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Tout au long des siècles, les rapports entre les arts et les mathématiques dans le monde occidental furent fréquents. Parfois les mathématiques offrirent un langage permettant de décrire et de mieux comprendre certains aspects des arts ; parfois, au contraire, les arts introduisirent d’eux-mêmes des éléments mathématiques. Il arrive que ce dialogue interdisciplinaire s’inscrive au sein même de l’esthétique artistique.Le lien entre musique, danse et mathématiques se retrouve également dans des questions esthétiques, compositionnelles et chorégraphiques. Pour accéder au dossier complet : Musique, danse et mathématiques
Mathématiques et danse semblent pour certains appartenir à deux mondes opposés. L'une est parfois perçue comme rigoureuse et austère, tandis que l'autre serait libre et joyeuse (Wasilewska, 2012). L'examen qui suit met à mal ces présupposés et permet de percevoir la multitude des relations liant ces deux disciplines.
Il n'y a pas lieu de s'en étonner. Les mathématiques s'efforcent de saisir la complexité de notre monde et d'en fournir un modèle. À ce titre, souligner la connexion de la danse avec les mathématiques peut raisonner comme un truisme. Davantage sans doute que d'autres arts, la danse se saisit de l'espace et du temps, éléments appréhendés par les mathématiques s'il en est. La danse organise l'espace et le temps pour en faire sa matière constitutive. Pour Robert Bilinksii, les mathématiques permettent « d'interpréter, visualiser et comprendre la danse. » (2007)
De nombreux projets de recherches, mais aussi d'apprentissage, mettent en lumière les connections qui lient danse et mathématiques. Ils donnent à voir combien une bonne connaissance de l'un des domaines peut apporter à l'autre. Cela ne renvoie pas toujours à des notions extrêmement complexes des mathématiques appliquées.
L'arithmétique et la géométrie simples, de par la nature concrète de leurs aspects les moins complexes, sont les domaines où ces relations sont les mieux comprises et les plus intuitives (nombres, figures géométriques, notion de translation, de symétrie) mais les algorithmes donnent aussi l'occasion d'appréhender des relations plus complexes. Dérivées et graphiques permettent d'étudier les mouvements (Bilinksii, 2007)
Il existe nombre d'initiatives visant à étudier, au travers de la danse, des concepts plus complexes. Donnons l'exemple des fractales (Tatlier, Suvak, 2006). D'autres inversent la proposition et tentent de transmettre les connaissances et les concepts abstraits des mathématiques par le corps et la danse comme le fait le Dr Christopher Matthews qui étudie la construction socio-culturelle des mathématiques (SEAMEO 2019). D'autres encore utilisent les mathématiques pour concevoir des chorégraphies (emploi de la théorie des jeux) ou pour résoudre des problèmes chorégraphiques comme l'ont fait Sarah-Marie Belcastro et Karl Schaffer (Belcastro et Schaffer, 2011). Ces derniers sont mathématiciens et danseurs et ont créé ce qu'ils appellent des « danses mathématiques ». Ils établissent ainsi une distinction intéressante entre liens superficiels (le rythme, les formes géométriques de base) et liens profonds entre mathématiques et danse (concepts mathématiques surgissant dans la danse, danse inspirée par les mathématiques).
Les mathématiques ont fasciné, intéressé et nourri les chorégraphes contemporains. Merce Cunningham à été l'un des premiers à collaborer à l'élaboration d'un logiciel d'écriture du mouvement. William Forsythe a quant à lui travaillé sur les figures de base et les algorithmes dans la création contemporaine.
Mathématiques et danse liées par la musique
Les liens entre mathématiques et danse s'établissent en partie en raison de la relation forte qu'ils entretiennent avec la musique. On peut déjà renvoyer le lecteur à la structuration de la musique occidentale par Pythagore. Intervalles et hauteurs de notes sont organisés et mesurés par des outils mathématiques ou la physique (acoustique).
