Premiers échos de l’Été mosan avec Florian Noack et le Trio Metral
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Biesmes. Eglise Saint-Martin. 27-VII-2019. Franz Schubert (1797-1828) : Sonate en la majeur D. 664. Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908) : Schéhérazade op. 35, transcription-paraphrase de Florian Noack. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Visions fugitives op.22, dix extraits. Frédéric Chopin (1810-1949) : Sonate pour piano n°3 en si mineur op. 58. Florian Noack, piano
28-VII-2019. Anhée. Ferme de l’abbaye de Moulins. Franz Schubert (1797-1828) : Trio à clavier n° 2 en mi bémol majeur op.100 D. 929 ; Felix Mendelssohn (1809-1847) : Trio à clavier n° 2 en ut mineur op. 66. Trio Metral
Depuis de nombreuses années, le festival de l'Été mosan fait la part belle aux nouveaux interprètes, souvent belges ou français, invités à se produire en des lieux exceptionnels du patrimoine wallon. Pour cette édition 2019, le pianiste – belge – Florian Noack répond au Trio Metral – français.
En ce samedi 27 juillet, la « drache » nationale oblige les organisateurs à se replier et à programmer in extremis le concert non pas dans la cour du château (privé) de Biesme, mais en la typique église paroissiale Saint-Martin toute proche. L'acoustique du lieu, très agréable, finement réverbérée, et respectant tant les nuances dynamiques que la finesse de toucher, magnifie le jeu très polyphoniquement aéré du jeune pianiste, formé à la Chapelle Musicale Reine Élisabeth de Waterloo et aux Musikhochschulen de Cologne et de Bâle.
Le récital commence sous les meilleurs auspices avec la Sonate D.664 en la majeur de Franz Schubert (sous-titrée parfois « l'Amoureuse »), la petite eu égard à la pénultième et dense D.959. D'une sonorité idéalement perlée, elle est déclinée avec un sens d'un éphémère bonheur familial, quasi romanesque. Au fil du développement de l'allegro moderato initial et surtout de l'andante central se dessinent une certaine fêlure psychologique et les affres abyssaux à venir pour le compositeur-wanderer, bientôt aux prises avec la maladie et avec un terrible destin. Au-delà de ses talents d'interprète, Florian Noack est un magnifique transcripteur-paraphraseur d'œuvres orchestrales. Sa vision pianistique très assumée de la Schéhérazade de Rimski-Korsakov élague la partition de certaines redites éclairées dans la rédaction originale par la variété des alliages instrumentaux. Surtout elle donne l'illusion d'un kaléidoscope timbrique par la richesse accordée aux voies intermédiaires et par l'utilisation, très mobile et fluctuante, des registres de l'instrument dans un éventail de nuances quasi symphonique. La puissance du jeu du pianiste restitue l'illusion d'un grand orchestre et insuffle au discours musical un souffle quasi légendaire.
En total contraste, après un entracte bienvenu, fin diseur à l'énoncé d'aphorismes pondérés ou incendiaires, notre pianiste nous gratifie d'une dizaine de Visions fugitives de Prokofiev qu'il vient d'enregistrer pour la Dolce Volta, inspirées de la poésie symboliste de Balmont. La caractérisation versatile de chaque pièce y est idéale notamment dans ce ridicolosamente en total contraste avec quelques fragments nettement plus amènes ou vénéneusement lyriques malgré leur brièveté et leur calme apparent.
Enchaîner à ces miniatures la Sonate n° 3 de Chopin au discours bien moins fragmenté tient de la gageure. Mais Florian Noack relève le défi avec une savante originalité. Rarement la coupe si particulière de l'allegro maestoso initial, en son développement labyrinthique débouchant sur une réexposition tronquée, aura-t-elle été mise de manière aussi aveuglante en évidence, avec ce jeu polyphonique exemplaire de clarté même dans les écheveaux harmoniques les plus complexes ou les entrelacs chromatiques les plus touffus. Le Scherzo manque peut-être un peu d'aérienne ductilité et les rebonds rythmiques du Presto final semblent trahir une légère fatigue de la part de l'interprète au terme d'un parcours il est vrai marathonien. Mais le Largo demeure un pur moment d'extase nocturne, en une section centrale égrenée intemporellement, avec un spleen baudelairien d'une insondable amertume, sommet d'intensité lyrique de ce récital. En bis, le pianiste nous offre la première des Études transcendantes de Sergueï Liapounov, compositeur dont il s'est fait une spécialité. Il termine en beauté pudique presque sur la pointe des doigts une prestation exemplaire par cette délicieuse et vétilleuse berceuse.
