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Genève. Grand Théâtre. 27-VI-2019. Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) : La Belle au Bois dormant op. 66, ballet en un prologue, trois actes et cinq tableaux d’après le conte de Charles Perrault et des frères Grimm. Chorégraphie : Jean-Guillaume Bart (d’après Marius Petipa). Décors et costumes : Olga Shaishmelashvili. Lumières : Evgeny Ganzburg. Avec Alla Bocharova (Aurore), Elena Chernova, Svetlana Svinko, Andrey Sorokin (le prince Désiré), Stepan Demin, Denis Klimuk, Artyom Pykhachov. Yacobson Ballet, Saint-Petersburg State Academic Ballet Theater. Saint Petersburg State Academic Symphony Orchestra, direction : Alexander Titov
Pour l'ultime spectacle de l'ère Tobias Richter au Grand Théâtre de Genève, la troupe de ballet Yacobson de Saint-Pétersbourg propose une Belle au Bois dormant de Tchaïkovski maîtrisée dans la rigueur au détriment des émotions artistiques.
Peut-être faut-il être un très grand spécialiste du ballet pour comprendre l'intérêt qu'un scénographe peut trouver de reconstruire quasiment à l'identique une scénographie vieille de presque 130 ans ? Est-ce pour faire saisir au spectateur de ce siècle combien la danse actuelle est plus performante que celle de nos aïeux ? Alors quand on se place comme un spectateur ignorant des subtilités avouées ou cachées de la danse, que voit-on dans ce spectacle qui, depuis quelques années, sillonne les scènes européennes ?
Si les décors efficaces et les beaux costumes (Olga Shaishmelashvili) apparaissent quelque peu fatigués par les innombrables représentations de la tournée européenne, les danseurs le semblent plus encore. Certes sur les visages des solistes, les sourires sont présents. Comme pour nous convaincre que danser est une joie sans douleur. Toutefois, cette apparente image de bonheur ne parvient pas à cacher la routine qui habite quasi l'entier du ballet. Bien sûr, les pas sont impeccablement exécutés, les entrées et les sorties sont parfaites, l'enchaînement des scènes ne souffre d'aucune hésitation. Les femmes tournoient, les hommes sautent. Mais que tout cela manque de potentialisation. Tout est si répété, si ressassé, si repris jour après jour, scène après scène, que la fibre artistique, l'étincelle géniale semblent éteintes. On ne s'ennuie pas, mais on ne rêve pas. On aimerait qu'un geste soudainement improvisé fasse chanceler la routine, esquisse l'ombre de l'humain et ses failles. Mais, rien. On reste sur sa faim.
Dans la fosse, le chef d'orchestre Alexander Titov tient son Saint Petersburg State Academic Symphony Orchestra avec mesure et précision. Mais sous les effets dévastateurs de la chaleur caniculaire régnante, même la musique de Tchaïkovski semble souffrir de somnolence.
L'idée chorégraphique de Jean-Guillaume Bart propose une narration du conte de Perrault dont le résultat n'est pas pour déplaire. Tout y est. La couronne sur la tête du roi et de la reine, une plus petite sur celle d'Aurore, la quenouille. Chacun se remémore ainsi aisément l'histoire qu'il a entendue dans sa tendre enfance. Tout juste ne se souvient-il pas pourquoi la fée Carabosse en veut tant au roi et à la reine pour jeter son sort maléfique sur Aurore. Pendant l'ouverture du prologue, savamment éclairée (Evgeny Ganzburg), une furtive image de Carabosse chassée du royaume lui remet en mémoire les raisons de sa volonté vengeresse.
Rien ne ressemble plus à une ballerine qu'une autre ballerine. Ainsi, en absence de feuille de distribution, il est vraiment malaisé de reconnaître les solistes. À de rares exceptions près. Le couple Alla Bocharova (Aurore) et Andrey Sorokin (le prince Désiré) échappent à l'anonymat. Elle, plus par sa manière insistante (connue des spécialistes) de solliciter les applaudissements après chaque variation que par sa danse qui nous est parue dans la retenue, et lui, qu'on voyait peut-être plus dynamique dans ses sauts, par son contentement d'un travail bien fait. Il faut scruter attentivement le corps de ballet dans lequel pourtant figurent des « pointures » de la danse pour déceler quelqu'un ou quelqu'une qui ne pourrait réfréner sa corde artistique. Mais tout reste dans le moule, rien ne dépasse. C'est peut-être cela être un artiste selon la conception d'un ballet traditionnel russe. La rigueur triste, rien que la rigueur.
Alors, dans cette brume, il y a bien sûr l'élément perturbateur. Celui qui, en un geste, en deux seuls pas enlevés fait émerger l'évidence. L'entrée de la fée Carabosse (Svetlana Golovkina ?), dans sa robe de tulle noire à la doublure de satin violet apporte ce qu'on attend depuis le début : la touche artistique. Le dépassement de soi-même vers l'interprétation, vers l'incarnation du personnage. Moments de grâce absolue, de lumière bienfaisante.
Il faut attendre l'arrivée de quelques personnages annexes au conte, comme le Chat Botté, le Petit Chaperon rouge et son loup, ou l'Oiseau bleu pour que s'anime encore quelques instants cette Belle au Bois dormant sans grand génie.
Crédit photographique : © Mikhail Logvinov (les images ne sont pas celles des protagonistes du spectacle de Genève)
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Genève. Grand Théâtre. 27-VI-2019. Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) : La Belle au Bois dormant op. 66, ballet en un prologue, trois actes et cinq tableaux d’après le conte de Charles Perrault et des frères Grimm. Chorégraphie : Jean-Guillaume Bart (d’après Marius Petipa). Décors et costumes : Olga Shaishmelashvili. Lumières : Evgeny Ganzburg. Avec Alla Bocharova (Aurore), Elena Chernova, Svetlana Svinko, Andrey Sorokin (le prince Désiré), Stepan Demin, Denis Klimuk, Artyom Pykhachov. Yacobson Ballet, Saint-Petersburg State Academic Ballet Theater. Saint Petersburg State Academic Symphony Orchestra, direction : Alexander Titov