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Georges Auric, Germaine Tailleferre, Francis Poulenc, Louis Durey, Darius Milhaud, Arthur Honegger : six musiciens, six amis de la même génération partageant des idéaux communs, réunis autour de Jean Cocteau. Pour accéder au dossier complet : Le Groupe des Six
Le 22 octobre 1948, Francis Poulenc (1899-1963) et le baryton Pierre Bernac, son partenaire à la scène et à la ville, embarquent pour traverser l'Atlantique. Ils arrivent à New York probablement le 28. Ce premier séjour américain de Poulenc dure six semaines. Dès le 7 novembre, les deux artistes donnent des récitals de mélodies françaises dans plusieurs grandes villes du pays. Le succès est au rendez-vous à tel point que l'on envisage déjà une autre tournée.
Depuis une vingtaine d'années Francis Poulenc souhaite se rendre en Amérique. Il tient à apparaître comme un parisien populaire, un mélodiste et comme une sorte de musicien des poètes. Avant son départ, il écrit à Virgil Thomson, compositeur et critique écouté au New York Herald Tribune, et l'encourage à diffuser les données suivantes : « Explique bien à tout le monde que Poupoule est un parigot type, parlant mal l'anglais, parfois sauvage mais plein de bonne volonté. » Il allait dispenser beaucoup de charme pour se faire apprécier. Une partie du public américain cultivé connaît et apprécie certaines de ses musiques. Confortablement installé à l'hôtel Saint Moritz donnant sur Central Park où il bénéficie d'une suite avec piano. Le compositeur et pianiste français est immédiatement fasciné par la grande ville où d'ailleurs il retrouve avec grand plaisir de nombreuses connaissances et s'intègre aisément au sein du milieu musical new-yorkais.
Par le biais d'amis communs, Poulenc et Samuel Barber (1910-1981), l'auteur du célébrissime Adagio pour cordes, se rencontrent et nouent une véritable relation d'amitié humaine et de respect artistique. Leur tout premier contact date de mai 1946, à Prague, lors du Festival international de musique où Honegger et Poulenc sont à l'honneur mais aussi la musique américaine avec Barber, William Schuman, Aaron Copland, Leonard Bernstein… rappelle opportunément Pierre Brévignon dans sa biographie du compositeur américain. Leur complicité naissante amènera Poulenc à déclarer dans une interview accordée à Robert Sherman (citée par Brévignon et Machart) : « J'ai pour ce musicien autant d'admiration que d'affection. » Et comme il le confiera à la fin de sa vie en 1978, Barber précisera : « Poulenc était un bon ami, un de mes seuls amis compositeurs d'ailleurs… Il était une merveilleuse combinaison de boulevardier – un mot très français – et de religion. Cela s'entend dans sa musique. »
Les deux artistes ont en commun cet immense amour de la voix et de la poésie. Ils admirent réciproquement leur musique et leur compagnie comme le précise Menotti. D'ailleurs, au début de l'année 1949, Poulenc consacre une de ses émissions radiophoniques à son ami américain. Il le considère comme « un musicien de race…beau comme un saint de Zurbaran, doué d'une admirable voix de baryton, jouant merveilleusement du piano, parlant avec une égale perfection l'anglais, le français, l'allemand et l'italien… » (Pierre Brévignon).
Poulenc a le plaisir d'entendre son Concerto pour 2 pianos à Boston le 30 octobre et dès le 7 novembre se déroule un premier concert, triomphal, au Town Hall de New York. Lors du second concert, le 20, tout aussi éblouissant, il crée les Calligrammes, obtient sept rappels et donne cinq bis. A New York, au Carnegie hall, il interprète en soliste son Concert champêtre dans sa version pour piano avec le chef d'orchestre Dimitri Mitropoulos.
Les deux Français parcourent le pays (avec une incursion au Canada) jusqu'au 14 décembre et se produisent à Boston, Washington DC, North Hampton, Detroit, Québec, Chicago, Los Angeles, Oakland, Salt Lake City, Pittsburg, Philadelphie…Partout, ils reçoivent de chaleureuses ovations et se rendent régulièrement dans des soirées mondaines. Lors de ce premier séjour, il reçoit de la part de l'Orchestre symphonique de Boston et de Charles Munch la commande d'un Concerto pour piano. Mais si New York le dépayse incontestablement, les retrouvailles avec plusieurs de ses connaissances et amis lui apportent beaucoup de plaisir. Parmi elles, on note Wanda Landowska, Igor Stravinski, Vladimir Horowitz et Samuel Barber. Les promenades dans New York lui plaisent : « Dans ce pays où chacun se presse, je m'offre le luxe de marcher lentement en contemplant, le nez en l'air. » Il se rend au domicile de Samuel Barber et fréquente assidûment la communauté artistique homosexuelle. Il embarque ensuite pour la France le 14 décembre et arrive à Paris le 23.
Pour son deuxième voyage en Amérique, prévu pour deux mois environ, il prend l'avion pour New York le 28 décembre 1949. Dans son ouvrage Brévignon indique que les deux artistes reprennent très vite leurs habitudes et se rendent régulièrement à Mount Kisco où Barber et Menotti résident toujours.
