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À Verbier, Valery Gergiev dompte la Femme sans Ombre

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Verbier. Salle des Combins. 21-VII-2019. Richard Strauss (1864-1949) : Die Frau ohne Schatten, opéra en trois actes sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Version concertante. Avec : Gehrard Siegel, L’Empereur ; Emily Magee, L’Impératrice ; Evelyn Herlitzius, La Nourrice ; Bogdan Baciu, Le messager ; John Lindgren, Barak ; Miina-Liisa Värelä, La Teinturière ; Thomas Ebenstein, Le Bossu ; Milan Siljanov, Le Manchot ; Julien van Mellaerts, Le Borgne. Chanteurs de l’Atelier lyrique de la Verbier Festival Academy. Verbier Festival Orchestra, direction : Valery Gergiev

Ce 26e Verbier Festival sera incontestablement marqué par la représentation concertante de l'opéra monumental Die Frau ohne Schatten de . Une soirée longue, éprouvante sous la chaleur caniculaire, mais d'une vigueur et d'une tenue artistique d'exception.

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La présence de plus de cent instrumentistes et d'une trentaine de chanteurs sur scène n'a pas convaincu le public de répondre totalement présent à cette exceptionnelle soirée d'opéra, une bonne dizaine de rangs restant inoccupés. Cette relative absence de public est aussi à rechercher dans la défection, quelques jours avant la représentation et sans aucune explication, de trois têtes d'affiche : le ténor Brandon Jovanovic qui devait interpréter L'Empereur, la soprano Nina Stemme qui devait être La Teinturière et le baryton Matthias Goerne qui devait camper le rôle de Barak. Plus tôt déjà, la soprano Camilla Nylund avait décliné son engagement dans le rôle de L'Impératrice.

Quiconque (et votre serviteur est l'un de ces « quiconque ») approche Die Frau ohne Schatten de peut se sentir décontenancé par sa complexité musicale, son livret énigmatique et la longueur de son propos. Hugo von Hofmannsthal et s'ingénièrent en effet à rajouter le premier quelques vers qu'il jugeait indispensables et le second quelques mesures qu'il pensait primordiales, se faisant mousser l'un l'autre au risque de ne jamais terminer l'œuvre à laquelle ils s'étaient attablés. Et pourtant !

Imaginez-vous sortir d'un opéra de plus de trois heures et demie, sans mise en scène, dans une langue que vous ne dominez pas forcément, avec une histoire pour le moins confuse, sorte de conte initiatique et féérique chargé d'un symbolisme inhérent à l'émergence des théories freudiennes du début du XXe siècle, avec une musique entremêlant des plans sonores tonitruants et des échappées lyriques bouleversantes, avec des chanteurs sollicités presque constamment à l'extrême de leurs capacités vocales, tout cela dans une ambiance caniculaire étouffante. Imaginez toutes ces contraintes et, à l'issue du spectacle, vous sentir aussi éveillé et vaillant qu'au moment d'entrer dans la salle. Seule une potentialisation de tous les éléments musicaux est à même de produire un tel bien-être.

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L'artisan de ce miracle musical a nom . Lui qui, deux jours auparavant se sentait comme chez lui dans la Symphonie n° 5 de Chostakovitch s'affirme ici plus qu'un straussien accompli mais un chef d'orchestre capable d'enflammer une œuvre en y révélant la complexité des plans sonores avec une clarté renversante. Pour cette aventure orchestrale, le au grand complet est présent, tassé sur tout l'espace de la scène pourtant large et profonde. Il ne reste aux chanteurs qu'un espace congru les contraignant à s'effacer vers les coulisses dès leur dernière note lancée pour faire place à leurs collègues. Un va-et-vient incessant qui n'entache en rien le déroulement de la musique, ni n'en perturbe l'interprétation. Au milieu de toute cette effervescence, , sans estrade, l'énorme partition posée sur un lutrin, dompte des deux mains cette Femme sans ombre. Le doigt, la main, le bras, l'œil, la tête, tout est mouvement dans la direction de Gergiev. Tout est intention. Paraissant ne s'occuper que de l'orchestre, il voit et commande pourtant chaque chanteur. Entre les explosions sonores des cuivres, les intermèdes chambristes des bois, les envolées lyriques des cordes (ah, cet interlude du violoncelle du deuxième acte !), Gergiev domine cette musique en maître absolu.

Avec le plateau de chanteurs « recomposés », on en vient à se demander si la défection des vedettes prévues à l'origine n'étaient pas finalement un bien. Dès les premières mesures, la véhémence de la mezzo-soprano (La Nourrice) donne le ton. Avec sa voix puissante, sa prise de rôle récente à l'Opéra de Vienne, elle assimile ce personnage ambigu avec une si grande conviction qu'on lui pardonne volontiers le ton parfois excessif de ses interventions. Pour le ténor (L'Empereur) ce rôle assassin semble au-dessus de ses moyens vocaux. En effet, alors qu'il assume une partie initiale correcte, la multiplication des aigus, le dernier acte harassant et la fatigue le poussent vers une difficile conclusion. Il faut cependant le féliciter d'avoir accepté ce défi, sauvant ainsi le spectacle d'une annulation certaine. Quant aux autres « remplaçants », ils sont l'objet des plus belles surprises. Pouvait-on imaginer meilleur couple que celui de la soprano finlandaise (La Teinturière) et du baryton suédois John Lundgren (Barak) ? Vocalement et scéniquement (quand bien même l'espace manque aux épanchements théâtraux), leur prestation est d'une rare évidence. Lui, décontracté, souriant, est désarmant de bonté avec une voix au timbre franc ; elle, acariâtre et revendicatrice, le tance avec aigreur et suraigus avant de se changer en femme aimante aux accents vocaux veloutés. Seuls, entièrement pris dans leur histoire, engloutis dans leur musicalité, c'est merveille de les entendre. Si les interventions initiales de la soprano américaine (L'Impératrice) laissent percevoir l'imposante force persuasive de l'artiste, le troisième acte la voit émerger en femme habitée de sa conquête de liberté avec une puissance évocatrice irrépressible. Quel engagement, quelle vérité interprétative, quelle conviction dans cette conclusion poignante lancée avec une voix incroyablement trempée, révélant ce personnage qu'elle semble porter en elle autant que sur la scène.

Crédit photographique : © Diane Deschenaux

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