À Évian, Herbert Blomstedt le poète de Brahms

Dans le cadre inspirant du théâtre de La Grange au Lac, cette extraordinaire salle de concert qui trône depuis 1993 au milieu d'un bois sur les hauteurs de la cité lémanique, un inspiré et enthousiasmant Herbert Blomstedt ouvre les Rencontres Musicales d'Évian avec un superbe concert entièrement dédié à la musique de Johannes Brahms.

Dix jours après son passage avec l'Orchestre de Paris pour les adieux de Daniel Harding, Janine Jansen récidive dans le Concerto pour violon en ré majeur op. 77 de Brahms mais devant l'Orchestre de la Tonhalle de Zurich et sous la baguette de Herbert Blomstedt. Est-ce la présence au pupitre d'un des plus éminent « brahmsien » ou l'acoustique de la salle d'Évian, mais le violon de Janine Jansen semble parfois manquer de force, de volume sonore. Et ce n'est par manque ni d'engagement, ni d'investissement artistique. Le chant de la violoniste est toujours aussi lyrique, aussi aérien. Pourtant, si on apprécie ses extraordinaires pianissimi lors desquels le public n'ose plus respirer de peur de troubler ces moments suspendus, si sa brillante technique reste époustouflante, on partage moins la capacité de la violoniste à se fondre, ou au contraire à s'imposer, dans l'orchestre. Par moments, particulièrement dans l'andante, elle apparaît comme étrangère à l'esprit du chef, sinon de l'œuvre. Le dernier mouvement, cependant, la voit reprendre corps pour terminer en beauté ce concerto où Herbert Blomstedt fait tout pour mettre en valeur la soliste.

Il est des jours fastes. Ainsi, l'est ce samedi 29 juin et le chef d'orchestre Herbert Blomstedt en est l'instigateur. Imaginez un jeune homme qui, en juillet, fêtera son quatre-vingt douzième anniversaire. Malgré son grand âge, Herbert Blomstedt reste un enfant. Un enfant émerveillé, conscient d'un bonheur, d'un cadeau qu'il vient de recevoir alors qu'il en est lui-même l'artisan, le constructeur. Il sourit à cette joie d'être chez lui avec la musique. Comme il est, il dirige l'orchestre. Avec ses qualités d'homme : posé, calme, élégant, sobre, apaisant.

Comme si le compositeur lui parlait à travers les cordes, les bois et les cuivres de l'orchestre, Herbert Blomstedt sans partition entraine un excellent Tonhalle Orchester Zürich dans cette Symphonie n° 3 de Brahms avec un bagage d'expérience qu'il distille, sans égo, par petites touches. Un voyage harmonique néanmoins intense et compact fait de contrastes et de couleurs orchestraux d'une grande richesse. Ajustant le volume des pupitres par des gestes mesurés et graciles, les bras s'écartant ou se resserrant par petits à-coups calculés, il balance son buste aux rythmes qu'il impose à l'orchestre. Parce qu'il rythme Brahms, l'allégeant ainsi du pathos qu'on lui confère si souvent. On se prend alors à se balancer aux mêmes cadences que le chef. Herbert Blomstedt inspiré, poète de Brahms, découpe les thèmes de la clarinette, met en valeur ceux du hautbois, nous emporte dans son plaisir, dans sa jouissance, de la musique bien faite. Sous la direction du chef charismatique, la symphonie de Brahms n'en conserve pas moins sa grandeur, son éloquence et sa puissance.

Crédits photographiques : © Aline Paley