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Paris. Opéra-comique. 17-XII-2018. Ambroise Thomas (1811-1896) : Hamlet, opéra en cinq actes. Mise en scène : Cyril Teste. Scénographie : Ramy Fischler. Costumes : Isabelle Deffin. Lumières : Julien Boizard. Conception vidéo : Nicolas Dorémus et Mehdi Toutain-Lopez. Dramaturgie : Leïla Adham. Avec : Stéphane Degout, Hamlet ; Sabine Devieilhe, Ophélie ; Sylvie Brunet-Grupposo, Gertrude ; Laurent Alvaro, Claudius ; Julien Behr, Laërte ; Jérôme Varnier, le spectre ; Kévin Amiel, Marcellus et 2ème fossoyeur ; Yoann Dubruque, Horatio et 1er fossoyeur ; Nicolas Legoux, Polonius. Chœur Les éléments (chef de chœur : Joël Suhubiette). Orchestre des Champs-Élysées, direction : Louis Langrée
Il y a près de vingt ans, Natalie Dessay triomphait dans le Hamlet d'Ambroise Thomas. L'Opéra-Comique remet le couvert et se donne les moyens de valoriser définitivement cette œuvre étonnante.
Le travail de Cyril Teste est un travail sur l'image. D'abord par l'utilisation de la vidéo. Le procédé n'est plus nouveau dans l'univers du lyrique mais on y trouve ici du sens. Au plus près des personnages, la caméra scrute leur désarroi, leur solitude, leur frayeur en les isolant de la masse jusqu'au dernier gros plan sur le visage d'Hamlet/Degout, vainqueur mais terrifié et interrogatif. Ensuite parce que Cyril Teste sait installer des atmosphères et des images fortes telles l'arrivée du nouveau roi Claudius par la salle, sous les flashs de la presse people installée sur scène, retransmise en direct sur l'écran, ou bien encore la noyade d'Ophélie suggérée par la succession de rideaux d'images d'eau enveloppantes. On reste marqué par la spatialisation du chœur et des protagonistes et notamment par l'apparition du spectre parmi les spectateurs, seuls comme lui, à connaître les ressorts du drame. On est fasciné par cet Hamlet errant, qui semble si jeune et impuissant parmi la foule des courtisans, par ses scènes d'égarement dans un décor mouvant et toujours fluide ou au milieu d'un chœur superbement dirigé. Car tout cela fonctionne d'autant mieux que la direction d'acteurs au scalpel est particulièrement bien relayée par un casting particulièrement investi.
Il faut dire qu'il est extrêmement rare de constater pareille homogénéité. Pas un chanteur qui ne soit en-dessous des autres. Tout au plus peut-on constater que certains semblent plus habités. C'est le cas de Stéphane Degout qui connaît bien le rôle et dont la prestation est une leçon de style, de jeu de scène et d'endurance. Il parvient à rendre toute la complexité du personnage, animé par un esprit de vengeance mais qui a besoin du bras de son père pour frapper. Vocalement, il assume aussi bien les sons caressant de l'introverti et la violence du délirant tout en préservant constamment la netteté de la diction.
À ses côtés, Sabine Devieilhe assure une superbe prise de rôle en Ophélie. Aérienne, la voix est admirablement conduite et enchante dès les premières phrases par une technique superlative, un bel investissement des mots, un bon médium et des aigus suspendus. Si la virtuosité de la scène de folie peut apparaître légèrement édulcorée, la noyade, toute en langueur, subjugue par son caractère vaporeux et constitue un véritable moment de poésie qui soulève l'enthousiasme du public.
Vient ensuite une interrogation. Pourquoi Sylvie Brunet-Grupposo est-elle aussi rare sur les scènes françaises ? Annoncée souffrante, la mezzo délivre une admirable leçon de chant avec le rôle difficile de Gertrude et ses sauts de registres ambitieux entre des graves caverneux et des aigus puissants, le tout uni par un art de la déclamation qui devient assez unique. Son travail sur les accentuations lors de la confrontation avec son fils fait sensation et l'on se souviendra longtemps de ses « j'ai peur » si expressifs pour son duo avec le Claudius de Laurent Alvaro. Le baryton-basse déploie un beau legato et sa voix de velours, puissante et chaude, apporte une belle humanité au félon rongé par la peur.
Peut-être parce qu'il émerge de la salle, le spectre de Jérôme Varnier est particulièrement impressionnant avec ses graves profonds et, là encore, une belle déclamation que l'on retrouve également chez le Laerte vaillamment défendu par Julien Behr (seul ténor d'une œuvre qui voit le triomphe des barytons) et les amusants fossoyeurs (et Horatio et Marcellus) de Kévin Amiel et Yoann Dubruque.
Le chœur/acteur Les éléments, très sollicité et dans des pages parfois difficiles, est parfait d'investissement scénique et de précision et contribue pour beaucoup à la réussite de la soirée.
Enfin et surtout, à la tête de l'Orchestre des Champs-Élysées, Louis Langrée croit en la musique d'Ambroise Thomas, si étonnante dans sa variété d'inspirations, à la croisée des chemins entre Verdi, Wagner et Gounod tout en restant dans une tradition du grand opéra français. L'utilisation du saxophone est le signe distinctif de cette œuvre que Louis Langrée défend avec conviction en valorisant chaque pupitre pour révéler des sonorités assez inédites et modernes et l'expressivité d'une écriture par ailleurs habile à créer des ambiances. L'accompagnement est attentif sans que jamais la tension ne baisse, la puissance n'exclut pas la poésie, les transparences et les contrastes. Au final, cette direction inspirée et l'approche moderne et dynamique de Cyril Teste tirent cette œuvre de l'académisme dont on est trop souvent tenté de l'accuser.
Crédits photographiques : © Vincent Pontet
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Paris. Opéra-comique. 17-XII-2018. Ambroise Thomas (1811-1896) : Hamlet, opéra en cinq actes. Mise en scène : Cyril Teste. Scénographie : Ramy Fischler. Costumes : Isabelle Deffin. Lumières : Julien Boizard. Conception vidéo : Nicolas Dorémus et Mehdi Toutain-Lopez. Dramaturgie : Leïla Adham. Avec : Stéphane Degout, Hamlet ; Sabine Devieilhe, Ophélie ; Sylvie Brunet-Grupposo, Gertrude ; Laurent Alvaro, Claudius ; Julien Behr, Laërte ; Jérôme Varnier, le spectre ; Kévin Amiel, Marcellus et 2ème fossoyeur ; Yoann Dubruque, Horatio et 1er fossoyeur ; Nicolas Legoux, Polonius. Chœur Les éléments (chef de chœur : Joël Suhubiette). Orchestre des Champs-Élysées, direction : Louis Langrée