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Claude Abromont. Guide de l’analyse musicale. Éditions universitaires de Dijon (EUD). 457 p. 28 €. 2019
Après les Guides Fayard/Lemoine qu'il a conçu en binôme avec Eugène de Montalembert (Théorie de la musique en 2001, Formes et Genres en 2010), Claude Abromont fait cavalier seul dans la rédaction du Guide de l'analyse musicale, une discipline qu'il enseigne au Conservatoire de Paris et dont cet esprit chercheur et érudit nous donne à appréhender l'ampleur des concepts et des pratiques.
L'entreprise est phénoménale et le champ d'exploration rien moins qu'immense, des premiers âges de l'écriture occidentale jusqu'aux partitions d'aujourd'hui, en passant par les musiques de tradition orale et les œuvres sur support (électroacoustiques) relevant de méthodes analytiques spécifiques qui font appel aux nouveaux outils technologiques.
Le propos requis est celui du pédagogue. Abromont s'adresse à l'analyste et s'interroge sur la démarche à suivre s'agissant du travail sur l'objet musical, de sa Découverte à la Restitution finale en vue de la transmission. Aussi ce guide retrace-t-il en cinq phases – « qui gagneront à être parcourues dans l'ordre », précise l'auteur – le processus de l'analyse, « un vaste ensemble de pratiques, de concepts et d'appréhension du sens et de la fonction que la musique occupe au cœur des pratiques humaines », résume l'auteur. Avant d'aborder la Documentation (2), phase indispensable précédant l'immersion dans la partition, Abromont prend en compte la pluralité des situations analytiques et la nécessité pour le chercheur d'un positionnement au sein des différentes formes d'approche d'une œuvre musicale. Le propos est rigoureux et les concepts toujours précisément définis sous une plume éminemment fluide et lumineuse.
Ce guide en cinq « mouvements » et une coda s'équilibre autour d'un axe central, Approfondissement (3), la partie la plus développée où sont recensées et explicitées rien moins que trente-sept méthodes analytiques (thématique, narratologique, rhétorique, phraséologique, schenkérienne, etc.). Le choix de l'ordre alphabétique, qu'Abromont légitime bien évidemment, fait débuter la liste par « l'analyse de compositeur », non négligeable, loin de là, mais revendiquant ses droits à « l'analyse fausse », « la plus révélatrice d'une personnalité » selon Pierre Boulez : « les compositeurs-analystes tentent ainsi de révéler les secrets d'une œuvre plutôt que ses vérités » fait remarquer Abromont. La Set Theory, dont l'exposé remarquablement synthétisé tend à nous réconcilier avec le concept, est l'une des neuf déclinaisons de l'analyse de l'harmonie, discipline centrale observée dans ses implications multiples (chiffrage, modulation mais aussi pensées harmoniques singulières…). Des exemples musicaux, des tableaux et autres graphiques abondent pour étayer les présentations et mettre à l'œuvre la méthode en question. L'analyse du contrepoint donne lieu à un petit lexique du vocabulaire contrapuntique et à des révélations précieuses concernant l'écriture de La grande fugue op. 133 de Beethoven, envisagée sous l'éclairage des traités de contrepoint du XVIIIe siècle. D'autres approches moins usuelles stimulent d'autant la curiosité : l'analyse toute récente de l'interprétation, les analyses génétique, inventive, prolongationnelle ou encore « en termes d'identité sexuelle » ; rappelons que Claude Abromont défend l'idée d'une forme sonate féministe dans son analyse du premier mouvement Rêveries-Passions, de la Symphonie fantastique de Berlioz (in Enquête autour d'une idée fixe, aux éditions de la Philharmonie, Clef ResMusica).
« La diversité des approches possibles s'avère parfois vertigineuse », prévient l'auteur dans la quatrième phase du processus (La synthèse), où se pose la question du croisement des méthodes mises à disposition (la frise chronologique est à ce titre très éclairante) et de l'articulation souhaitée entre une analyse de type technique (niveau neutre) et celle qui tente des interprétations (herméneutique) : « Chaque forme d'analyse informe toutes les autres, et l'ensemble forme alors un cercle herméneutique » avance l'auteur… Rappelant cependant que le « test décisif » légitimant cette aventure au long court dans la sphère analytique, reste in fine la réécoute de l'œuvre : saine attitude du chercheur pratiquant cet aller-retour du signe au son.
Claude Abromont accompagne l'analyste jusqu'au bout du processus (phase 5), se souciant de la restitution de son travail : une méthode est préconisée pour l'annotation de la partition et la réalisation des schémas formels, et des informations fournies concernant les logiciels d'aide à l'analyse (Foxit Phantom PDF, iAnalyse, Illustrator, Sonic Visualiser, etc.). Envisageant tous les cas de transmission, qu'elle se fasse par écrit ou sous forme de conférence, qu'elle transite par les différents canaux de la médiation, Abromont plaide pour une présentation valorisante, innovante et attractive. Soulignons que ce Guide d'analyse musicale est lui-même augmenté de deux playlists Youtube, des vidéos (celles de l'auteur et celles d'autres chercheurs associés, signalées par des pictogrammes dans le corps du texte) où musique et recherche analytique se synchronisent.
Dans le « petit aperçu chronologique » de la coda, qui aiguise l'intérêt du lecteur jusqu'aux dernières pages du Guide, signalons enfin un « oubli », celui de la Symphonie criminelle en MI BÉMOL (Bayard) qui aurait trouvé sa place aux côtés d'Euphonia ou la ville musicale d'Hector Berlioz, dans la septième entrée, « Approche romanesque », car Claude Abromont, chercheur intègre et pédagogue éminent, aime également entrecroiser le réel et la fiction.
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Claude Abromont. Guide de l’analyse musicale. Éditions universitaires de Dijon (EUD). 457 p. 28 €. 2019
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