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Acteur et metteur en scène prolifique, dénicheur d'œuvres inconnues ou méprisées, Michel Fau impose depuis quelques années son univers baroque et à contre-courant sur les scènes lyriques françaises. Après le triomphe de son Ariane à Naxos au Capitole de Toulouse, il donne à redécouvrir Le Postillon de Lonjumeau d'Adolphe Adam à l'Opéra-Comique. L'occasion pour ResMusica de s'entretenir avec cet artiste singulier, hors du temps et des modes.
« S'il n'y a pas cette folie ou ce délire, alors oui, en effet, ça devient désuet, conventionnel, ennuyeux et banal. »
ResMusica : L'Opéra-comique contribue depuis quelques années à remettre à l'honneur tout un répertoire méprisé ou tombé en désuétude (l'opérette, l'opéra-comique, le grand opéra français…). Qu'est-ce qui explique selon vous qu'on y revient aujourd'hui ?
Michel Fau : Je pense que c'est le même problème qu'il y a eu dans le théâtre de boulevard ou la tragédie ; on n'apprenait plus ce répertoire, ce style. Il y a eu toute une période où on méprisait la tragédie et la comédie et, par ailleurs, le tragique lyrique était suspect. C'est très curieux. À un moment, dans l'histoire du lyrique, on était davantage sur le drame sentimental, social. Par conséquence, l'opérette ou l'opéra-comique sont devenus désuets. En plus, pour chanter l'opérette ou le grand opéra français, il faut de très grands interprètes. Il faut des gens avec des voix virtuoses et en même temps, il faut qu'il y ait une incarnation, un jeu scénique survolté. Les grands interprètes de ces œuvres-là étaient à l'époque de fortes personnalités. Quand je pense au baryton qui a créé Ciboulette – Jean Périer – il a créé aussi Pelléas, ce n'est pas rien. Ce qui est beau c'est qu'aujourd'hui, on a toute une génération de chefs d'orchestre qui ne méprisent plus cette musique et des chanteurs qui chantent avec autant de profondeur et de conviction cette musique apparemment légère que s'ils avaient à chanter du Schoenberg ou du Richard Strauss.
Quand j'ai mis en scène Ciboulette, on disait à Jérôme Deschamps que ça ne marcherait jamais, que c'était de l'opérette, que c'était ringard. Et finalement, on a refusé 100 personnes par soir ! La raison ? Des interprètes formidables. Il y avait notamment un ténor mozartien parce qu'on s'était rendu compte que le rôle était redoutable à chanter. Et puis il y avait un chef d'orchestre qui n'avait jamais dirigé cette musique mais qui y était sensible. C'est pareil sur Le postillon de Lonjumeau, on a la chance d'avoir un des plus grands ténors du monde (ndrl : Michael Spyres), on peut le dire, parce que c'est très difficile à chanter. Et puis, pour jouer la comédie et la tragédie, il faut être fou. Pendant très longtemps on a eu des chanteurs qui chantaient bien ou des acteurs qui jouaient juste mais ça ne suffit pas. Il faut avoir de la virtuosité et de la folie parce que la comédie et la tragédie parlent de la folie humaine et s'il n'y a pas cette folie ou ce délire, alors oui, en effet, ça devient désuet, conventionnel, ennuyeux et banal.
RM : Comme au théâtre, on a l'impression que vous aimez participer à la redécouverte de ces œuvres. Comment est né ce projet du Postillon de Lonjumeau ?
MF : Jérôme Deschamps m'en avait parlé et Olivier Mantei a pris le relais. En fait, ils voulaient remonter cette œuvre depuis très longtemps. J'ai découvert l'œuvre par la proposition de l'Opéra-Comique. J'ai confiance en mon désir et en mes goûts et je n'ai pas d'à priori sur les œuvres. On m'en a proposé d'autres que j'ai refusées parce qu'elles m'ennuyaient ou que je n'avais rien à dire dessus mais là, la musique m'a plu. Du beau bel canto français. Et puis, j'ai trouvé l'histoire, le fond, ce que ça raconte sur la vie, l'humain, le théâtre, très intéressant. C'est une œuvre drôle, poétique, mais aussi cruelle. Un opéra dans l'opéra aussi puisque c'est l'histoire d'un homme qui devient chanteur lyrique.
RM : Et puis c'est aussi un opéra qui comme d'autres œuvres du XIXe siècle, comme la Manon de Massenet, regarde vers un XVIIIe siècle un peu fantasmé…
MF : … c'est ça qui est beau ! Je viens de monter Ariane à Naxos à Toulouse et c'était pareil, c'est un opéra du début du XXe siècle qui rêvait autour du XVIIIe. C'est comme quand Fellini fait Casanova, il réinvente un XVIIIe siècle vu sous le prisme des années 70 et moi il n'y a que ça qui m'intéresse de revisiter, réinterpréter ou de rêver une époque révolue mais sans faire de la reconstitution historique, en la réinterprétant. C'est là où, à mon avis, il y a un geste artistique.
RM : Tout le monde connaît votre passion pour l'opéra. Pouvez-vous nous raconter un de vos grands souvenirs d'opéra en tant que spectateur ?
