konstantin Suchkov, Guglielmo ; Mingjie Lei, Ferrando ; Cecilia Bartoli, Despina ; Konstantin Wolff, Don Alfonso.

Chœur et orchestre musicAeterna. Direction musicale : Teodor Currentzis

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En clôture du Festival Lucerne, le spectacle n'était pas forcément où on l'attendait : le fantasque chef avec son orchestre et leur présentation marathonienne (trois opéras et un récital en quatre jours !) du cycle de Mozart et Da Ponte monopolisant la scène au détriment de la plupart des chanteurs.

LUCERNE FESTIVAL Sommer-Festival 2019
Le Nozze di Figaro

Tout a commencé avec les Nozze di Figaro. L'orchestre entre, s'accorde, et les musiciens, debout attendent le chef. Situation normale, sauf que l'arrivée du chef se prolonge plus que de coutume. Le public s'est tu depuis belle lurette que… rien. Le chef n'est toujours pas là. Quand l'angoisse d'une annonce de défection étreint le spectateur, lorsqu'il commence à dévisager son voisin dans l'espoir d'y lire une information qu'il n'aurait pas eue, l'inquiétude le gagne. Une porte s'ouvre et…se referme. Toujours rien. Encore une bonne vingtaine de secondes, quand enfin, s'avance à grands pas vers le podium sous les bravos polis du public. Lorgnant rapidement l'audience, après un bref hochement de tête, et alors que les applaudissements de bienvenue crépitent encore, il lance l'ouverture. A partir de cet instant, on assiste, tétanisé, à un invraisemblable numéro de direction d'orchestre. Un chef aux abois à chaque note, à chaque phrase musicale. Comme dévoré par un démon, il danse, saute, s'agite, frappe du talon, secoue ses poings, jette des regards tous azimuts, tord le buste, roule des épaules, s'abaisse, se relève, saute à nouveau, bat la mesure du pied. Désarticulé, les bras s'envolent, les mains tremblent, la tête se secoue, les pieds piaffent. De l'orchestre, on ne voit rien, les gesticulations du chef captent tous les regards.

Si les musiciens de l'ensemble se plient à ce qui semble être leur quotidien, on n'est pas au bout des surprises quand le chef descend de son estrade, se positionne sous le nez des solistes et leur mime les mots du texte. Avec force gestes, dessinant des arabesques de ses mains et de ses bras, joue ses intentions musicales devant les interprètes. Un manège annihilant toutes velléités pour les solistes d'émettre une quelconque note personnelle ou émotionnelle. Teodor Currentzis dirige tout, mène tout, se fait tout puissant.

Ainsi donc, dans cette excitation, les chanteurs font de leur mieux pour répondre aux désirs impérieux du chef. De scènes en scènes, on s'achemine vers une prestation dont il ne ressort pas grand-chose Rien de nouveau, rien de senti. Sauf peut-être le baryton lombard (Figaro) tentant de s'extirper des griffes du chef en malheureusement surjouant son personnage. A ses côtés, le talent de la soprano (Susanna) échappe quelque peu aux injonctions du chef et, avec une voix bien conduite, fraîche et fruitée, compose un personnage enjoué. Si la soprano Daria Telyatnokova (Marcellina) ne se libère des contraintes de Currentzis que tardivement, elle offre une interprétation de « Il capro e la capretta » totalement débridée amenant un moment de bonheur artistique bienvenu. Les autres protagonistes révèlent un (Il conte Almaviva) sans intérêt, une (La Comtesse Almaviva) sans noblesse et une Paula Murrihy (Cherubino) sans chair.

Après ces trois heures de tension musicale agrémentée d'exaspérante pantomime, Teodor Currentzis sort de scène sans un geste et ce ne sera qu'ensuite du rappel d'un public étonnamment délirant qu'il saluera. Étrange comportement.

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Don Giovanni

Le surlendemain de ces nerveuses Nozze du Figaro, Teodor Currentzis remonte sur le podium pour Don Giovanni. Dès l'ouverture, on espère le chef moins invasif, moins agité que les jours précédents. Déjà, comme un baromètre de ce que sera le concert du soir, on scrute si les tics qui l'accompagnaient lors des jours précédents se sont estompés, voire ont disparu. On se rassure en le voyant chaussé de chaussures vernies, gages de « talonnades » plus discrètes qu'avec ses santiags.

