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Réflexions sur le corps et l’âme des folles (et fous !) d’opéra

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Anatomie de la folle lyrique. Wayne Koestenbaum. La rue musicale, Philharmonie de Paris. 444 pages. 16,90 €. Janvier 2019

 

Il vaut mieux prévenir d'emblée ceux à qui le titre français amusant et accrocheur de ce livre pourrait faire penser à des Chroniques de San Francisco de l'art lyrique, qu'il ne s'agit pas d'un aimable divertissement, mais d'un manifeste psychologique, sociologique et politique, dont on a bien du mal à discerner les enjeux.

Anatomie-de-la-Folle-lyriqueL'auteur, Wayne Koestenbaum, est né en 1958. Il va très peu au concert, il préfère écouter, chez lui, des enregistrements sur une platine vinyle, ne s'étant jamais habitué aux CD, sans parler des plateformes Internet ! Ses divas préférées sont , , ou , bref, la plus récente n'ayant pas dépassé les seventies, alors que l'édition originale de ce livre date de 1993 (The Queen's Throat : Opera, Homosexuality, and the Mystery of Desire). Il se souvient du temps où le magazine Opera News encourageait ses lecteurs à colorier dans ses pages les artistes en costumes de scène pour se figurer la radiodiffusion du Met du samedi après-midi. On a l'impression de se promener dans les souvenirs d'une personne d'un autre siècle, et pourtant, dans un style alerte, ses réflexions extrêmement documentées font souvent mouche, même s'il faut parfois avoir du courage pour en venir à bout.

Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'une folle lyrique ? Pour notre part, il s'agissait jusqu'à présent de l'ami cher, homosexuel, se définissant comme tel par autodérision, présent à toutes les représentations d'un opéra, incollable sur le parcours de telle ou telle cantatrice, celui à qui on donne rendez-vous à l'entracte, pour profiter de son humour mordant et des derniers potins du monde lyrique. Wayne Koestenbaum le décrit de son côté comme un homme ou une femme réduit au silence et à la dissimulation, ne pouvant s'exprimer, par l'âme et par le corps, qu'à travers la voix des divas. Tout dans cet ouvrage exsude la solitude et le refus de soi-même, et ça fait vraiment mal de le lire.

En sept chapitres courts, magistralement rédigés, mais souvent arides, l'auteur exprime la personnalité de la folle lyrique, celle qui « va à l'opéra pour basculer au delà des limites, une façon de poursuivre des désirs qui n'ont rien à voir avec les organes génitaux », qui se demande si elle va « à l'opéra pour (nous) débarrasser de notre corps ou le reconquérir », avec la description de quelques tics que nous avons tous, tel celui de se précipiter aux toilettes avant la représentation, afin que les contingences corporelles ne nous gâchent pas le spectacle, ou celui d'établir des listes, celles des concerts auxquels nous avons assisté, des disques que nous avons achetés, ou autres encore : « les listes sont une prophylaxie contre la perte ». On a fort envie de lui demander si cette façon de vivre est universelle, ou concerne uniquement les gays, ce que l'auteur semble considérer comme allant de soi.

Il continue ensuite par le culte de la diva, ses façons de vivre, ses débordements, et se montre surtout fasciné par sa gorge, lieu de tous les fantasmes, et aussi par le déni de son propre corps, qui ne peut se donner chair qu'à travers la voix d'une autre. À vrai dire, on n'avait jamais imaginé les choses ainsi.

Wayne Koestenbaum, qui prophétise la fin d'une sorte de contre-culture gay basée sur la fascination de l'opéra, utiliserait-il les mêmes mots actuellement, à l'heure où il n'est toujours pas évident, mais quand même bien plus facile, de « sortir du placard », à une époque où le sida n'est plus une hécatombe, même s'il convient de rester extrêmement  vigilant, et où le développement des réseaux sociaux permet de s'exprimer plus librement  ?

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Anatomie de la folle lyrique. Wayne Koestenbaum. La rue musicale, Philharmonie de Paris. 444 pages. 16,90 €. Janvier 2019

 
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