MF : Oui, c'est Elektra de Richard Strauss avec Gwyneth Jones et Leonie Rysanek à Orange parce que j'ai découvert une musique d'une violence inouïe, un livret d'Hofmannsthal magnifique, et puis j'ai vu des océans vocaux et en même temps de très grandes tragédiennes. J'avais l'impression de voir Bette Davis et Gena Rowlands, plus Sarah Bernhardt. Pour moi, la tragédie c'est ça. Ce n'est pas triste ou sentimental. C'est violent et ça fait peur. C'était démentiel et ça a été un choc immense même si j'avais vu aussi auparavant des choses très belles comme Montserrat Caballé dans La Force du destin. J'ai toujours aimé l'opéra depuis que je suis petit.
RM : Qu'est ce que ça représente pour vous ?
MF : Tous les matins je me lève et je mets de l'opéra. Ce matin, c'était Faust de Gounod (rires) mais c'est très varié. Ça peut être du Berg, du Rameau… Ce qui me plaît, c'est la voix chantée et donc la réalité sublimée ou la réalité déformée. Je n'aime pas le réalisme. C'est bien que ça existe mais moi je ne monte pas d'auteurs réalistes. J'aime quand les histoires sont déformées et à l'opéra c'est le cas. C'est plus que la réalité. C'est ça qui me plaît.
« J'aime quand les histoires sont déformées et à l'opéra c'est le cas. »
RM : Pour certains metteurs en scène ou directeurs de salles, l'opéra doit s'inscrire dans une contemporanéité et être le reflet de notre temps pour survivre. Qu'en pensez-vous ?
MF : L'académisme me fait peur mais le problème que j'ai, c'est que je n'aime pas non plus la modernisation à tout prix. Donc, je ne me positionne nulle part mais je pense qu'il y a une troisième voie parce que souvent à l'opéra, on a des choses très attendues ou bien des choses très modernes mais qui sont finalement très prévisibles aussi. Je pense qu'à une époque on avait besoin d'aller vers une modernisation, mais maintenant, ça ne surprend plus personne. Ça ennuie les gens plus qu'autre chose. Pour ma part, je considère qu'il faut partir de l'œuvre.
Pour le Postillon, je ne pense pas que c'est en la modernisant qu'on la rendra plus accessible. Les gens ne sont pas bêtes. Quand on voit le cinéma, ils n'ont pas peur de faire des films en costumes d'époque et de délirer autour. Le public a envie de rêver. Il n'a pas toujours envie de revoir ce qu'il voit aux actualités tous les jours. Ces gens-là disent que c'est en modernisant les œuvres qu'ils vont attirer un autre public mais ce n'est pas vrai ! Au contraire, je pense que c'est en faisant des choses poétiques, violentes, délirantes et lyriques que l'on attirera le public des films de Tim Burton par exemple qui sont tous poétiques, pas réalistes, en costume… Ce n'est pas en mettant les chanteurs en survêtements avec des portables. Je ne le pense pas.
RM : Vous vous qualifiez souvent d'acteur lyrique déplorant l'hégémonie du non jeu ou du jeu naturaliste, plaqué sur tous les styles de pièces. L'opéra demande au contraire un respect du style et une forme d'outrance dans le jeu de scène compte-tenu de la grandeur des salles. C'est aussi ce qui doit vous séduire à l'opéra ?
MF : C'est lié à l'interprétation aussi. C'est lié à des sentiments extrêmes. C'est comme dans la tragédie ou dans le vaudeville. Ce sont des personnages pris dans des situations extrêmes. C'est pour ça qu'on ne peut pas le jouer de façon quotidienne. Le metteur en scène essaye mais la musique résiste. On ne peut pas. Ce sont des situations terribles qui n'arrivent qu'une fois dans la vie. C'est pour ça que c'est ridicule de vouloir jouer Racine, Feydeau, Puccini ou Berlioz comme si c'était la vie de tous les jours. Ce n'est pas vrai. Ça n'a pas été écrit pour ça. Ce sont des descriptions tragi-comique de l'existence. Et même sur Le Postillon de Lonjumeau, ce ne sont que des personnages en crise, survoltés par la situation qui leur arrive.
RM : La documentation autour des œuvres a l'air d'être très importante dans votre processus créatif ?
MF : La connaissance enrichit mon imaginaire et me nourrit. C'est pour ça que je pars toujours de l'œuvre pour ne pas refaire éternellement le même spectacle même si j'ai des obsessions récurrentes. C'est en me documentant, en travaillant en amont, que mon imaginaire rebondit. La connaissance, ce n'est pas suspect. J'invite tout le monde à aller au musée, à l'Opéra et à lire des livres. Pas parce que ça fait bien mais parce que la vie devient plus exaltante.
RM : Auparavant, les chanteurs parlaient beaucoup des rôles sous leur aspect technique, valorisant les notes impossibles à atteindre – comme le contre-ré de Chapelou dans le Postillon par exemple. Aujourd'hui, les chanteurs parlent plus volontiers de la construction de leur personnage mais comment incarner des personnages surtout quand ils sont archétypaux ?
