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Estonie. 2-V-2019 : Tatjana Kozlova-Johannes (née en 1977) : The beauty of decay
3-V-2019 : Norbotten Neo (Rihm, Urrutia, Tally, Tsougas…) ; Estonian National Symphony Orchestra (Tamberg, Ho-Chi So, Wennäkoski, Nante…) ; Copeco Collective (Farhang, Richter, Hettne…).
4-V-2019 : Collegium Musicale (Kecskés, Matson, Prinsloo, Vähi…) ; Estonian Philharmonic Chamber Choir : Borzik, Tulve, Simaku, Henderickx…
5-V-2019 : Kadri-Ann Sumera et Talvi Hunt, piano (Sink, Kangro, Rataj, Eastwood…) ; Tallinn Chamber Orchestra (Tarm, Han, Porebski, Hirsch, Rääts…) ; Ensemble for new music Tallinn (Schubert, Cohen, Filifei, Vinetz, Prins)

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Foto: Rene Jakobson / renejakobson@hotmail.comFestive, chaleureuse et galvanisante, l'édition 2019 du festival Estonian Music Days offre cette année un riche éventail de la création sonore, sans effacer pour autant l'identité de l'Estonie, la tradition chorale notamment, dont s'enorgueillit le pays.

Estonian Music Days fête en effet cette année ses quarante ans d'existence et invite pour l'occasion les forces vives d'un autre festival, World New Music Days, organisé par l'ISCM (International Society of Contemporary Music). Chaque année, à l'occasion des World New Music Days, un concours est organisé par les membres de l'association pour faire émerger un compositeur âgé de moins de 35 ans de chaque pays, dont l'œuvre est exécutée durant le festival : autant de pièces infiltrant la programmation du festival estonien intitulé, bien à propos, Through the forest of songs (« À travers la forêt des chants »).  Si la jeune génération est sous les projecteurs de cette édition spéciale, et présente à Tallinn pour l'occasion, le festival a passé de nombreuses commandes aux compositeurs estoniens, en moyenne une par concert, avec l'engagement de planter un arbre à chaque nouvelle œuvre entendue.

Au sein de l'Estonian composer's ensemble, , compositrice et co-responsable de la programmation, est aussi impliquée en tant qu'exécutante, manipulant des objets sonores dans le concert d'ouverture, The beauty of decay (« La beauté du délabrement ») de la compositrice russe Tatjana Kozlova-Johannes. Le spectacle est accueilli dans l'espace ouvert du Musée de la marine, ancien hangar abritant les hydravions, qui a été restauré en 2011, année où Tallinn est choisie comme capitale européenne de la culture. Les interprètes tous amplifiés (une flûte, quelques cordes, deux guitares et des objets sonores proches du Cristal Baschet) sont installés sur le pont de deux navires suspendus au-dessus des têtes. Bien en vue, sur le côté gauche, la récitante Eva Eensaar-Tootsen lit des textes (en anglais et en estonien), référant à l'automne, au crépuscule, à la désintégration des choses (« life and death, peace and war ») en lien avec la menace qui pèse sur notre environnement. Sonneries, souffles et lignes instrumentales épurées participent de ce cérémonial au caractère sacré. La méditation inclut une sorte de prière chantée par un baryton, la performance de jeunes danseurs et un chœur final pré-enregistré, le tout inscrit dans un temps étal, invitant à une écoute recueillie : un rituel qui n'est pas sans évoquer la sphère mystique d', compositeur tallinnien programmé cette année dans cette grande fête de la création.

Les grands formats

C'est au Concert Hall d'Estonie, jouxtant l'Opéra de Tallinn, une salle type « boite à chaussures » à l'acoustique généreuse, que l'on retrouve l'Orchestre Symphonique National dirigé par l'excellent , dans un des concerts les plus marquants de ce premier week-end. Parmi les six œuvres à l'affiche, toutes de qualité et fort bien défendues par les interprètes, le concerto pour guitare Susurrus (2016) de (lauréate ISCM Finlande) se distingue par la finesse et l'invention d'une écriture où l'orchestre devient la caisse de résonance de la guitare. L'énergie du geste sur l'instrument soliste et les trouvailles (désaccord de la corde grave pour amplifier la résonance) font rayonner de manière étonnante cet instrument qu'il est si difficile de confronter à l'orchestre. Fort appréciée également, La pérégrination vers l'ouest (2016) d' (lauréat ISCM France) relate le parcours initiatique du moine bouddhiste Xuanzang selon le récit du poète chinois Wu Cheng'en. Entre cordes luxuriantes et pureté cristalline des aigus, Nante privilégie la transparence des textures et l'irisation des résonances, avec une sensibilité et un élan intérieur très communicatifs. Worlds… break the soundness du Tallinien Ülo Krigul, commande du festival donnée en création, déploie un geste d'une dramaturgie puissante avant de dissoudre les tensions dans une longue coda méditative et toute mahlérienne.

