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Voici le temps des anniversaires, sept orchestres français fêtent leurs 40 ans (1) et l'Orchestre National de France deux fois 40 ans. Soit globalement une vie de travail pour un musicien. Est-ce aussi une fête pour les jeunes musiciens ?
C'est en 1975 que l'ORTF cesse d'exister, avec lui le réseau d'orchestres de radio disparaît. Marcel Landowski est chargé de reconstituer et de développer le maillage des orchestres en France. Ainsi de 1969 avec l'Orchestre de Paris jusqu'à 1987 avec l'Orchestre de Saint-Étienne, s'étale la création d'une dizaine d'orchestres. Leurs musiciens prennent maintenant leur retraite et depuis quelques années un « turn-over » se met en place. Pendant encore quelques années les places seront nombreuses. L'on pourrait croire que c'est une chance pour les étudiants en musique qui espèrent que leurs années d'apprentissage instrumental déboucheront sur des emplois. Mais, paradoxalement, il se trouve que les orchestres peinent à trouver les musiciens de qualité susceptibles de leur convenir pour renouveler les postes. Comment cela peut-il être possible ?
En effet il faut maintenant de plus en plus souvent organiser plusieurs recrutements pour pourvoir un poste, car les concours sont jugés infructueux. Ce n'est pas nouveau : dans son étude de 1993, le département de la prospective du Ministère de la Culture relevait un indice de difficulté de recrutement qui témoignait du nombre de concours à organiser pour pourvoir un poste. Ainsi, par exemple, sur la période 1988-1991, il fallait organiser en moyenne 1,59 concours pour un poste de violon solo, 1,33 pour un poste de contrebasse tutti, 1,23 pour une flûte mais seulement un pour les postes de cors, tubas, percussions.
Ce qui est nouveau c'est qu'aujourd'hui les concours peinent à être productifs, ce pour tous types d'instruments ou d'orchestres. Alors qu'il y a 30 ans le nombre moyen de candidats pour un concours était de 9 à 20 pour des cordes et de 15 à 33 pour des vents, le minimum est maintenant autour de 25, voire plus de 80 pour des concours. Concours qui se sont généralisés avec des épreuves nécessitant deux à trois jours, tant les candidats sont nombreux. Que nous dit cette situation ? Que le déséquilibre entre l'offre de postes et la demande d'emploi des nombreux candidats serait au bénéfice de la qualité des concours ? Non, le taux d'échec élevé de ceux-ci trahit un affaiblissement qualitatif des candidats, tout du moins en regard de l'exigence souhaitée.
Mais que font les conservatoires ?
Après la création des orchestres fut mis en place le « plan de dix ans en faveur de l'enseignement musical » dit plan Landowski, qui s'est concrétisé, seulement, par la création d'un second Conservatoire National Supérieur de Musique à Lyon en 1980. Car il a fallu attendre 30 ans pour que les premiers « pôles d'enseignement supérieur » prévus par ce plan soient mis en place. Le processus de Bologne, lui, uniformise avec le reste de l'Europe les diplômes musicaux avec les Licences, Master, Doctorats.
Forts de ces nouveaux labels parachevant leurs études, les jeunes musiciens voulant accéder au secteur professionnel se retrouvent alors dans une forte concurrence. Car ce sont maintenant les élèves de dix pôles en sus des deux conservatoires supérieurs ayant tous au moins le DNSPM (diplôme national professionnel de musicien) qui prétendent à du travail.
Une tradition d'excellence
Historiquement, au sommet de l'enseignement artistique, succédant à l'Académie Royale de Musique créée en 1669, le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, et plus tard celui de Lyon ont formé les meilleurs instrumentistes et artistes pendant des siècles. Pour la période récente, les anciens des CNSMD ont constitué l'élite de la musique française et nourrissaient les orchestres nationaux et étrangers. Reconnue dans le monde entier, l'école française est à l'origine de nombreux courants. Le hautbois de Marcel Tabuteau à New-York et Philadelphie. L'école de trompette de René Voisin à Boston, son fils Roger, ainsi que Georges Mager, et Marcel Lafosse, mais aussi le bassoniste Raymond Allard et le contrebassiste Gaston Dufresne. Plus près de nous, Mathieu Dufour à la flûte à Chicago puis Berlin, le hautboïste François Leleux à l'orchestre de Munich, Yann Ghiro clarinettiste de la BBC puis à Cleveland, Philippe Litzler trompettiste à la Tonhalle de Zurich, les trombonistes Joël Vaisse et Henry-Michel Garzia illustrent les orchestres de Floride et de Bâle, etc.
Tous perpétuent la tradition d'excellence française qu'ont permis les conservatoires supérieurs. Mais ces grands noms cachent les nombreux échecs de l'enseignement de la musique, même au plus haut niveau ! Le défi des CNSMD : comment être une grande école reconnue ?