Le trio Metral , fraternellement romantique, dans un impressionnant Trio n° 2 de Schubert
Le dimanche 28 juillet, le festival retrouve pour la seconde fois de sa déjà longue histoire la ferme de l'abbaye de Moulins. La vaste salle de réception aménagée dans l'ancienne grange, à l'impressionnante et splendide charpente d'origine, sert de lieu à ce concert, avec son acoustique idoine pour la formule du trio à clavier.
Au-delà des qualités individuelles évidentes de ces musiciens, ce sont les capacités d'écoute mutuelle, d'unité de conception, de spiritualité égalitaire devant l'œuvre et d'évident plaisir de jouer ensemble qui dominent au sein de la fratrie Metral. Jamais, Victor, le pianiste, en véritable distributeur des cartes musicales malgré un Steinway au coffre grand ouvert, ne s'octroie le rôle d'un primus inter pares, n'écrase ses partenaires mais les entend, les soutient, voire les devance dans leurs intentions. La qualité des cordes n'est pas en reste, tant par la grande cohérence des coups d'archets que par la recherche patente d'une qualité sonore cohérente et en phase avec chaque œuvre.
Cela nous vaut un Trio en mi bémol op. 100 de Schubert de toute beauté, depuis l'héroïsme déçu (le développement !) d'un allegro initial où règnent aussi une inquiétante et fantomatique étrangeté (deuxième thème) et l'infinie nostalgie d'un bonheur perdu (groupe thématique conclusif), donné ici presque à demi-mots, sans énoncé péremptoire. L'andante commodo, dont la parenté d'esprit avec le Gute nacht du Winterreise a été rarement rendue à ce point perceptible, est donné dans le tempo juste, sans appesantissement pathétique, et voit sa structure dynamique en arche magnifiée par ce crescendo maintenu jusqu'à un climax proprement térébrant, avant de retourner au silence dans un dégradé de nuances en tout point symétrique. Le scherzo permet de retrouver enfin un peu de détente avec ce sourire que nous concède enfin nos interprètes, mais mâtiné toujours du spleen viennois d'un insaisissable ailleurs, avant un éprouvant final, envisagé comme véritable récapitulatif du parcours thématique et psychologique de l'œuvre entière et débouchant sur un libératoire triomphe de la grâce et comme le dit Brigitte Massin « de la tendresse héroïque ». Par leur conception absolument en phase avec l'œuvre, par leur modestie et leur humanité au fil de cet épuisant trajet quasi sans fin, les Metral nous gratifient d'une superbe et presque métaphysique schubertiade.
En seconde partie, le Trio n° 2 op. 66 de Mendelssohn, dont nos interprètes ont donné récemment une version sur disque, ne peut sans doute pas prétendre par sa virtuosité un peu plus factice aux mêmes sommets d'intensité dramatique, mais les Metral en donnent une lecture intelligente et très finement articulée, au fil notamment du tempétueux et prolixe Allegro energico e con fuoco initial donné sans aucune précipitation autoritaire, ou d'un aérien Scherzo, d'une vivacité vif-argent irrésistible. Au fil de l'Andante espressivo, Joseph (au violon) et Justine (au violoncelle) font montre d'une unité peu commune dans l'intensité et la conduite des phrasés. Le final un peu plus retenu qu'à l'accoutumée prend une assise lentement libératrice et jubilatoire. En bis, et toujours du même Mendelssohn, l'Andante con moto tranquillo du premier trio permet de retrouver outre un cantabile des cordes aussi chaleureux que charmeur, la grande liberté d'inflexions et les qualités d'écoute d'un pianiste chambriste-né.
Crédits photographiques : Florian Noack © Monica Lawrenz ; Trio Metral © lusankar-productions
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