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Pesaro. Arena. 19-VIII-2019. Gioachino Rossini (1792-1868) : L’Equivoco stravagante, opéra bouffe en deux actes sur un livret de Gaetano Gasbarri. Edition critique de Marco Beghelli et Stefano Piana pour la Fondation Rossini/Casa Ricordi. Mise en scène : Moshe Leiser et Patrice Caurier. Décors : Christian Fenouillat. Costumes : Agostino Cavalca. Lumières : Christophe Forey. Avec : Teresa Iervolino, Ernestina ; Paolo Bordogna, Gambarotto ; Davide Luciano, Buralicchio ; Pavel Kolgatin, Ermanno ; Claudia Muschio, Rosalia ; Manuel Amati, Frontino. Gianni Fabbrini, Claveciniste continuo. Anselmo Pelliccioni, violoncelle continuo. Coro del Teatro Ventidio Basso di Ascoli Piceno (direction : Giovanni Farina) ; Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI, direction musicale : Carlo Rizzi
Fantaisie, vivacité, légèreté, Moshe Leiser et Patrice Caurier offrent avec cette nouvelle production deux heures de divertissement et de rires joyeux avec des chanteurs virtuoses et réjouissants.
Un papier peint aux immenses motifs beige et blanc tapisse intégralement la scène presque vide, sans accessoire ou meuble qui ne soit indispensable : deux chaises, un lit. Un grand tableau hyperréaliste de vaches dans une prairie orne le mur du salon, rappelant l'origine paysanne de la famille. Tous les mouvements viennent des personnages et du chœur qui, avec une gestuelle digne des Frères Jacques, mime le flux et le reflux de l'histoire portée par les vagues envoûtantes de la musique.
Nous sommes dans le salon de Gambarotto, paysan enrichi, dont la fille Ernestina, telle une précieuse de Molière, se targue d'être instruite et parle par périphrase. Le père destine comme époux à sa fille Buralicchio, homme riche mais très sot. Ermanno, lui, est pauvre, mais il aime Ernestina, et a réussi à se faire engager comme maître de philosophie. Pour éliminer son rival, Ermanno lance une rumeur extravagante selon laquelle Ernestina serait un castrat déguisé en femme. Buralicchio dépité et furieux y croit (il est stupide) et, pour se venger d'avoir été trompé, fait arrêter Ernestina comme déserteur car elle n'a évidemment pas fait son service militaire. Ermanno réussit à la faire s'évader de sa prison en la déguisant en soldat. Tout finira bien… pour les personnages, mais pas pour l'œuvre qui, créée avec succès en octobre 1811, a été interdite par les autorités napoléoniennes, pour indécence, à la troisième représentation, malgré le fait que le livret de Gaetano Gasbarri ait été accepté par plusieurs niveaux de censure.
L'un des attraits du spectacle est évidemment ce livret, feu d'artifice de jeux de mots scabreux et de double sens de nature essentiellement sexuelle, situations ambiguës, critique des classes aisées et des militaires, calembours à la limite du non-sens, blagues, allusions crues. La mise en scène de Moshe Leiser et Patrice Caurier allège tout et évite toute vulgarité. Pas un geste de trop qui alourdirait le rythme comique. Les faux nez parfaitement visibles et les gestes proches de la mécaniques des marionnettes situent d'emblée les personnages dans le monde des contes. L'œuvre reste immédiatement drôle, sans intention ironique, avec une prise de distance comparable à celle des premières bandes dessinées comme celles de Töpffer par exemple, hiératique et presque surréaliste. Les teintes pastel des costumes, semblables à celles des illustrations de vieux livres d'enfant, accentuent l'impression de décalage, du rose fuchsia de Buralichio au rose bébé de la jolie robe d'Ernestina en passant par le pistache d'Ermanno et le bordeaux éteint de Gamberotto.
Rossini a créé pour la comédie déchaînée et populaire de Gasbarri une partition toute en légèreté et élégance. Le public s'amuse des jeux de mots et du sous-texte érotique permanent mais se laisse en même temps entraîner, porter, bercer, par les inventions musicales débridées du compositeur. La mise en scène fait une parfaite synthèse des deux.
Le Final du premier acte et surtout le magnifique Quintette du deuxième acte, sont particulièrement subtils et entraînants, admirablement chantés. La composition par Teresa Iervolino de son personnage d'Ernestina, partagée entre ses pulsions érotiques et son ambition « philosophique », est magistrale. Chaque geste, chaque intonation de voix sont décalés juste ce qu'il faut pour rester dans l'ambiance d'une farce bon enfant, et elle passe de la caricature affectée dans ses récitatifs au langage alambiqué, à un chant d'une délicate élégance, avec une virtuosité et une agilité remarquables.
Le ténor Pavel Kolgatin est un Ermanno timide dans son premier air, mais se fait héroïque et furieux dans l'air du deuxième acte et dans la scène en prison, avec une voix fluide et riche en couleurs. Paolo Bordogna, Gamberotto, le père d'Ernestina, et Davide Luciano, le riche et grossier Buralicchio, grimés et déformés par des costumes grotesques, sont deux parfaits bouffons. Ils jonglent sur les contrastes entre texte et musique avec une richesse d'expression et un sens comique servis par des voix riches et brillantes. Tous deux sont des habitués de Pesaro. Davide Luciano était l'extraordinaire Figaro de l'an dernier, et tous deux restent inoubliables, en maillots de bain, dans la Pietra del paragone, mise en scène par Pier Luigi Pizzi en 2017. Les deux serviteurs rusés campés par Claudia Muschio, Rosalia et Manuel Amati, Frontino, complètent dignement cette excellente distribution. L'orchestre national de la Rai, dirigé par Carlo Rizzi et le chœur du théâtre Ventidio Basso, préparé par Giovanni Farina, rythment ce spectacle endiablé et enchanteur du début à la fin.
Crédits photographiques : © Studio Amati Bacciardi
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