Comme lors du concert avec Cecilia Bartoli, Currentzis dirige l'ouverture de Don Giovanni en y dessinant la noirceur du drame qui va se dérouler. Par la suite, le chef, toujours dans la démonstration, mobilise l'attention du spectateur rendant quasi impossible l'écoute fine de la musique. Cependant, au fruit d'une grande concentration, on note que lors de romances comme « La, ci darem la mano » (par ailleurs fort bien chantée par (Don Giovanni) et Christina Gansch (Zerlina), il oblige l'orchestre à ralentir le rythme en même temps que, petit à petit, il lui commande de diminuer son volume sonore jusqu'au plus ténu pianissimo. Ainsi, à la séquence suivante, pourra-t-il emmener son ensemble dans un tutti exagérément contrasté et tonitruant. Érigées en système, ces séquences alternées ne sont qu'un gadget qui, sans offrir d'autre qu'un travail d'orchestre, effacent jusqu'à l'émotion que le soliste pourrait exprimer.

À près de quatre-vingts ans, la basse (Le Commandeur) reste, et de manière touchante, un chanteur d'une grande noblesse expressive. A ses côtés, on apprécie la belle assise vocale de la soprano autrichienne Christina Gansch (Zerlina) ainsi que l'étonnante et très vivante prestation de (Masetto), parfait dans son personnage. Si on aime la très grande classe du ténor américain (Don Ottavio), on regrette que, malgré un instrument vocal de qualité, la soprano italienne (Donna Elvira) ne donne pas l'impression de dominer son personnage. Quant à la soprano russe (Donna Anna), sa voix métallique détonne dans Mozart. Cependant, elle profite de sa puissance vocale et de son agilité pour gagner les suffrages du public qui lui réserve un triomphe malgré les protestations de quelques spectateurs désapprouvant manifestement le manque de style de son chant. Si, à sa décharge, le tempo beaucoup trop rapide imposé dans son « Finc'han dal vino » le met en difficulté, (Don Giovanni) manque du charisme nécessaire au personnage mythique de Don Giovanni. De son côté, le baryton américain (Leporello) convainc aussi bien vocalement que théâtralement.

Dès l'accord de fin, Teodor Currentzis quitte son estrade et se retire rapidement (bien entendu sans saluer) vers les coulisses. Et tant pis pour le final de l'opéra. Mozart attendra. Quand cessent les rappels, les applaudissements, le chef emmène son orchestre et les solistes, comme s'il s'agissait d'un bis, dans la dernière scène de ce Don Giovanni !

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Così fan tutte

On se dit que Mozart sauvera la mise avec sa musique quand bien même Teodor Currentzis veut lui voler la vedette. Au quatrième jour de ce marathon mozartien, on peine à supporter la mainmise du chef sur l'expression artistique des solistes. Dès l'ouverture, on retrouve un Currentzis sautant, excité, continuellement dans l'outrance du geste comme dans la musique qu'il induit. Plutôt qu'à un concert, on a l'impression d'assister à une répétition d'orchestre où le chef tente de mettre au point les derniers détails du prochain concert.

Une mise en espace comique et des chanteurs habités remettent cependant l'opéra à la place qu'il doit avoir. Avec un superbe (Ferrando) délivrant un bouleversant « Un'aura amorosa » et un non moins très beau Konstantin Suchkov (Guglielmo), Mozart est bien servi. La voix, la ligne de chant, le style, tout y est avec ces deux-là. En plus, ils se révèlent bientôt d'excellents comédiens. Chez les dames, si la mezzo Paula Murrihy (Dorabella) est plus à l'aise dans ce rôle que dans celui de Cherubino qu'elle avait tenu trois jours plus tôt, la soprano (Fiordiligi) manque de sensibilité vocale et de style pour convaincre dans ce rôle.

A quoi s'attendre avec Cecilia Bartoli (Despina) qui, deux jours plus tôt, ne nous avait pas séduits ? Ouf ! Dès ses premières notes, envolées les angoisses d'une voix perdue. Bartoli est de retour. La voix, l'abattage, le style, l'humour, l'aisance, tout ce qui fait LA Bartoli revient sur le devant de la scène. Évitant le parasitage de la gestuelle du chef, (c'est à peine si elle lui lance un rapide regard pour ne pas manquer un départ), elle habite chaque instant de son rôle. Totalement retrouvée, offre un superbe « Una donna a quindici anni » après une hilarante scène du docteur.

En résumé, si l'attitude de Teodor Currentzis lors de ces concerts reste difficilement compréhensive, voir acceptable, il faut lui reconnaître le travail remarquable accompli avec son orchestre dont on ne relève aucun manquement et avec le chœur à la si impeccable diction qu'on a l'impression d'entendre un seul homme à plusieurs voix.

Crédits photographiques : Le Nozze di Figaro © LucerneFestival/Prisky Ketterer, Don Giovanni et Cosi fan Tutte © LucerneFestival/Peter Fischli

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