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Musiques électroacoustiques in China

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Pékin. Recital Hall CCoM. 22 au 28-X-2018. Festival Musicaoustica-Beijing
Œuvres de Zhang Xiaofu, Francis Dhomont, Elsa Justel, Jeffrey Stolet, Marek Choloniewski, Yuanyuan He, Paulo C. Chagas, Sebastian Rivas, Ivan Fedele, Lars Peter Hagen, Nicola Sani, John Cage, Benoit Granier, Pierre Jodlowski, Christophe Havel, Aureliano Cattaneo

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Bejing XiaofuFestive, la 24ᵉ édition du festival Musicacoustica-Beijing l'est à plusieurs titres : parce qu'elle célèbre les 30 ans de composition de son fondateur , mis à l'honneur cette année dans la programmation et accédant à la plus haute distinction en tant qu'artiste chinois ; festive toujours, parce qu'elle accueille cette année l'Assemblée générale annuelle de la Confédération Internationale de Musique Electroacoustique (CIME) étoffant le panel de compositeurs invités chaque année dans cette manifestation d'envergure mondiale.

Musicacoustica-Beijing est un rendez-vous annuel dédié aux musiques électroacoustiques envisagées dans leur acception la plus large : des musiques sur support (acousmatique), aux musiques mixtes (instruments live et sons fixés), du live électronique au multimédia (vidéo, danse et installations/performance) et aux musiques numériques.

Après sa venue en France, dans les années 1990 où il intègre le Groupe de Recherche Musicale (GRM), (né en 1954 à Changchun) revient dans son pays pour y créer en 1994, le premier festival de musique contemporaine en Chine, se donnant pour mission de jeter des ponts entre Orient et Occident. Musicacoustica est aujourd'hui implanté dans les locaux du Conservatoire de musique de Pékin où Zhang enseigne la composition, une position stratégique pour amener la jeune génération aux concerts et l'impliquer dans la gestion du festival.

Avec une centaine de participants cette année et quelques vingt nations représentées, le programme du festival, qui court sur une pleine semaine, affiche des concerts (deux par soirée) mais aussi, durant la journée, des conférences et master-classes assurées par les compositeurs et interprètes invités. Un concours de composition dans quatre catégories distinctes (acousma, mixte, multimédia, numérique) est organisé chaque année, dans le cadre de la manifestation, convoquant, parmi la gent musicale, un jury qui écoute les œuvres sélectionnées durant quatre jours pour délibérer et proclamer in fine le palmarès.

Convergence

Emblématique quant à l'esprit du festival, le concert inaugural, avec ses huit pièces relativement courtes, se veut un espace de « convergence » (c'est la thématique de l'édition 2018) des différentes approches et créations sonores de la musique électroacoustique d'aujourd'hui : de la pièce purement acousmatique (transmise par les haut-parleurs) Phonurgie du doyen (né en 1926) à l'expérimentale Double Brain du facétieux Marek Choloniewsky, un projet à deux têtes (lui-même et l'un des ses étudiants) soumis aux aléas de la connexion Pékin-Pologne, puisque tout se passe en live, via Skype ! Plus convaincante, la performance I'mPossible de l'Américain Jeffrey Stolet engage le geste énergique et spectaculaire du compositeur qui génère en direct le son, via trois capteurs infra-rouge et un système de synthèse Max et Kyma. Interactive également et intrigante est la réalisation audio-visuelle Crasy Fabric des trois artistes chinois, Feng Jinshuo, Sun Hua et Teng Yue. La trajectoire des mains derrière une toile souple et blanche interagit avec le flux sonore et l'action de la lumière dans une trajectoire liée symboliquement à celle de la vie et de la mort, lit-on dans les notes d'intention. Dans MexiColorNoise, la compositrice argentine Elsa Justel conçoit elle-même le support sonore et la vidéo dans un rapport fusionnel du visuel et de l'écoute. La bande son économe et radicale laisse de l'espace aux images, celles colorées et gorgées de vie du Mexique dont l'artiste nous communique sa vision poétique autant qu'exaltée.

xiaofu à la consoleLa même convergence est à l'œuvre dans A message from Proxima Centauri que dédie à ses amis interprètes français, l'excellent ensemble français Proxima Centauri sur lequel on reviendra. L'œuvre donnée en création mondiale, qui ponctue brillamment la soirée, est un spectacle total, liant très étroitement instruments, électronique (sons fixée et amplification live) et vidéo, celle de Ma Shihua, qui tisse un contrepoint serré avec la partie sonore. Zhang Xiaofu accorde à chaque partie instrumentale relayée par l'électronique une séquence appropriée, valorisant la sensualité des timbres (celui du saxophone baryton de ou de la flûte basse de Sylvain Millepied) et la virtuosité du piano d'Hilomi Sakaguchi comme celle des vibraphone et marimba de Clément Fauconnet. La trajectoire foisonnante et bien conduite, surlignée par le mouvement des images, ménage in fine un ample crescendo rien moins qu'impressionnant.

