Fabien Touchard, jeune compositeur d’un temps qui englobe tous les temps
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À 33 ans, Fabien Touchard raconte comment sa musique agrège, consciemment ou inconsciemment, toute sorte d'influences et de réminiscences musicales, de la Renaissance au Gospel. Au-delà des querelles d'écoles qui ont marqué la musique contemporaine, il revendique d'autres recherches autour de la musique vocale, de la poésie ou encore de la vidéo. Il vient également d'écrire une œuvre pour mezzo et viole de gambe et aimerait, à l'heure d'Internet, mettre en musique des textes philosophiques ou composer pour de nouvelles formes audiovisuelles.
« Il ne faut se priver d'aucune des branches de l'arbre musical, toutes ses couleurs sont sur ma palette. »
ResMusica : Né en 1985, vous êtes un compositeur du XXIe siècle… Comment est apparue votre vocation ?
Fabien Touchard : J'ai commencé dès six ans à noircir des portées. Je prenais des cours de piano et j'avais besoin de me réapproprier l'univers qui se présentait à moi. Nous vivions à la campagne, dans le Pas-de-Calais. Il n'y avait aucun cours de composition dans mon environnement, je n'imaginais même pas ce que c'était. Quand j'avais 13 ans, j'ai écrit une Passion selon Saint Marc pour chanteurs solistes et piano, dans un style à la Messiaen. Tout en jouant du Bach, je découvrais le Ligeti des années soixante, Stockhausen, Boulez, mais aussi, à la télé, le Te Deum d'Arvo Pärt… J'étais sensible à la spiritualité présente dans les questionnements artistiques et dans les grandes œuvres du répertoire. Au début de mon adolescence, mon professeur de piano, pianiste remarquable qui venait de la capitale pour enseigner, m'a envoyé prendre des cours d'harmonie. Après le baccalauréat, je suis venu à Paris, pour des études au CRR, à l'Université et au CNSM.
RM : Quels compositeurs vous ont marqué au cours de vos études ?
FT : Vers 18 ans, j'ai aussi découvert Schnittke, Sofia Goubaïdoulina, sur l'œuvre de laquelle j'ai beaucoup travaillé, ou Olivier Greif… Avec Philippe Hersant ou encore Jean-Louis Florentz, ces compositeurs restent des références pour moi. Mais je suis aussi très intéressé par des œuvres de l'autre tendance, plus atonale, de la seconde moitié du XXe siècle. Plus récemment je me suis penché sur la musique de Salvatore Sciarrino, par exemple ses techniques de jeu incroyables pour la flûte. Mais je ne peux pas écouter le final du concerto de Greif pour violoncelle « Par la chute d'Adam », sans que ça m'arrache une larme…
RM : Parce que votre intérêt pour la composition se situe sur le terrain de l'émotion ?
FT : Je n'irai jamais vers une musique totalement cérébrale. Quand j'ai passé mon prix d'analyse, j'étais sensible aux approches mathématiques de la musique – j'ai même écrit une pièce sur le Pendule de Foucault ! Mais je ne me reconnais pas dans ce qui s'éloigne radicalement de l'oreille, de l'affect. Même si le sous-texte, le « hors temps » musical, que l'on trouve chez Bach ou nombre de compositeurs de la Renaissance et chez des contemporains, me fascine en tant qu'architecture souterraine d'une pensée spirituelle. La numérologie ou le symbolisme musical chez Bach sont à ce titre d'une grande beauté. Mais ce n'est pas la combinatoire pure qui m'intéresse et, de même, l'exploration du timbre pour lui-même ne m'attire pas. Les deux sont au service d'une dramaturgie musicale dans mes pièces.
« Je suis passionné par la littérature et la poésie, tout ce qui est lié à la voix. »
RM : Et vos influences extra musicales ?
FT : Je suis passionné par la littérature et la poésie, tout ce qui est lié à la voix. Je continue à travailler avec des comédiens. Parmi mes pièces récentes, je peux citer un quatuor vocal constitué d'un Blues et d'un Gospel pour l'ensemble Méliades, un cycle pour mezzo et viole de gambe à partir de textes en anglais (Virginia Woolf entre autres), un mélodrame pour récitant et ensemble qui sera donné en septembre au Théâtre de l'Athénée par l'ensemble Les Apaches, plusieurs créations avec le quintette vocal Perspectives. Un concert-lecture est prévu au Studio Le regard du cygne. Le chant, l'art dramatique et la poésie ne sont donc jamais loin ! J'ai aussi écrit un cycle sur du Marc Aurèle, mais je n'ai pas encore trouvé ce que je souhaiterais pour composer sur un texte philosophique.
