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Vers la lumière avec Stockhausen et Le Balcon

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Paris. Cité de la Musique, Salle des concerts et église Saint-Jacques-Saint-Christophe. 28-VI-2019. Karlheinz Stockhausen (1928-2007) : Samstag aus Licht, opéra en cinq parties. Direction scénique : Damien Bigourdan. Création visuelle : Nieto. Projection sonore : Florent Derex. Costumes : Pascale Lavandier. Scénographie : Myrtille Debièvre. Création lumière : Catherine Verheyde. Avec : Damien Pass, Lucifer ; Alphonse Cemin, piano, joueur du rêve de Lucifer ; Claire Luquiens, flûte, chat noir Kathinka (scène 2) ; Julie Brunet-Jailly, flûte, chat noir Kathinka (scène 3) ; Alice Caubit, percussions, la vue ; Akino Kamiya, percussions, l’ouïe ; Frédéric Blondy, percussions, l’odorat ; Arthur Lavandier, percussions, le goût ; Othman Louati, percussions, le toucher ; Clotilde Lacroix, percussions (la pensée) ; Emmanuelle Grach, danseuse à rubans ; Henri Deléger, trompette (Michael) ; Mathieu Adam, trombone, un diable à trombone ; François-Xavier Plancqueel, percussions ; Ayumi Taga, orgue ; Alain Muller, chef de chant, claviers ; Émilie Fleury, cheffe de chœur. Direction et conception du spectacle : Maxime Pascal

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Le Balcon tient ses engagements. Après la création française de Donnerstag à l'Opéra comique, le premier des sept opéras de Licht (1977 à 2002), la Compagnie monte Samstag aus Licht à la Cité de la musique avec l'ambition de représenter la totalité du cycle dans les sept années à venir.

Si Donnerstag aus Licht (« Jeudi de Lumière ») est le jour de Michael, l'une des trois figures spirituelles de la mythologie du compositeur, Samstag (Samedi) est le jour de Lucifer, le jour de la mort, de la danse de la mort, de l'adieu et du passage à la lumière. La macrostructure de chaque journée est globalement la même, en trois scènes pour Samstag, avec un Salut et un Adieu. Ce dernier, particulièrement développé, doit être donné dans une église à proximité du théâtre. Ainsi, le public se déplace-t-il ce soir de la Philharmonie à l'église Saint-Jacques-Saint-Christophe pour une dernière scène d'une retentissante beauté, que Le Balcon avait déjà donnée en juin 2016 à la Basilique de Saint-Denis dans le cadre du festival.

Pour l'heure, et dans une salle des concerts bondée, quatre groupes de cuivres rehaussés de percussions résonnantes sont répartis dans les galeries supérieures pour le Salut bien sonnant. Les musiciens du Conservatoire régional de Paris épaulent ceux du Balcon, tout de noir vêtus dans cette fanfare inaugurale plutôt sombre et lancinante, où sept trombones (l'instrument de Lucifer) font entendre leurs glissades dépressives. Rappelons que Lucifer est frère de Michael et s'oppose à lui en tant qu'esprit de rébellion, qui nie et ne connaît pas l'amour. Dans le système codifié de Stockhausen et la symbolique des nombres qui infiltre toute l'écriture de Licht, le 13 est associé à Michael et le 11 à Lucifer (la somme de 24 n'est sans doute pas anodine). Comme dans Donnerstag, les personnages sur scène comptent très fréquemment plus qu'ils ne parlent ou ne chantent. Pianiste mais aussi acteur et performeur impressionnant, qui donne également de la voix, en toge noire est aux côtés de la basse dans la première scène de Samstag, Le rêve de Lucifer associant couches temporelles et strates lumineuses. Le pianiste interprète rien moins que le Klavierstück XIII de Stockhausen, une pièce de trente-cinq minutes théâtralisée par le compositeur, dont l'écriture puissante, inventive et habitée incarne l'esprit créateur de Michael. Lucifer, engoncé dans son sofa, s'est endormi et feint la mort.

L'espace de la salle des concerts s'anime dans Kathinkas-Gesang (« Chant de Kathinka ») avec la présence dans les étages de six percussionnistes représentants les six sens mortels (la pensée en sus). « L'ouïe », juste derrière nous, porte un diadème de clochettes, une râpe en guise de tablier et manipule un bâton de pluie ou percute une plaque de métal. Ces « exercices musicaux » aux allures de rituel interviennent en alternance avec le solo de la flûte – captivante Claire Luquiens déguisée en chat noir – et doivent préserver des tentations l'âme du mort.

Lucifer règne en maître absolu dans la dernière scène (« Danse de Lucifer »), apothéose de lumière et de couleurs, où l'ange déchu – impérial – a imaginé l'orchestre de vents sous forme de visage humain géant (façon Jean-Michel Basquiat), tandis que s'accomplit la course des heures (de 1 à 24) via les ressources des lasers. La réalisation (celle de Nieto) fascine l'œil autant que l'oreille, chaque danse (du sourcil gauche, de l'œil droit, des ailes du nez, du bout de la langue, etc) entraînant dans son mouvement le geste idoine des instrumentistes. est à l'œuvre, face à une centaine de musiciens bien préparés pour célébrer cette fête étrange, émanation du génie de Stockhausen dans son envol psychédélique.


L‘Adieu en l'église Saint-Jacques-Saint-Christophe n'est pas moins saisissant. Le compositeur a choisi le long poème de Saint-François d'Assise, Lodi delle virtù (« Éloges des vertus« ), pour terminer son opéra : aubes blanches pour les solistes, bures brunes avec capuche, sonnailles et percussions de bois pour les acteurs de la cérémonie qui se joue dans l'allée centrale et les bas-côtés de l'église : « La sainte Sagesse confond Satan et toutes ses malices ». Les mêmes glissandi dépressifs – ceux des trombones dans le Salut – se font entendre au sein du chœur litanique, tout comme le son « fry » (venant de la gorge) des voix les plus graves. Le bruit des sabots de bois frappant le sol participe de cette action sonore musclée (Kagel n'est pas loin), perturbée par les rafales de l'orgue – Ayumi Taga – et des six trombones entendus de la tribune. Invisible mais veillant au grain, œuvre dans l'ombre avec la même efficacité.

L'ouverture des portes de l'église et la libération de l'oiseau noir, maintenu jusque là dans sa cage, figure le passage à la lumière, tandis que les moines, encouragés par leurs frères, fracassent des noix de coco sur la dalle de marbre…

Crédits photographiques : © Claire Gaby / J'adore ce que vous faites

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