Le total percuté avec

Interprète français chevronné et fidèle du festival, est seul en scène dans le concert suivant, bien qu'entouré d'un pléthorique set de percussions. Pas de baguettes cependant pour la pièce du Norvégien Lars Petter Hagen Seven Studies in Self-Imposed Tristesse, mais deux archets frottant les lames du vibraphone, dont l'interprète tire des résonances quasi litaniques, amplifiées par l'électronique. Vacuité du temps et geste répétitif confinent à la « tristesse », celle des paysages nordiques de l'Islande en hiver nous dit le compositeur. Le Brésilien est à la console, en phase avec notre interprète, dans Sysiphus of the Ear, sa pièce pour percussion et électronique conçue avec la vidéo de Johannes Birringer. L'œuvre puissante créé un espace de tension entre l'image et le son. Sur la toile, l'ascension impossible d'un homme marchant sur un terrain meuble qui le fait irrémédiablement glisser ; sous les baguettes agiles de , les sons mats des bongos et la résonance de la cymbale, une manière économe et obsessionnelle de servir au mieux la dramaturgie. Le vibraphone est préparé (une feuille de papier aluminium sur une partie du clavier) dans Best worse no farther (« Cap au pire »), une citation de Samuel Beckett qu'emprunte le compositeur pour sa pièce virtuose et monochrome, dans laquelle les résonances « empêchées » de l'instrument engendrent une dramaturgie sonore singulière. Plus spectaculaire, Metal East-Journey d' est conçue pour percussions et électronique via le logiciel de suivi de partition Antescofo dont l'action ce soir n'est guère satisfaisante. La partition est dédiée à Thierry Miroglio qui en assure la création en 2016. Il s'agit d'un rituel nous dit le compositeur, en cinq stations correspondant à cinq qualités différentes de métaux (steel-drums, cencerros, crotales, cloches de vaches, sonnailles, etc.) et autant d'orientations scéniques différentes pour l'interprète. Le percussionniste termine au sol, avec les gongs et les bols chinois évoquant, sous son geste habité, les sonneries d'un gamelan lointain.

Carte blanche à Nicola Sani

Compositeur italien, Nicola Sani multiplie les responsabilités institutionnelles. Après l'Opéra de Bologne dont il assume la direction artistique pendant sept ans, il a aujourd'hui en charge la prestigieuse Académie Chigiana de Sienne où il s'investit en direction de la jeune génération (interprètes et compositeurs) et de la diffusion de la musique contemporaine.

Quatre titres sont à l'affiche de son concert alternant pièces acousmatiques et mixtes. La première en octophonie (huit pistes) est le prélude de son opéra The suspended time of the flight sur un livret de Franco Ripa di Meana. Le titre fait référence au dernier vol du juge Falcone de Rome à Palerme juste avant de mourir sous les coups de la maffia. C'est l'espace expressif de l'attente, dans un temps suspendu et un processus de répétition que Sani instaure durant les vingt minutes presque suffocantes du Prélude. Four Darks in Red emprunte son titre à la peinture de Rothko. Enregistrée par le Quartetto d'Archi di Torino sous le label Stradivarius, la pièce mixte invite ce soir les étudiants du Conservatoire de Pékin. Par un effet de zoom sur la matière des cordes et leurs textures, l'électronique tend à transposer en musique l'intensité et l'énergie de la couleur telle que la conçoit le peintre d'origine lettonne. Si l'équilibre entre la clarinette basse (celle du jeune Wang Lidong) et la partie électronique dans Non tutte le isole hanno intorno il mare (« Les îles ne sont pas toutes entourées par la mer« ) est moins convaincante, Studio per le ali (« Étude pour les ailes« ) réalisé dans les studios du GRM en 2004 révèle une écriture très fine de l'espace, où bruit blanc et autre matériau saturé dessinent des trajectoires dans un temps étiré et une profondeur de champ très expressive.

