Leif Ove Andsnes, pianiste créatif et amoureux de musique de chambre
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Le pianiste Leif Ove Andsnes est l'un des musiciens les plus créatifs de sa génération, chacune de ses réalisations discographiques est un événement. Nous l'avons rencontré à Stockholm pour parler de son dernier album, de la façon dont il aborde son répertoire, ainsi que de son festival de musique de chambre.
« Avec de la bonne musique, sa valeur se manifeste après un certain temps. Mon approche ne vient pas naturellement. »
ResMusica : En ce qui concerne votre dernier CD, qu'est-ce qui vous a poussé à revenir à Chopin ?
Leif Ove Andsnes : Le projet des Ballades de Chopin était une idée à laquelle je pensais depuis des années sans savoir si j'étais prêt à le réaliser. Il y avait un morceau, la Ballade en fa mineur, que je n'avais étudié que six ou sept ans auparavant. C'est le plus compliqué, je pense, musicalement et également pianistiquement, donc cela m'a éloigné non seulement du projet complet, mais aussi du processus d'enregistrement. Pour moi, cela a toujours été le cœur de Chopin et, de ce fait, celui du répertoire de piano romantique. Je ne sais pas pourquoi il m'a fallu si longtemps pour rejouer Chopin après mon premier enregistrement. J'avais joué ses œuvres, mais je ne les enregistrais pas. Je pense que c'est un compositeur dont la musique pose nombre de difficultés interprétatives. Sur piano moderne, sa musique peut facilement devenir explosive, ce qui arrive assez souvent.
RM : Quel est votre secret pour préparer une interprétation ?
LOA : Il s'agit essentiellement de travailler avec la partition, avec ce matériel. J'essaie de découvrir par moi-même tous les récits qui peuvent exister, et en travaillant avec la partition, l'histoire devient de plus en plus complexe et riche. Habituellement, avec de la bonne musique, sa valeur se manifeste après un certain temps. Mon approche ne vient pas naturellement, alors je dois trouver différentes manières, qui doivent être plus extrêmes ici et là. Beaucoup de gens jouent bien du piano, mais tout se passe grâce à une sorte d'intuition, ce qui est extrêmement important. Je veux dire que très souvent, ce sentiment induit la première idée, mais ensuite vous devez vraiment penser à ce qui se passe.
Pour ce qui est des facteurs musicaux supplémentaires, je dirais qu'ils sont vraiment secondaires, mais qu'ils sont, bien sûr, intéressants à connaître. Par exemple, cela m'intéresse de connaître le compositeur, mais je n'utilise pas consciemment cette donnée pour interpréter l'œuvre. La ballade est peut-être le titre le plus suggestif que nous avons de lui. Et pourtant, c'est de la musique pure, et qui ne suit aucun « programme » prédéfini. Sa Ballade en fa majeur est une sorte de portrait de Schumann, je pense, car elle lui était dédiée et se compose d'épisodes « séparés ». Dans certaines parties, elle est très innocente et pure, ce qui rappelle Schumann, son alter ego par effet de miroir. Ensuite, il y a le côté sauvage, qui continue jusqu'au bout, et la coda, bien sûr, qui est explosive. Même si à la fin, vous voyez la structure de manière triste et intime, je suis donc raisonnablement sûr que cette page est une sorte de portrait de Schumann.
RM : Nous aimons votre remarque sur l'intuition. En premier lieu, il y a quelque chose qui vient intuitivement et ensuite, vous travaillez dessus. C'était pareil avec Chopin.
LOA : Je veux dire, Chopin est un compositeur sophistiqué et il y a beaucoup de réflexion et de calcul impliqués dans ce qu'il a fait, mais comme vous le dites, je suis sûr que la première idée venait très souvent sous ses doigts alors qu'il était assis au piano. Je pense que la musique de ce compositeur est en grande partie issue de ce processus, une sorte d'improvisation, peut-être pas toujours avec le piano, mais aussi en imaginant au piano. Et cette musique est tellement née sous les doigts ; cela leur va comme un gant et n'aurait pas pu être écrit pour l'orchestre.
