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Verbier. Salle des Combins. 21-VII-2019. Rodion Chtchedrine (né en 1932) : Concerto Dolce pour alto, orchestre à cordes et harpe. Robert Schumann (1810-1856) : Andante et Variations pour deux pianos op. 46. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto pour deux claviers en ut mineur BWV 1062. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour deux pianos et orchestre en mi bémol majeur KV 365. Lawrence Power (alto). Sergei Babayan, Daniil Trifonov (pianos). Verbier Festival Chamber Orchestra, direction : Gabor Takács-Nagy
Il y a foule au Verbier Festival pour la rencontre de Daniil Trifonov, l'élève au faîte de son art, et de Sergei Babayan, son heureux maître. Comme souvent un événement à l'issue presque prévisible révèle tout autre chose.
En ouverture de programme, le compositeur russe Rodion Chtchedrine (souvent invité du Festival) oppose dans une (parfois trop) longue mélopée, le chant du bel alto de Lawrence Power aux interventions fugitives d'une harpe fondue dans un Verbier Festival Chamber Orchestra aux ordres attentionnés d'un remuant et efficace Gábor Takács-Nagy. Fascinant musicien, l'altiste anglais alterne avec une incroyable maîtrise instrumentale les sonorités les plus nostalgiques et les plus surprenantes par leurs couleurs improbables. Si on reste admiratif de la complexité de l'œuvre, on demeure cependant dubitatif quant à l'opportunité de sa présence isolée dans ce concert.
Nos lignes ont maintes fois vanté les mérites de Sergei Babayan et de Daniil Trifonov, le premier étant le maître, le second son brillantissime élève. On peut dès lors imaginer l'intérêt de les programmer ensemble dans un concert. C'est une des spécialités du Verbier Festival d'organiser d'inédites rencontres susceptibles de générer un salutaire déclic chez des musiciens parfois annihilés par la routine de l'enchaînement de leurs concerts. Le maître et l'élève. Le risque était grand d'assister à une joute où le maître se montrerait le détenteur de la vérité et l'élève, fort de sa notoriété conquise, s'auréolerait d'arrogance. Comment la bonté souriante de Sergei Babayan s'accommoderait-elle de la folie débordante et géniale de Daniil Trifonov ? Qui espérait un choc de titans, un match sanguinaire, a dû être bien déçu. De la bataille attendue, seul le respect est sorti vainqueur. Le respect de l'élève aux enseignements du maître et celui du maître au talent incomparable de son élève. Certes, la musique, ses émotions primaires, ont pâti de cette respectueuse attitude mais le plaisir évident de jouer ensemble se lisait sur les visages souriant des deux pianistes.
Alors, on se prend à écouter avec une attention accrue ce qui les unirait ou ce qui les séparerait. C'est d'autant plus subtil qu'ils interprètent des œuvres pour deux pianos. Un seul cadre pour deux peintres. S'ils ont chacun le talent des couleurs, de la forme, de la structure, le tableau ne sera pas forcément représentatif du paysage qu'on voudrait voir. Si dans l'Andante et Variations op. 46 de Robert Schumann, l'esprit romantique de l'œuvre n'autorise pas des débordements stylistiques extrêmes, le Concerto pour deux claviers en ut mineur BWV 1062 de Jean-Sébastien Bach laisse transparaître la différence de jeu des deux pianistes. Les fréquentes reprises de traits identiques par l'un ou l'autre des deux pianistes laissent à l'auditeur attentif toute l'opportunité de la comparaison d'interprétation, sinon de style. Ainsi, tandis que Sergei Babayan tend à arrondir le trait à l'image de ses doigts potelés, à favoriser le legato, la mélodie, le phrasé, Daniil Trifonov se plait dans une articulation plus sèche, plus analytique, plus contrastée.
On retrouve ces différences dans le Concerto pour deux pianos et orchestre KV 365 de Wolfgang Amadeus Mozart où elles apparaissent plus marquées encore sans pour autant dénaturer l'œuvre. C'est tout juste si, à quelques moments, on découvre que Daniil Trifonov accuse une majeure aisance, un plus exact respect de la partition que son vénéré maître qui s'égare brièvement dans quelques petits « déraillements » pianistiques lorsqu'arrivent des passages plus virtuoses. Un sentiment qui se confirme dans leur bis avec la Sonate pour piano à quatre mains en ut majeur KV 381 de Mozart clôturant cette belle rencontre.
Sans que cette soirée ait été exceptionnelle sur le plan émotionnel, elle a néanmoins permis d'entendre et d'admirer deux grands artistes qui, dans un souci d'honnêteté intellectuelle et professionnelle ont offert un moment de bonheur partagé, ce bonheur indicible du maître et son élève, du père et son enfant, ce bonheur d'avoir transmis et reçu un enseignement pour la vie.
Crédit photographique : Daniil Trifonov © Danio Acosta ; Sergei Babayan et Gabor Takács-Nagy © Lucien Grandjean
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Verbier. Salle des Combins. 21-VII-2019. Rodion Chtchedrine (né en 1932) : Concerto Dolce pour alto, orchestre à cordes et harpe. Robert Schumann (1810-1856) : Andante et Variations pour deux pianos op. 46. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto pour deux claviers en ut mineur BWV 1062. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour deux pianos et orchestre en mi bémol majeur KV 365. Lawrence Power (alto). Sergei Babayan, Daniil Trifonov (pianos). Verbier Festival Chamber Orchestra, direction : Gabor Takács-Nagy