MF : Je pense qu'il faut prendre tout se qui se passe au pied de la lettre en partant vraiment du texte. Si on joue vraiment la situation, ce qu'il se passe dans le Postillon de Lonjumeau est d'une cruauté redoutable… et ça fait rire ! Mais il faut aller au bout de l'intention et de la situation et je pense que l'interprétation du rôle est liée à la technique. Je ne les sépare pas. Ce qui est intéressant c'est de partir de l'excès qui peut faire rire ou peur. C'est le livret et la musique qui m'inspirent. Je pars toujours de l'œuvre parce que je l'estime toujours.
RM : À l'opéra, le temps de répétition est assez court alors que les projets remontent souvent plusieurs années en avance. Donc, avant même que les répétitions ne commencent, le spectacle est quasiment prêt, non ? Quand et comment intervient le visuel dans votre processus créatif ?
MF : Je trouve ça très bien de travailler en amont. Et puis le chef et les chanteurs travaillent aussi en amont, alors pourquoi pas le metteur en scène ? C'est bien d'arriver avec de la nourriture pour les interprètes. Après, ça change parce que il y a des contraintes techniques et parce qu'on répète et qu'on imagine d'autres choses. Mais j'aime bien arriver avec un squelette de spectacle. Et cette méthode maintenant, je l'applique aussi au théâtre même si on a plus de temps de répétition. Partir de rien c'est une perte de temps et c'est bien de partir d'un dessin, d'un schéma, même si ça évolue. Pour le Postillon, en lisant l'œuvre, en parlant avec le scénographe avec lequel je suis très complice, on savait qu'on voulait quelque chose de poétique, bucolique, avec des couleurs saturées. On voulait partir de la convention en la réinterprétant ; réinterpréter les toiles peintes avec les moyens d'aujourd'hui, réinventer la rampe et ses éclairages frontaux. On a la chance d'avoir aussi Christian Lacroix pour les costumes qui part toujours de gravures et de maquettes d'époque mais là encore, pour rêver et réinventer.
RM : Vos spectacles sont très travaillés plastiquement parlant et assez reconnaissables (beaucoup de couleurs, une approche parfois kitsch, etc). Comment ne pas tomber dans des recettes et l'effet de mode ?
MF : À la base, la mode c'est beau parce que c'est éphémère. Moi ce qui m'angoisse, c'est surtout le goût du jour. Les dadaïstes disaient « merde au goût du jour ». J'essaye de ne pas trop penser à ce que les gens vont dire et je fais ce que je pense qu'il faut faire. Évidemment, je souhaite que le public soit comblé mais ça m'arrive aussi de faire des spectacles qui n'ont pas le succès que j'espérais. Ma position est compliquée parce que j'ai la possibilité de faire des spectacles dans des lieux prestigieux avec beaucoup de moyens – parce que je suis différent du goût du jour – et en même temps, il y a des gens qui me le font payer très cher et il y a des lieux où je ne suis pas toléré. Ma différence est une force et une faiblesse qui me laisse à part et ça me plaît parce que ça veut dire que je ne suis pas au goût du jour, ce qui me fait très peur. Quand je travaille, sincèrement, je n'y pense pas. Quand j'ai fait le Tartuffe avec Michel Bouquet, c'est devenu un manifeste puisque l'alexandrin était au premier plan, proféré en costume baroque, avec un jeu très frontal, dans un décor monumental. C'était l'opposé de tout ce qui se fait aujourd'hui. Mais quand je l'ai fait, c'est l'œuvre qui m'a nourri. Je ne me suis pas dit que je faisais un spectacle manifeste. Mais c'est devenu un manifeste et un succès public, ce qui a énervé encore plus certaines personnes…
RM : … et puis l'important c'est que tous les regards existent ? Qu'ils s'éclairent les uns les autres ?
MF : Absolument ! Le danger, c'est la pensée unique. Ce qu'il y a de beau à l'Opéra-Comique, c'est qu'ils programment des créateurs très différents. C'est la grande intelligence d'Olivier Mantei de programmer Cyril Teste, Olivier Py, Michel Fau. Il n'y a pas d'esthétique unique. Il y a trop de salles où on a l'impression de toujours voir le même spectacle.
RM : Vous trouvez souvent le moyen de monter sur scène, même à l'opéra ! Pourquoi et quel est le programme cette fois-ci ?
MF : Voyez, pour Ariane à Naxos, je n'étais pas sur scène et c'était trop douloureux pour moi parce que je me sens extérieur au spectacle. Le chef d'orchestre, il est dans la fosse, sur le bateau. Le metteur en scène, il ne sert plus à rien quand le spectacle démarre. C'est pour ça que les metteurs en scènes sont parfois aigris ou odieux. C'est très difficile comme position. C'est pour ça que je ne monterai plus de pièce où je ne suis pas sur scène. Là, pour Le Postillon il y avait un petit rôle de suivante qui n'avait pas beaucoup d'intérêt donc je le fais… pour être avec eux !
Crédit photographique : © Harcourt
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