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Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché. 10-VII-2019. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Requiem KV. 626. Mise en scène, scénographie, costumes, lumière : Romeo Castellucci. Siobhan Stagg, soprano ; Sara Mingardo, mezzo ; Martin Mitterrutzner, ténor ; Luca Tittoto, basse ; Chadi Lazreq, enfant chanteur. Chœur et orchestre Pygmalion, direction musicale : Raphaël Pichon
Surprenant sur le papier, le projet de mettre en scène le Requiem de Mozart inaugure spectaculairement la première édition de Pierre Audi à la tête du Festival.
Camera oscura. Une vieille femme engloutie dans son lit tandis que résonne l'a capella d'un grégorien. La Meistermusik K477B (future Musique funèbre maçonnique) avec chœur d'hommes s'élève dans la chambre noire pendant que l'on découvre la provenance de cette musique d'outre-tombe : le Chœur Pygmalion était déjà sur scène, couché sous des toiles noires, chantant sur le dos, et on ne le savait pas. Un quart d'heure de spectacle seulement et déjà deux moments magiques d'une soirée où l'on ira de surprise en surprise. Un immatériel Miserere mei K.90 plus loin, le Requiem peut commencer.
Du lit transporté, choit lourdement une version rajeunie de la vieille femme, à laquelle succédera une troisième jusqu'à l'enfant qu'elle fut un jour. En parallèle de ce compte à rebours temporel d'une vie humaine, Castellucci feuillette, en fond de scène, et en sens inverse, celui de son Atlas des Grandes Extinctions. Commençant par la Faune, on énumère les dinosaures disparus, sans se douter que cette liste, égrenée jusqu'au final, nous conduira à l'effroi d'extinctions récentes, contemporaines et même à venir : Extinction du Théâtre de l'Archevêché… Extinction de l'amitié… Extinction de cette musique… Le lancinant catalogue se refermant sur « 10 juillet 2019 », chaque spectateur, la gorge nouée, aura saisi l'invite à se pencher sur la perspective de sa propre finitude dans un univers incertain.
Commencé dans l'intime d'une chambre perdue dans le cosmos, le spectacle vise le spectaculaire. Murs et plafond coulissant, le blanc castelluccien envahit progressivement la chambre qui replongera dans le noir du néant initial lorsque ses murs immaculés auront été arrachés par pans entiers. Enfin, dans un mouvement à couper le souffle, après l'évacuation de choristes délestés de leur vêtement, le sol se soulève tout entier et se dresse à la verticale en fond de scène. Les reliefs des costumes des chanteurs disparus se mettent alors à glisser vers l'abîme avec la cendre qui avait recouvert le plateau, faisant apparaître les traces de toutes les actions exécutées pendant les 90 minutes qui ont précédé. Après ce vertigineux effet, les quatre femmes réapparaissent, un nourrisson dans les bras. Puis le bébé reste seul sur l'immense plateau tandis que s'abaisse lentement le rideau et que des applaudissements trop pressés brisent l'émotion maximale.
« La mort est le vrai but de notre vie… Je ne me couche jamais le soir sans réfléchir que, le lendemain peut-être….je ne serai plus là – et pourtant, personne de tous ceux qui me connaissent ne peut dire que je sois chagrin ou triste dans ma fréquentation. » Ces mots à chérir du jeune Amadeus ont probablement inspiré à Castellucci l'idée, également étrange sur le papier, mais bouleversante dans sa réalisation, de danser le Requiem. La danse innerve la quasi-totalité des numéros. Effet maximum avec le Dies Irae ou le Quam olim, chantés et dansés façon festnoz par Pygmalion mêlé à d'indiscernables professionnels de la chorégraphie. De superbes costumes de type balkanique font alterner des blancs et des rouges qui ne le resteront pas longtemps. C'est un hymne à la Vie et à cette Mort qualifiée par Mozart de « véritable et excellente amie de l'homme ».
Ce Requiem est le type de production qui lie à jamais un spectateur à un metteur en scène. Nul doute également que le Chœur Pygmalion, qui a accepté, jusqu'à la sidération de la nudité, de plonger dans le maëlström Castellucci, ressortira soudé pour longtemps d'un investissement aussi intense. Pichon affirme qu'il vient de réaliser la chose la plus difficile qu'il ait jamais faite. Une très belle photo le montrant marchant de concert avec Castellucci devant les mots Homo erectus dit bien la marche en avant des deux hommes. Musicalement, c'est avec une science confondante que le chef de Pygmalion a su trouver et inclure neuf numéros (telle cette version chorale de la sublime Sérénade de la Gran Partita) en parfaite résonance avec les quatorze existants. La version élue est la plus populaire : celle qui a appris le Requiem à tous, terminée par Süssmayr, dont Pichon pense, qu'excepté le laborieux Hosannah, elle est au plus près de la volonté du compositeur.
L'Orchestre Pygmalion, ponctué de grave opulents, sonne avec la plénitude qu'on lui connaît. Cinq excellents solistes : Siobhan Stagg, Martin Mitterrutzner, Luca Tittoto, Sara Mingardo mais aussi Chadi Lazreq, garçon de 7 ans, à la voix non travaillée, qui interprète le bouleversant Solfeggio K.393/2, et que Castellucci fait entrer en scène en shootant dans un vrai crâne (après que l'enfant, raconte encore Pichon, a qualifié de « ridicule » l'idée initiale du grand metteur en scène italien de le placer sur un toboggan !) C'est à lui que metteur en scène et chef réservent le dernier mot lorsqu'il revient accompagner d'un In Paradisum anonyme l'ultime vision du bébé seul dans l'espace d'un spectacle addictif qui pourrait s'intituler : 2019, l'Odyssée de l'espèce.
Crédits photographiques : © Pascal Victor / Artcompress
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Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché. 10-VII-2019. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Requiem KV. 626. Mise en scène, scénographie, costumes, lumière : Romeo Castellucci. Siobhan Stagg, soprano ; Sara Mingardo, mezzo ; Martin Mitterrutzner, ténor ; Luca Tittoto, basse ; Chadi Lazreq, enfant chanteur. Chœur et orchestre Pygmalion, direction musicale : Raphaël Pichon