« Les pianistes ignorent tout le temps la main gauche parce que notre oreille va très vite vers la main droite. »
RM : Auriez-vous un conseil à donner aux jeunes pianistes concernant la pratique ?
LOA : Quand j'enseigne, il y a des choses sur lesquelles je reviens toujours. Les pianistes ignorent tout le temps la main gauche parce que notre oreille va très vite vers la main droite. Ce dont je parle le plus quand j'enseigne, c'est la conscience de la main gauche, la base de tout, aussi en ce qui concerne la technique. J'insiste sur l'idée qu'il faut sentir la main gauche comme un chef d'orchestre. Elle doit d'abord sentir le pouls de la mélodie, et ensuite, la main droite suit beaucoup plus facilement par elle-même.
RM : Quelle place la musique de chambre occupe-t-elle dans votre vie artistique ?
LOA : La musique de chambre est très importante dans ma vie. Cela a toujours été le cas, mais surtout lorsque j'ai commencé à faire des concerts. J'ai beaucoup joué de cette musique avec différents artistes norvégiens et d'autres musiciens. Plus tard, j'ai rencontré le violoniste Christian Tetzlaff et nous avons joué beaucoup de duos ensemble. Je ne peux pas imaginer une vie sans musique de chambre car il n'y a rien de plus naturel que de se réunir avec quelques amis pour jouer cette musique, comme on le faisait jadis, on se sociabilisait à la maison. Quand vous étiez un musicien amateur, vous jouiez avec des amis et c'est une perte terrible pour la société d'aujourd'hui de ne plus avoir cette façon naturelle de faire de la musique à tous les niveaux. Mais c'est comme ça qu'est née une aussi grande partie de cette musique, qui occupe toujours une part très naturelle de mon activité, même si j'en fais moins.
Avec mon épouse, nous avons eu notre premier enfant il y a neuf ans et nous en avons maintenant trois. À mesure que ma famille grandissait, j'ai réduit le nombre de mes concerts. Malheureusement, j'ai également réduit un peu mes activités de musique de chambre. C'est pourquoi j'ai maintenant un ou deux projets avec des artistes. J'ai mon propre festival tous les ans en août, à Rosendal, en Norvège. Je connais des pianistes qui disent qu'ils n'accompagneraient jamais des chanteurs de lieder, même si je ne peux pas imaginer ce que cela peut être. Je ne peux pas imaginer une situation dans laquelle je ne pourrais pas jouer les cycles de Schubert, travailler avec un grand chanteur ou avec un quatuor de Brahms.
« La musique de chambre est très importante dans ma vie. »
RM : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre Festival ?
LOA : Cela dure quatre jours et c'est très concentré : dix concerts, quelques conférences et une vingtaine de musiciens. Cette année, nous avons aussi un orchestre à cordes, donc il y aura plus de musiciens. L'idée est que la plupart des musiciens restent durant toute la période. Nous n'avons pas d'artiste qui ne participe qu'à un seul récital, ils participent à différents programmes. J'aime vraiment travailler sur un thème. Ainsi, l'année dernière, par exemple, nous n'avions joué que de la musique de la Première Guerre mondiale, des pièces écrites entre 1914 et 1918, et c'était très intéressant. Nous avons eu des expériences fantastiques à écouter non seulement le Quatuor à cordes n° 2 de Zemlinsky, qui est une sorte de pont entre Mahler et Schoenberg, mais aussi des pages de Charles Ives, Scriabine, Bartók, Nielsen et Elgar. C'était du romantisme tardif à Anton Webern, ce qui nous a laissé tout un spectre d'expressionnisme.
RM : Y a-t-il eu des découvertes de répertoire peu connu ?
LOA : J'ai mentionné le Quatuor à cordes n° 2 de Zemlinsky, une pièce absolument incroyable. De plus, j'ai joué pour la première fois un morceau de Busoni : une improvisation pour deux pianos sur un choral de Bach. C'était ma première pièce de Busoni. J'ai aussi interprété le Quintette pour piano et cordes n° 2 de von Dohnányi, ce qui a été une grande découverte pour moi. La Concord Sonata de Charles Ives, jouée par Bertrand Chamayou, était également un vrai événement.