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Heidelberg. Théâtre. 20-I-2019. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, opéra en trois actes. Mise en scène : Peter Konwitschny ; Décors et costumes : Okarina Peter, Timo Dentler. Avec : Winfrid Mikus (Idomeneo) ; Namwon Huh (Idamante) ; Hye-Sung Na (Elektra) ; Carly Owen (Ilia) ; Nenad Čiča (Arbace/Grand-Prêtre)… Orchestre philharmonique de Heidelberg ; direction musicale : Julian Pontus Schirmer
Dans la salle toute récente et intime du Théâtre de Heidelberg, il suffit de 90 minutes pour raconter l'histoire d'un monde qui change.
Idomeneo est un chef-d'œuvre qui mérite bien d'être donné dans son intégralité ; même les airs d'Arbace, généralement coupés, disent quelque chose qui mérite d'être entendu. Ce n'est pas du tout le choix que fait Peter Konwitschny, bien au contraire, et c'est d'autant plus regrettable que l'adaptation qu'il réalise n'est pas affichée comme telle. Au moins cependant cette version courte a-t-elle le réel mérite de la cohérence et de l'efficacité : chaque air est plus ou moins intégral, et si le mélomane averti peut compter mentalement ceux qui n'ont pas été retenus, ces coupures massives n'entraînent ni incohérences ni ruptures brutales. La traduction allemande, elle aussi, sort de nos habitudes, mais elle a le mérite d'être facilement compréhensible sans même avoir à lire les surtitres.
Cet Idomeneo n'a pas de happy end : on entend bien le chœur final, mais seulement sous forme d'enregistrement, pendant les saluts finaux, comme les slogans optimistes inlassablement répétés dans le vacarme d'une manifestation. Huit ans avant la Révolution française, c'est à un changement de génération qui est en même temps rupture politique et nouveau départ que le public de la création à Munich avait pu assister : la conclusion d'Idomeneo est profondément politique, et Peter Konwitschny se saisit naturellement de cette caractéristique. Il faut bien le dire : la mise en scène des deux premiers actes est soignée et intelligente, mais elle ne propose pas de lecture très affirmée – et elle ne sait pas trop que faire du personnage d'Elettra, comme bien d'autres il est vrai. Le pouvoir charismatique d'Idomeneo doublé par la présence inquiétante d'Arbace en conseiller politique façon jeunes loups de la politique d'aujourd'hui (ne citons pas de noms) et par la générosité sans plan d'Idamante : c'est tout à fait pertinent, mais pas assez affirmé pour animer toute cette partie.
Le grand mystère de ce spectacle réside sans doute la date de la première : 16 novembre 2018. Lors de l'entrée du chœur des Crétois au cours du troisième acte, tous sont habillés d'un gilet jaune, face à des Troyens qui, même affranchis, ne sont toujours que des opprimés. Comment Konwitschny a-t-il ainsi pu intégrer à sa mise en scène un mouvement qui n'était alors qu'embryonnaire ? Toujours est-il que, naturellement, Konwitschny sait que la politique est trop essentielle pour la laisser aux solutions simples des idéologues ; la fin du spectacle est ainsi privée d'espoir, et personne n'en réchappe, ni Idoménée, ni Ilia, ni Idamante, ni les Troyens victimes d'un coup de folie d'Idamante. Les Crétois-gilets jaunes, eux, survivent, mais leur solidarité s'effrite : la solidarité est matière fragile.
Comme souvent avec Konwitschny, comme souvent dans les petites maisons allemandes où les chanteurs travaillent en équipe soudée et non d'un théâtre à l'autre, c'est la cohérence d'ensemble qui frappe plus que les performances individuelles. Le jeu de la comparaison avec les stars des grandes maisons serait naturellement oiseux, mais Carly Owen, par exemple, est une Ilia de grande classe, et le ténor Winfrid Mikus, membre de la troupe depuis 1991, se tire honorablement de son rôle, il est vrai dans une version qui lui facilite la tâche. L'orchestre, lui, est en fond de scène : l'acoustique n'en souffre pas, et ce dispositif participe du théâtre de Konwitschny, qui n'a cure de faire du théâtre réaliste et assume parfaitement de faire voir la musique. Ce soir, l'orchestre est dirigé par le jeune chef Julian Pontus Schirmer, « troisième chef » attitré au Théâtre de Heidelberg, qui livre une direction attentive, précise et efficace. On aurait aimé entendre un peu plus de musique ce soir, mais le spectacle avec ses partis-pris et ses limites mérite bien le déplacement.
Crédits photographiques : © Sebastian Bühler
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Heidelberg. Théâtre. 20-I-2019. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, opéra en trois actes. Mise en scène : Peter Konwitschny ; Décors et costumes : Okarina Peter, Timo Dentler. Avec : Winfrid Mikus (Idomeneo) ; Namwon Huh (Idamante) ; Hye-Sung Na (Elektra) ; Carly Owen (Ilia) ; Nenad Čiča (Arbace/Grand-Prêtre)… Orchestre philharmonique de Heidelberg ; direction musicale : Julian Pontus Schirmer