Fotograaf Sven Tupits, sven@fotogeen.com; tel 5092674

Si l'acoustique de la Philharmonic Society House of Blackheads n'est pas idéale pour les cordes de l', la phalange dirigée par son chef , par ailleurs directeur artistique et chef de la Philharmonie, n'en réalise pas moins une performance, offrant dans cette programmation un panel extrêmement riche d'écritures et d'esthétiques différentes pour les cordes, de l'énergétique Point Pooints Pooointss… du Sud-coréen DaeSeob Han (lauréat ISCM) au Concerto pour orchestre de chambre aussi court que revitalisant du doyen de l'édition, Jaan Rääts (né en 1932). Citons encore d'Adam Porebski (lauréat ISCM Pologne) Semi-Ouverture, pour ses couleurs et l'intensité d'un discours subtilement conduit. Enfin, Löuend / Canvas de l'Estonienne Liisa Hirsch, commande du festival, relève de l'esthétique spectrale assez peu représentée dans l'ensemble de ce premier week-end. Liisa Hirch ausculte la matière dans une approche microscopique du son et une sensibilité microtonale dont les cordes expertes de l'ensemble révèlent toute la finesse.

Les chœurs les plus réputés de la ville de Tallinn partagent l'affiche du festival au même titre que les ensembles instrumentaux. À l'église du Dôme, la ductilité des voix du Collegium musicale dirigé par Kristel Marand, et l'homogénéité des registres servent admirablement le sobre Alleluja (2018) du Hongrois Balázs Kecskés D., qui stylise la jubilation à travers les mouvements d'ondes des voix féminines. Plus aventureuse, Mihyun Woo (lauréat ISCM Corée du Sud) sculpte sa matière dans Voices in Landscape (2008) en jouant subtilement sur la variété des émissions vocales. Si l'invocation à la pluie (Pula! Pula!) de Franco Prinsloo (lauréat ISCM Afrique du sud) semble un peu sage dans l'interprétation très lissée du chœur, Siberian Trinity Mantra (2019) pour voix mixtes, tambour chamanique et support électroacoustique de l'Estonien ne manque pas de ferveur.

Fotograaf Sven Tupits, sven@fotogeen; tel.5092674

À l'église Saint-Nicolas cette fois, le Chœur de chambre philharmonique affiche deux créations mondiales sur les cinq œuvres au programme. Rejoignant elle aussi la thématique du festival dans Nächtliche Gesänge (Chants nocturnes) donné en création, met en musique deux textes de Paul Celan et Hilde Domin. Avec une maîtrise étonnante de l'écriture vocale, la compositrice déploie un espace polyphonique mouvant dont la transparence des textures préserve la lisibilité du texte. Chaleureuse autant que retenue, l'expression se coule dans un temps lisse propice à la méditation. Originale et très bien défendue par l'ensemble dirigé ce soir par Kaspar Putninš, la seconde création mondiale Ek het jou lief de l'Estonien Toivo Tulev fait appel à un texte pluri-linguiste (langues baltes, anglo-saxonnes, latines, etc.) jouant sur les couleurs et les sonorités plurielles articulées dans un temps lisse et un flux continu. Blossomings. Three Prayers for a Better World pour trompette, sons électroniques et chœur mixte du flamand (lauréat ISCM) tend vers un syncrétisme religieux, en hommage au compositeur anglais et sa quête de spiritualité. Avec son bourdon (partie électronique) installé sur toute la durée, la pièce se veut ritualisante, incluant une partie de trompette virtuose (Indrek Vau un peu à la peine) qui alterne avec le chœur dans un cérémonial un rien redondant.

Du solo à l'ensemble

Fondé en 2007, le Norbotten Neo que l'on écoute dans la petite salle de l'Opéra vient de Suède. Après Über die Linie VI du prolifique , MadUren Malkoak de la compositrice basque (lauréate ISCM) fait appel à la voix de mezzo de Monica Danielson au côté de cinq instruments. Le timbre populaire et son profil ornemental affleurent dans cette manière de berceuse aussi fragile qu'intime, où la chanteuse joue avec les phonèmes d'un langage inventé. Si le théâtre musical du Suédois Mikael Edlung, Lost Jugglery, pour mezzo-soprano, percussion, piano et violoncelle est un brin daté, The Turn de l'Estonienne Mirjam Tally pour six instruments nous séduit par l'énergie cinétique et la plasticité du matériau mis à l'œuvre.

Issu de Copeco Collective, trois garçons nous donnent rendez-vous à l'Académie de Musique et de Théâtre de Tallinn. Le violoncelliste estonien Teemu Mastovaara, fort sollicité dans un programme exigeant, interprète A capella (2017) du compositeur iranien (lauréat ISCM France). Au format des Alla breve de France Musique, la pièce évolue entre énergie et fragilité, sondant la matière sonore pour en dévoiler progressivement les composantes spectrales. Le violoncelliste fait surgir une palette de couleurs étonnante sous son archet, dans une sensibilité microtonale et un cerne mélodique aux lointaines inflexions persanes. Kristin Kuldkepp (contrebasse) et Felix Stachslhaus (percussion) ne déméritent pas dans un concert de haute tenue. De Jenny Hettne (lauréate ISCM Suède), Bells and Tides (Cloches et Marées) pour violoncelle et percussion tire son inspiration de la musique karnatique. Ses modes et ses rythmes sont recherchés sur un violoncelle aux cordes préparées et à travers le set de percussions : un voyage dépaysant offert par les deux interprètes en parfaite synergie.