RM : Comment s'organise votre vie de compositeur ? Avez-vous besoin de conditions particulières pour écrire ?
FT : Ma vie s'équilibre entre mon activité de compositeur et d'enseignant. Je suis professeur d'écriture au CRR de Boulogne, et je travaille avec des comédiens. La composition elle-même nécessite des « tunnels » au cours desquels je peux me plonger complètement dans ce que j'écris. Je travaille principalement à la table, j'aime entendre la musique par les voies intérieures !
« Composer, c'est mettre ensemble. Consciemment ou inconsciemment, on agence des fragments de mémoire. »
RM : Et vous écoutez de la musique qui vous inspire ?
FT : Aucune composition ne naît de nulle part. La musique du passé, la musique actuelle, celle d'autres régions du monde, nourrissent ce que je fais. L'étymologie de composer, c'est mettre ensemble. Consciemment ou inconsciemment, on agence des fragments de mémoire. Les souvenirs auditifs sont retravaillés, compressés, agrégés. Le travail d'invention ce n'est que ça. De là naissent des choses nouvelles. Non pas une graine qui pousserait à côté de l'arbre musical, mais de nouvelles pousses qui en proviennent. Quand je travaille, si je suis conscient des influences de Bach, Greif, Machaut, Brahms, Messiaen ou d'autres que j'ai déjà cités, le reste est inconscient, mais tout a une source, une origine. Il y a, pour tous les compositeurs, un travail considérable de l'inconscient dans la composition. L'élaboration consciente est déterminante bien sûr, elle s'exprime à travers la recherche d'idées et l'artisanat lié à l'écriture. Mais ce n'est sans doute que la partie émergée de l'iceberg.
RM : Dans vos œuvres, il y a une forte relation au texte, à la poésie. C'est important pour vous ?
FT : Sur le disque sorti fin 2018, je me suis appuyé sur des textes de poètes francophones, d'une beauté très lumineuse et très simple. Ilarie Voronca, Roumain exilé en France, ancien résistant, humaniste et fraternel, m'a inspiré « Beauté de ce monde » : comment trouver de la beauté même dans les moments les plus sombres… Chez Anne Perrier, je retrouve une autre simplicité, des sensations, une grande lumière et un rapport à la nature très riche. Dans un premier temps, je m'immerge longtemps dans les textes avant d'écrire la moindre note et j'y cherche ce qui peut résonner en moi musicalement.
RM : Dans Beauté de ce monde (Clef d'or ResMusica) justement, vous donnez au chant une forme qui peut surprendre par sa facture lyrique à l'ancienne…
FT : Je ne me prive pas de styles du début du XXe siècle si j'en ai envie pour composer. J'avais envie de mélanger un style vocal opératique et des modes de jeu aux cordes qui n'existaient pas avant une époque très récente. Arvo Pärt dit très justement que nous sommes « dans un temps qui englobe tous les temps. » Le rapport à la mémoire a changé. Toutes les musiques du passé et du présent sont là, simultanément…
En fait, il ne faut se priver d'aucune source, toutes ces couleurs sont sur ma palette. Il y a encore parfois des querelles de chapelles dans l'univers musical contemporain, mais je pense que beaucoup de jeunes compositeurs ne se sentent pas concernés et ont envie de dépasser cela – même si on a parfois du mal à échapper aux étiquettes. On peut trouver de belles choses au croisement de toutes les influences, d'ici ou d'ailleurs, anciennes ou récentes…
« Tout est décloisonné. Les frontières entre les styles ont tendance à s'estomper. »
RM : Par rapport au passé, même récent, comment percevez-vous le changement que représente l'état hyper-connecté du monde d'aujourd'hui ?
FT : Tout est décloisonné. Les frontières entre les styles ont tendance à s'estomper. On peut aller piocher ici ou là. Mais l'excès d'information ne m'est pas un problème. Mes affinités musicales sont très formées et dans la masse d'informations, je sélectionne celles qui me correspondent. Même dans des styles tout autres que le mien, je repère des choses qui m'intéressent, un mode de notation, un système de jeu.
RM : Internet, c'est aussi un moyen de diffusion pour vos œuvres ?
FT : Le premier CD reste indispensable à l'heure actuelle. Mais avec internet, exposer son travail est incontournable, à travers des clips, des articles, des interviews… Je suis attiré par les nouvelles plateformes internet et les croisements artistiques qu'elles peuvent susciter. J'aimerais travailler à d'autres formes alliant musique et image, pour un objet artistique audiovisuel qui ne serait pas qu'une illustration de la musique. J'ai également envie d'aller plus loin dans des formes nouvelles avec des comédiens… je continue de chercher, on verra bien !