Si certaines danses se passent de musique comme le travail sur le silence d'Anne Teresa de Keersmaeker, la plupart d'entre elles sont traversées par l'élément structurante et unificateur du rythme. En dansant, on ne cesse de compter consciemment ou non. Le nombre de pas, la scansion du rythme…Le rythme, rappelle Germaine Prudhommeau en 1987, est une organisation mesurée du temps mais aussi un principe unificateur de l'organisation du temps pour l'effectif de danseurs exécutant une œuvre commune, comme c'est le cas de musiciens.
Émotion et mathématiques
Les mathématiques suscitent en nous des émotions. L'émotion surgit. Robert Bilinskii a cette très belle formule : « la déraisonnable émotivité » des mathématiques, clin d'œil à la formule malicieuse d'Eugène Wigner lorsqu'il parle de « la déraisonnable efficacité des mathématiques. » Pour Bilinksii, cette émotivité surgit par la raison même que les mathématiques sont « perçues et découvertes » par des humains. L'auteur donne ainsi l'exemple de l'utilisation à dessein d'un nombre premier combiné à différents motifs géométriques. Lorsque sur un effectif de sept danseurs (notons combien le choix initial de l'effectif des danseurs selon qu'il sera pair ou impair aura pour conséquence dans les possibilités de jeux de symétrie etc…), six d'entre eux sont disposés en deux rangées, le septième danseur est exclu. Cela crée un sentiment d'exclusion. En revanche, le fait que les mêmes danseurs créent un cercle enveloppant le septième danseur, génère un effet de soulagement chez le spectateur.
L'utilisation pragmatique des mathématiques chez Anne De Keersmaeker permet aussi de laisser voix au chapitre à des éléments de vive spontanéité. Elle laisse ainsi fuser des réactions du corps dansant : « Oui, je marque le cercle en frappant le sol. A certains moments dans la musique, émergent des mélodies claires qui vous invitent réellement à sauter, par plaisir ; il en va de même pour la rotation » (De Keersmaeker, Cvejić, 2012).
Bibliographie
Blecastro, S. M., & Schaffer, K. (2011). Dancing mathematics and the mathematics of dance. Math Horizons, 18(3), pp.16-20.
Bilinskii, R. (2007). Quelques réflexions sur les mathématiques et la Danse.
Guisgand, P. (2012). Danse et musique, deux arts en dialogue chez Anne Teresa De Keersmaeker. Danse et Musique, 13(1-2)
Guisgand, P., & Plouvier, J. L. (2007). Corps d'écriture. Repères, Cahier de danse, (2), pp.17-21.
De Keersmaeker, A. T., Cvejić, B. A. (2012) Carnets d'une chorégraphe, Fase, Rosas danst Rosas, Elena's Aria, Bartók.Bruxelles: Fonds Mercator
Schoenberg, A., Stein, L., & Strang, G. (1967). Fundamentals of musical composition (p. 25). London: Faber & Faber.
Prudhommeau, Germaine. Danse et mathématiques. Séminaire de Philosophie et Mathématiques 9 (1987): 1-22.
SEAMEO Regional Centre for QITEP in Mathematics (2017) Dancing:Revealing the Beauty of Mathematics. Retrieved from https://www.qitepinmath.org/en/about-us/centre-director-message/
Siegel, K. D. (2013). Order and Chaos: Approaching Modern Dance Choreography in American Through a Mathematical Lens. Weyselan University.
Tatlier, M., Suvak, R. (2008). How fractal is dancing. Chaos, Solitons and Fractals, 36. , pp.1019-1027.
Wasilewska, K. (2012). Mathematics in the World of Dance. Bridges, 453-458.
Crédits photographiques : © Anne Van Aerschot
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Tout au long des siècles, les rapports entre les arts et les mathématiques dans le monde occidental furent fréquents. Parfois les mathématiques offrirent un langage permettant de décrire et de mieux comprendre certains aspects des arts ; parfois, au contraire, les arts introduisirent d’eux-mêmes des éléments mathématiques. Il arrive que ce dialogue interdisciplinaire s’inscrive au sein même de l’esthétique artistique.Le lien entre musique, danse et mathématiques se retrouve également dans des questions esthétiques, compositionnelles et chorégraphiques. Pour accéder au dossier complet : Musique, danse et mathématiques