En 1995, une étude sur l'accès à l'emploi des anciens des CNSMD de Paris et Lyon (2) questionnant les diplômés de 1979 à 1990, fait ressortir un taux de réussite de 68 % pour Paris et 55 % pour Lyon. Mais seule la moitié de ceux-ci sont en CDI ! Et encore, 60 % des élus à l'emploi sont des enseignants. Finalement, seuls 24 % des étudiants des conservatoires supérieurs fournissent les orchestres et ensembles, comme permanents ou intermittents.
En 2018, le CNSMD de Paris affiche 53 % d'accès à la professionnalisation de ses étudiants mais Lyon arbore un étonnant 92 %. Comment se pourrait-il qu'un tel écart tant avec Paris qu'avec le passé soit possible ? Il est fort à craindre que ce dernier chiffre trahisse la méthodologie de l'enquête lyonnaise, et qu'il soit plutôt le reflet de l'impossible aveu des musiciens à faire part et à reconnaître pour eux-mêmes l'échec de leurs ambitions. D'autant que l'intermittence offre la possibilité de se maintenir dans l'illusion. Comme le relève Pierre-Michel Menger (3) l'on peut se plaire de relever du statut d'intermittent du spectacle sans en avoir les conditions, puisque plus de 50 % d'entre eux bénéficient du RSA et non de l'assurance chômage, par manque d'activité suffisante.
Les conservatoires supérieurs, vraiment de grandes écoles ?
Avec deux dynamiques contraires qui s'opposent, celle de l'excès de musiciens diplômés et celle d'une croissance des orchestres qui ne s'est pas confirmée, les deux CNSM doivent adapter qualitativement et quantitativement le niveau de leurs musiciens sortants. Car il ne faut pas croire que le nombre prodigieux d'ensembles dits « spécialisés » de musique baroque ou contemporaine pallie l'arrêt du maillage d'orchestres permanents dans les années 80. Ces structures travaillant au coup-par-coup (mode projet), usent de l'intermittence, et participent à l'atomisation de l'emploi musical qui fait le modèle de précarité actuel. La part de 60 % des musiciens diplômés de CNSM se tournant vers l'enseignement déjà relevée en 1995, démontre que les conservatoires de régions et écoles de musique n'étaient pas boudés par l'élite musicale. Mais aujourd'hui tout ce champ se restreint. Les écoles, notamment les plus petites, ferment et les orchestres réduisent leurs effectifs. On assiste avec cet excédent de diplômés de CNSM et de pôles supérieurs à une dilution qualitative que la difficulté des orchestres à recruter démontre.
Ce n'est qu'en adaptant leurs classes au volume d'emploi que les conservatoires supérieurs pourront retrouver l'excellence artistique qui satisfera les postes en concours et permettra aux étudiants d'accéder à l'emploi. Les talents formés il y a 30 ans en France et qui essaiment de par le monde actuellement, non seulement manquent aux orchestres français (l'Orchestre de Paris est 28e mondial) (4), mais également ne transmettent pas aux étudiants de CNSM ce qu'ils ont acquis de leur expérience internationale.
Sans une réelle remise en question, les CNSMD ne pourront prétendre au titre de grandes écoles, comme les HEC, ENS, Sciences-Po, Polytechnique dont les étudiants ont un avenir assuré. Ils ne resteront que des fabriques à chômeurs… à environ 50 %.
(1) les orchestres de Lille, Metz, Cannes, Montpellier, l'Ensemble InterContemporain, le Philharmonique de Radio-France et l'Ensemble Orchestral de Paris (aujourd'hui Orchestre de chambre de Paris).
(2) Les anciens étudiants des Conservatoires nationaux supérieurs de musique de Paris et de Lyon, de 1979 à 1990, Département des Études et de la Prospective 1995.
(3 Pierre-Michel Menger, Les intermittents du spectacle. Sociologie du travail flexible 2011 éditions EEHESS
(4) https://bachtrack.com/fr_FR/worlds-best-orchestra-best-conductor-critics-choice-september-2015
Editorial interessant relancant la polémique sur la valeur des diplomes français et l’enseignement supérieur de masse ; finalement les étudiants musiciens sont comme ceux en Psychologie, énormément d’inscrits mais peu de compétents et un taux de chomage important au final .
Les propositions PARCOURS SUP ont pourtant été très critiquées alors qu’une sélection est nécessaire et mieux vaut la faire tôt qu’au bout de 3 ou 4 ans avec les déceptions et le temps perdu .
Quelques autres remarques:
– la pénétration des musiciens étrangers dans les orchestres français qui est finalement assez mineure: moins de 10 % dans les 3 orchestres parisiens les + prestigieux ( RF x 2 ; Orchestre de Paris) et surtout dans les cordes . Les bois et les cuivres restent/gardent une spécificité nationale.
– le classement proposé est très discutable et Gergiev ou surtout Haitink ou Blomstedt ne sont pas dans le top 10 ! Quant aux orchestres on est également étonné : Staatskapelle de Berlin avant Dresde ou Boston . Ce type de classement est très aléatoire et j’ai plusieurs souvenirs de concerts ou le philharmonique de RF était merveilleux: une VII de Mahler avec V Petrenko ou pas mal de concerts avec M Franck … ces soirs là le meilleur du monde ?! Vanité des classements .