L'univers de Zhang Xiaofu

Denny AwardC'est à l'occasion de ce concert monographique que le compositeur et directeur du festival Zhang Xiaofu reçoit le Denny Award attribué pour l'ensemble de son œuvre et l'envergure de son travail dans l'univers artistique.
Quatre de ses pièces sont au programme, couvrant quelques vingt-cinq années de création sonore. Sent to mars II sollicitant l'électronique et la vidéo (celle de Ma Shihua déjà mentionné), date de 2017. Zhang Xiaofu est à la console de projection, très impliqué dans l'interprétation d'une musique qui ménage les surprises, diversifie les sources, et à laquelle il confère une belle envergure spatiale. Beaucoup plus ancienne, Esprit de la montagne (1996) pour électronique et voix invite sur scène la soprano dramatique Wu Bixia que le compositeur fait chanter selon la tradition vocale de l'opéra chinois : mélodie aux lignes glissées et déclamation stylisée qui ne manquent pas de fasciner notre oreille occidentale. Dialogue entre le monde différent (le titre est en français) est une des premières pièces acousmatiques du compositeur, usant d'un langage « abstrait » lit-on dans les notes de programme. La rugosité du matériau surprend ainsi que la virtuosité du montage au sein d'un travail où la théâtralité du geste domine.

percussionniste et sonnailles

Nuo ri land (nom du dieu de la masculinité dans la pensée tibétaine) est une commande du GRM créée en 1996 lors du festival Présences de Radio France à Paris. Écrite pour percussion (Yin Fei), électronique et images de synthèse (Ma Ge et Zhang Chao), cette « symphonie multimédia » a été révisée en 2016. D'esprit ritualisant, elle convoque un vaste set d'instruments, des métaux résonnants à la matité des peaux en passant par le bronze et la pierre. Si les sonorités de la partie électroacoustique sont proches de la source instrumentale, son « écriture » est pensée symboliquement en terme de boucles et de spirale. Au terme de la célébration, le percussionniste quitte lentement la scène, s'accompagnant des sonneries du rituel.

Proxima Centauri in China

proxima sur scèneDepuis plus de vingt ans, l' suscite et explore les relations entre l'instrumental et l'électronique, dans une démarche artistique pluridisciplinaire qui l'amène à intégrer dans ses projets la danse, l'image voire le théâtre.

Les quatre musiciens nous surprennent en débutant leur concert avec Quatuor – for 4 musicians de , qui laisse aux interprètes le soin d'élaborer leur propre « théâtre musical ». Ils ont ce soir dans les mains des tubes flexibles de couleurs qu'ils percutent, frottent et font sonner avec une énergie communicative et une impeccable coordination. Le défi est autre pour qui a retrouvé son instrument pour interpréter YY de Christoph Havel, une pièce au titre énigmatique pour saxophone soprano et électronique. Le compositeur y instaure un espace de lutte entre la partie électronique très élaborée, qu'animent des polyrythmies étranges, et la ligne instrumentale sollicitant le souffle continu et l'infra-chromatisme, autant d'astreintes qui ne gâchent en rien la beauté du timbre de l'interprète. Sans électronique cette fois, la pièce de l'Italien (basé aujourd'hui à Barcelone) , Next, then, est tout aussi exigeante. Sa musique de gestes et sa recherche de timbres rares nécessitent l'extension des techniques de jeu instrumental. La partie de piano (Hilomi Sakaguchi, très réactive) est redoutable. Cet univers sonore aux dimensions oniriques est restitué par nos quatre interprètes avec une concentration exemplaire.

On est moins captivé par la musique de Benoît Granier censée faire référence à La Divine Comédie de Dante, tel que son titre l'indique. Commande de Musicacoustica-Bejing, l'œuvre pour ensemble et électronique est donnée en création mondiale par Proxima Centaury. Cage revient sous les doigts des interprètes, tapotant cette fois sur l'écran de leur tablette ou conversant entre eux avec humour (Once upon a time) : un amuse-bouche ô combien délectable avant la dernière pièce du concert. Elle est dédiée à Proxima Centauri, et tout particulièrement à « Maribé » (notre saxophoniste) par qui dit avoir ressenti, en visitant les arènes de Nîmes, cette « violence antique » qui s'exerce dans Coliseum (2008) pour ensemble et électronique. L'énergie est à la source du geste et du son chez un compositeur qui aime retrouver l'esprit de l'improvisation et la tension qui en découle. Cette musique âpre et sauvage est sublimée par le jeu de au saxophone baryton.

Les concerts des quatre journées suivantes (du 25 au 28 octobre) étaient consacrés aux compositeurs des dix-huit pays intégrant la Confédération Internationale de Musique Électroacoustique (CIME), qui avaient répondu à l'appel d'œuvres lancé par le festival pour cette 24ᵉ édition, la France comprise, représentée par Françoise Barrière et Christian Clozier. Les compositeurs chinois bouclaient ce panorama mondial des musiques électroacoustiques avec un ultime concert, le plus nourri de tous, rassemblant dix pièces dont sept en création mondiale : un témoignage de l'intérêt et du dynamisme de la création sonore via les nouveaux outils technologiques en Chine, que l'on doit au maître Zhang Xiaofu, le premier, rappelons-le, à avoir développé à Pékin les structures d'enseignement et de diffusion d'une musique qu'il était venu découvrir et étudier en France.

Crédit photo : © festival musicacoustica-Beijing

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