À l'académie des Beaux-Arts, un établissement ouvert il y a peu, trois mini-concerts : au programme du duo de percussion (Vambola Krigul et Madis Metsamart), Child of Tree (1975), une rareté de , est conçu pour percussion solo et environnement végétal très amplifié où l'interprète caresse les cactus et autres corps sonores naturels sous l'effet grossissant des micros. À l'étage supérieur, le duo de clarinettes Helena Tuuling et Signe Sõmer, malgré des conditions d'écoute difficiles, nous fait découvrir Passage secret (1999) d'Elena Tulve, une pièce intimiste jouant sur la contraction et dilatation de l'espace cerné par les deux lignes mélodiques. C'est à un maxi-concert, qui restera gravé dans les mémoires, que nous convient les deux pianistes, (une enfant du pays) et Talvi Hunt. Spécialisées dans le répertoire d'aujourd'hui, les deux interprètes conjuguent énergie, virtuosité et écoute mutuelle pour servir d'un même engagement toutes les pièces interprétées. Dans Dream sequence of an ancient Forest, commande du festival passée à la compositrice Madli Marje Sink, mégaphones, pianos préparés, impacts percussifs et voix mêlées sont autant de ressources finement dosées pour entretenir le mystère et l'inquiétante étrangeté de cette vision onirique. Étoile double (IV) de la Japonaise Miyuki Ito (lauréate ISCM) investit les capacités résonnantes des deux pianos dans un espace éclaté et bien sonnant. Retro I d'après la Sonate pour deux pianos de Raimo Kangro emprunte le « stilo barbaro » de Bartók soumis à des techniques de jeu étendues (notes préparées) et sollicitant une énergie décuplée de la part des deux pianistes. Touch pour piano solo et électronique de Douglas Knehans (lauréat ISCM États-Unis) confronte une partie de piano avec son double électronique. En création mondiale, sinikõrgustele (« hauteurs bleues infinies ») de Riho Esko Maimets, superbement interprété par les deux pianistes, semble rejouer les Jeux d'eau à la villa d'Este à l'envi jusqu'à la crispation du geste et la saturation sonore finale. Plus aventureuse et originale, Interference de Simon Eastwood (lauréat ISCM Nouvelle-Zélande) mobilise une pianiste et son assistante jouant dans les cordes de l'instrument pour en distordre et métamorphoser en direct les sonorités. Sans manifester la moindre fatigue et avec un naturel confondant, les deux pianistes terminent ce marathon avec Magna Mater. Cybele pour deux pianos, une pièce d'envergure orchestrale de Livia Teodorescu-Ciocanea (lauréate ISCM Roumanie).

Foto: Rene Jakobson / renejakobson@hotmail.com

Nombreux aujourd'hui sont les ensembles estoniens dédiés à la musique contemporaine. En témoignent les diverses phalanges spécialisés invitées au festival : Una Corda, réunissant le Kannel estonien, la harpe et le clavecin ; le Nouvel Ensemble de l'Académie estonienne de Musique et de Théâtre ; Afekt soloists incluant l'électronique ; l'Association estonienne de musique électronique, fondée il y a tout juste un an et travaillant au développement des nouvelles technologies, que l'on retrouve à l'œuvre dans les studios de la Radio ; enfin, l'Ensemble pour la nouvelle musique de Tallinn qui clôture ce week-end pléthorique par un concert multi-média haut en images, réunissant quelques grandes figures internationales au côté des deux lauréats, Shai Cohen (ISCM Israel) et Max C. Vinetz (lauréat Stephen F. Austin State University). D' d'abord, Star Me Kitten (2015), bien défendu par l'Ensemble, est une sorte de « concert lecture » musclé autant qu'humoristique, où interagissent la parole (), le son instrumental, l'image et l'outil électronique. I funerali dell'Anarchico Serantini de mobilise la voix et le geste revendicateurs de six musiciens alignés devant une table dans une performance à laquelle manque ce soir une certaine synergie pour conférer à cette action sonore toute son efficacité.

Au terme de la soirée, le violoncelliste Teemu Mastovaara déjà cité et le percussionniste Félix Stachelhaus sont mis en scène dans Generation Kill – offspring 1 de l'artiste sonore belge . À l'instar du Danois Steen-Andersen, Prins génère une ambiguïté entre réel et virtuel en confrontant l'interprète et son image vidéo, le son instrumental et la bande pré-enregistrée. S'ensuit un spectacle audio-visuel un peu fou et un rien déstabilisant, fort bien assumé par les deux performeurs, même si la conception ne va pas sans longueur.

Crédits photographiques : photos 1, 5 ©  Rene Jakobson  ; photos 2, 3 © Sven Tupits ; photo 4 © Karin-Liis Tambaum

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