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Le Festival d’Erl en plein scandale

 

3d27c3_78ae4229045f4b99931daedf838643c3~mv2_d_4129_2075_s_2Il était une fois un petit village, serti dans les plus pittoresques paysages du Tyrol, à deux pas de la Bavière, où de bonnes fées au portefeuille garni avaient en 1998 fait un miracle : créer une sorte de havre artistique où une communauté de jeunes musiciens passionnés se rassemblaient pour jouer les grands opéras de Wagner, de Strauss et de quelques autres. Le maître d’œuvre, l’inspirateur, le mentor de ces jeunes esprits s’appelait Gustav Kuhn, chef d’orchestre, metteur en scène, patron d’une académie de jeunes voix dans un couvent toscan, et maître d’œuvre de la construction en 2012 d’une salle bâtie pour lui, en plus d’une salle déjà existante destinée aux Jeux de la Passion du Christ qui se déroulent à Erl une fois tous les six ans depuis plus de quatre siècle.

Depuis le début de l’année 2018, le travail du journaliste Michael Wilhelm, prolongé par diverses publications dont le magazine autrichien Profil et éclairé par plusieurs lettres ouvertes d’artistes ayant travaillé à Erl, ont dévoilé la face sombre du conte de fées. On y décrit une organisation sectaire toute entière organisée autour de Kuhn et de son mécène, l’industriel Hans Peter Haselsteiner – avec le soutien de la classe politique locale et la complaisance des médias. Malgré les tentatives de de réduire au silence les détracteurs par des recours judiciaires, deux éléments saillants ressortent des informations diffusées.

Le premier, dans l’air du temps, est la contrainte sexuelle, soit comme étape nécessaire pour conquérir les premiers rôles, soit sous une forme plus directement violente ; comme dans d’autres affaires récentes, le sexe apparaît comme une récompense du pouvoir tout autant que comme un moyen de construire et perpétuer ce pouvoir. Plusieurs chanteuses ont décrit le comportement plus qu’inapproprié de Kuhn à leur égard ; un décorateur engagé plusieurs années à Erl décrit des réceptions où « des messieurs disparaissaient avec des artistes femmes dans le local à skis ou dans le sauna », et où on pouvait voir des jeunes femmes « pleurer sans causes apparentes ».

Le second concerne les conditions de travail de l’ensemble du personnel, y compris des musiciens d’orchestre biélorusses amenés et ramenés en bus jusqu’à Minsk entre deux représentations plutôt que de leur payer des nuits d’hôtel. Selon ces révélations, le « roi d’Erl », jeu de mot sinistre sur l’Erlkönig de Goethe, le malfaisant Roi des Aulnes mis en musique par Schubert, apparaît comme un maître dans l’art de récompenser et de punir, d’insulter et de flatter, sans s’embarrasser de contrats ou de droit du travail. Subventionné par le Land du Tyrol, le Festival ne subissait aucun contrôle sur l’usage de ses finances ou sur le respect des règles de droit. Un ancien responsable administratif raconte qu’il offrait aux nouveaux employés un livre sur la terreur stalinienne en ajoutant : « Voilà une sorte de mode d’emploi pour Erl, sauf qu’ici on ne fusille pas ».

Depuis le mois de juillet, le festival s’est décidé à mettre en sommeil les fonctions directoriales de Kuhn et de le relever de toutes ses charges administratives et de toute participation artistique au festival tant que l’affaire n’aura pas trouvé son aboutissement judiciaire. Mais cela n’empêche pas la combativité : les responsables du festival, directement mis en cause dans l’organisation du système Kuhn, ont ainsi organisé une conférence de presse pour défendre Kuhn et réclamer son retour. Plus troublant encore, la vente de billets sur le site du Festival continue pour le festival d’hiver, où le nom de Kuhn est présent comme si de rien n’était.

Quelle qu’en soit l’issue judiciaire, ce scandale qui fait grand bruit outre-Rhin rappelle que le monde de l’art et de la musique n’est en aucune façon dispensé des règles du code du travail et que les relations sexuelles non consenties y relèvent comme partout du code pénal.

Crédit photographique : © Peter Kitzbichler

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