Dans son journal, Poulenc rapporte à la date du 5 février 1950 : « Merveilleuse après-midi chez Samuel Barber qui habite, à une heure de New York, une ravissante maison de campagne…Horowitz est venu me prendre en auto à l'hôtel… Après s'être fait un peu prier, il se met au piano et nous joue la sonate de Barber que je n'avais pu entendre l'autre soir au Carnegie Hall. Cette sonate que j'avais déjà lue me plaît sans restriction. » Horowitz dira plus tard (1975) : « Barber est l'un des rares compositeurs américains à savoir écrire pour le piano. » Et Poulenc ne cache sa satisfaction dès juin 1950 : « La sonate me plait sans aucune réserve. C'est une œuvre remarquable tant du point de vue musical qu'instrumental. Tour à tour tragique, joyeuse et lyrique, elle s'achève par une fugue d'une fantastique difficulté… » Le même jour, il écoute Horowitz interpréter une sonate de Clementi, plusieurs sections des Tableaux d'une Exposition de Moussorgski, le final de la Sonate n° 7 de Prokofiev. Il avance : « Quand Horowitz joue du piano, je perds la tête. Lorsqu'il a fini, je lui embrasse les mains. Personne ne trouve mon geste ridicule, moi tout le premier…»
A Boston, lors du concert du 7 janvier 1950 placé sous la direction de Charles Munch, a lieu la création de son Concerto pour piano et, ainsi qu'il le consigne dans son journal, la représentation se déroule bien et il a droit à cinq rappels mais précise avoir bénéficié de « plus de sympathie que de direct enthousiasme. » L'accueil s'avère beaucoup moins favorable pour le Rondeau à la française (impertinence et côté mauvais garçon ?). Sa tournée le conduit à New York, Boston, Washington DC, Philadelphie, Toronto, Pittsfield, Montréal, Chicago, Toledo, San Francisco, Cincinnati, Carmel, Colorado Springs, Santa Barbara, Birmingham. Passionné de peinture, il visite les musées et admire entre autres le Saint-François de Zurbaran et une exposition Van Gogh. Il joue en soliste ou en compagnie de Bernac (une trentaine de concerts), réalise des enregistrements, participe à des soirées, rencontre diverses personnalités. Il découvre Le Consul de Menotti et le juge « merveilleux, terrifiant, supérieurement donné, avec peu de musique. » Barber dédie à ses amis français ses Mélodies passagères, op. 27, un cycle de cinq mélodies pour voix et piano stimulées par le thème de la fuite du temps, d'après des poèmes (en français) de Rainer Maria Rilke (1875-1926), ancien secrétaire de Rodin à Paris. Les dédicataires jouent le cycle complet à Paris le 21 janvier 1952 puis en première américaine à New York le 10 février suivant.
En janvier 1952, la princesse de Polignac organise à Paris une soirée en l'honneur de Barber, soirée au cours de laquelle Poulenc créa cet opus 27. Ils se retrouveront plusieurs fois dans la capitale française. La réaction publique est plus positive que les commentaires de la critique qui regrette l'absence de romantisme français. L'œuvre est enregistrée, en février 1952, « et moi je tournais les pages », confiera l'auteur, mais la gravure n'apparaît dans le commerce qu'en 1978. Tardivement, et non sans malice, Barber (en 1978) interviewé dit : « Savez-vous la vraie raison pour laquelle j'écrivis cela en français ? C'est parce que j'étais amoureux. Comment ne pas être amoureux à Paris ? »
Au début de l'année 1952 Poulenc et Bernac, pour la troisième fois, retrouvent les États-Unis. Poulenc part le 4 janvier tandis que Bernac le rejoint le 10. Le retour en France est programmé pour début mars. Ils assurent plusieurs dates : Washington, New York, Caracas (Venezuela), Lakeville, Middlebury. Toujours aussi séducteur, le compositeur est reçu à la télévision et gagne encore en popularité. Samuel Barber, devenu un ami cher depuis longtemps déjà, lui envoie en septembre 1952, un pastiche de déclaration amoureuse sur le mode humoristique. Il y évoque avec ironie une soirée qui s'était tenue à Capricorn l'hiver précédent.
Un quatrième séjour aux États-Unis, en compagnie de la chanteuse Denise Duval, se déroule en 1960. Le 16 février, il retrouve New York qu'il aime tant. Le 23 février, elle chante au Carnegie Hall Les mamelles de Tirésias et reçoit un authentique succès. Puis ils entament une tournée de concerts. Satisfait, il précise : « Décidément je me plais en Amérique. Cela me rajeunit, j'en avais bien besoin. » Après un concert réussi au Town Hall de New York il rentre en France. A la fin de la vie de Poulenc, Barber, qui séjourne régulièrement en Europe, rencontre son ami français à Paris, dans le quartier des Halles de Paris. Ce dernier monte sur la moto d'un ami venu le chercher et lui adresse un geste d'au-revoir « extravagant ».
Crédits photographiques : le compositeur Francis Poulenc (1899 – 1963) © AFP ; Samuel Barber (1910-1981) © Courtesy of G. Schirmer, Inc.
Sources bibliographiques :
- Samuel Barber, un nostalgique entre deux mondes. Pierre Brévignon. Hermann éditions, 2011
- Samuel Barber, interviewé par Robert Sherman en 1978, Samuel barber Remembered, édité par Peter Dickinson, University of Rochester, 2010
- Renaud Machart, Poulenc, Seuil, 1995
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Merci pour cet intéressant éclairage sur une amitié artistique qui m’était inconnue.
Juste une petite incohérence chronologique me semble t’il : l’avant dernier paragraphe mentionne un voyage aux USA commencé en janvier 1952, et d’une durée de deux mois, alors que plus haut on évoque à deux reprises une soirée chez les Polignac à Paris le 21 Janvier 1952.