L’intégrale des Études de Philip Glass à la Philharmonie de Paris
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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 17-V-2019. Philip Glass (né en 1937) : Intégrale des 20 Études pour piano. Avec : Philip Glass, Aaron Diehl, Timo Andres, Célimène Daudet, Thomas Enhco, Maki Namekawa, Nicolas Horvath, Anton Batagov, Marielle Labèque, Katia Labèque, piano
Deux soirées à guichets fermés depuis des mois dans la Grande salle Pierre Boulez. Un unique Steinway pour dix pianistes, dont le compositeur en personne. Les vingt Études de Philip Glass, un voyage hautement recommandable.
Les Études de Philip Glass font figure de classique instantané dès la parution, en 2014, de la splendide intégrale de Maki Namekawa chez OMM. Horvath, Gorižek, van Veen, Batagov, Whitwell, Lin permettent aujourd'hui le dénombrement de six intégrales en cinq ans ! La force de ce corpus inspiré tient aussi à sa durée (reprises comprises), à l'agencement savant de ses numéros. Et aussi à une variété d'atmosphères à rebours de ce qu'on a trop longtemps lu sur un compositeur qui est parvenu, à partir du minimalisme (nécessaire « coup de pied dans la fourmilière sérielle » rappelle-t-il) dont le créditent encore ceux qui ne sont pas descendus du train fou d'Einstein on the beach, à réintroduire le romantisme en musique banni par quelques décennies d'assèchement dodécaphonique.
Glass a composé ses Études sur 21 années (de 1991 à 2012) afin de parfaire sa propre technique pianistique. L'on est effectivement bien au-delà, en terme de difficulté d'exécution, de ses Métamorphoses de 1988. La quasi-totalité des études du Premier Livre fêtèrent, en 1994, l'anniversaire de son ami Dennis Russell Davis, les autres naquirent ensuite au gré de commandes et événements divers, les trois dernières célébrèrent les 75 ans du compositeur. Cet étalement dans le temps permet d'appréhender l'évolution d'un style et constitue le premier intérêt de la soirée. Le second, via l'invitation faite par Glass à neuf autres pianistes, est l'approche stylistique desdits pianistes. Ceignant le Steinway, dix tabourets (sur lesquels on regrette un temps que chaque artiste ne reste pas assis après sa prestation), pré-réglés à des hauteurs différentes, seront seulement échangés par un manutentionnaire zélé, applaudi – gag récurrent – à chacune de ses apparitions !
Fêté avant d'avoir émis la moindre note par une sonore ovation (un peu comme Barbara, dont Bedos disait qu'elle était « la seule chanteuse vivante qu'on applaudissait comme si elle était morte »), Glass donne le coup d'envoi. En percevant sa difficulté à faire surgir la mélodie ascendante du tournoiement introductif qu'il a lui-même composée pour l'Étude n° 1, on pense au documentaire de 2005, Looking Glass, où il avouait avec une humilité non feinte devoir retravailler la Métamorphose n° 2, au motif qu'elle ne coulait plus aussi aisément sous ses doigts. Et c'est avec une tranquille élégance qu'il passe ensuite le relais à des artistes qui n'avaient pas attendu cette soirée-événement pour ajouter le nom de Glass à leur répertoire.
Aaron Diehl, d'abord, contrasté et rythmique, puis Timo Andres, ovationné, par-delà l'intériorité nocturne de l'Étude n° 5, pour l'irrésistible et très lizstienne Étude n° 6 (la plus obsédante, dont la dramaturgie haletante méritait bien une seconde chance après une première apparition chorale dans le trop méconnu Perséphone de 1994). Pareille ovation aurait dû cueillir Célimène Daudet qui, outre sa remarquable gestion du phrasé de la n° 7, fait preuve d'une infinie délicatesse dans sa façon de faire surgir la hauteur mélodique de la si prégnante n° 8 (elle aussi déjà à l'œuvre dans le film The Truman show de 1998). Le public de Glass serait-il comme trop d'autres avide de performance ? C'est ce que semble confirmer l'accueil fait ensuite à Thomas Enhco, effectivement impressionnant dans sa façon de transformer progressivement la motoriste et redoutable n° 10 (la plus proche d'Einstein) en un jeu d'enfant en baskets d'une souplesse féline très communicative.
La gracieuse apparition, en kimono, de la fidèle Maki Namekawa (Madame Russell Davis à la ville) met fin à l'entracte. À sa virtuosité lisible et sa puissance de feu prête à surgir, indispensables dans l'écriture chargée de la n° 11 comme de la schubertienne n° 12, succède le jeu enflammé et assez rockstar de Nicolas Horvath, l'homme qui, douze heures durant, donna en 2016, au même endroit, tout le piano de Glass, mais aussi le premier à faire entendre l'intégrale des Études à Carnegie Hall dès 2015 (lire notre entretien). Puis c'est un virage à 180° avec la probité du très sérieux Anton Batagov qui fait durer le plaisir en étirant à l'envi le tempo de la superbe n° 16.
Enfin les sœurs Labèque, pour qui Philip Glass a composé en 2015 un Concerto pour deux pianos dont l'on épie toujours l'enregistrement, apparaissent séparément (une première pour beaucoup !) pour apposer, sur l'émotion de ces trois heures intenses, et, contre toute attente, d'une unité inespérée, le sceau d'un classicisme tranquille. Marielle fait son miel d'autres réminiscences de The Truman show revenues hanter la n° 17. Et l'on n'est pas près d'oublier la version de la n° 20 et ultime Étude : Katia Labèque, cernée d'un rond de lumière, arrête le temps avec les dix minutes de cette pièce lentissime qui semble ne jamais vouloir finir, où les silences disent autant que les notes. Comme un adieu apaisé à la Musique, à la Terre, à la Vie.
Crédits photographiques : © Cédric Alet / Philharmonie de Paris
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