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Stuttgart. Opernhaus. 29-IX-2018. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Arpád Schilling ; décor : Raimund Orfeo Voigt ; costumes : Tina Kloempken. Avec : Goran Jurić (Henri l’Oiseleur) ; Michael König (Lohengrin) ; Simone Schneider (Elsa) ; Martin Gantner (Friedrich von Telramund) ; Okka von der Damerau (Ortrud) ; Shigeo Ishino (Héraut). Chœur de l’Opéra de Stuttgart (préparation : Manuel Pujol) ; Orchestre national de Stuttgart, direction : Cornelius Meister
Michael König triomphe dans le rôle-titre pour les débuts d'une nouvelle ère à Stuttgart.
Une première peut en cacher d'autres : ce n'est pas seulement une nouvelle mise en scène de Lohengrin qui est dévoilée ce soir, mais c'est aussi une nouvelle équipe, nouvel intendant, nouveau chef de chœur et nouveau directeur musical. Mais, ce spectacle le prouve, cette série de débuts n'est pour autant pas une tabula rasa ; Wagner était déjà au centre des préoccupations de Sylvain Cambreling ; et l'engagement durable de l'Opéra de Stuttgart en direction d'un théâtre musical résolument actuel et créatif, au moins depuis les débuts de la direction de Klaus Zehelein en 1991, survit visiblement au départ de Jossi Wieler. Son successeur Viktor Schoner, collaborateur de Gerard Mortier à Salzbourg, à la Ruhrtriennale puis à Paris, a le profil idéal pour poursuivre dans cette voie. La distribution de cette première rappelle qu'il était jusqu'à cet été un des principaux collaborateurs de Nikolaus Bachler à l'Opéra de Bavière : si certains (Schneider, Ishino) sont des vétérans de la troupe de Stuttgart, beaucoup sont passés par Munich.
Michael König, lui, n'a jamais été membre de la troupe ni à Stuttgart, ni à Munich. Son Lohengrin n'en est pas moins sensationnel : on peut toujours faire remarquer que sa voix proprement héroïque n'a pas les clairs-obscurs idéaux de Jonas Kaufmann, mais elle a bien d'autres qualités : la solidité et la fraîcheur jusqu'au bout du rôle sont déjà précieuses, mais elles s'accompagnent d'une constante intelligibilité du texte, d'une souplesse jamais mise en défaut, avec tous les allègements qu'on peut souhaiter. De Munich, Schoner a amené Martin Gantner, Telramund clair et percutant, ainsi qu'Okka von der Damerau, dont la voix d'une grande beauté instrumentale l'amène à une interprétation humaine à mille lieues de la caricature proposée par Christine Goerke il y a quelques mois à Londres, mais le portrait gagnerait à être plus fouillé. C'est aussi le cas pour Simone Schneider, qui a toute la technique nécessaire pour Elsa mais présente un timbre qui manque de fraîcheur juvénile et ne crée pas véritablement de personnage. Cornelius Meister dirige la partition avec efficacité, sans brumes germaniques, avec un réel sens du théâtre et du soutien aux chanteurs.
La force expressive d'un minimalisme théâtral
Arpád Schilling est un artiste majeur du théâtre contemporain, et un artiste directement engagé dans son temps, que ce soit pour porter le théâtre dans la vie de ses contemporains ou dans un sens directement politique – il fait partie de ces artistes que le régime autoritaire hongrois a désignés non comme opposants, mais comme ennemis. La fin du régime communiste en Hongrie et l'échec de la transition démocratique désormais patent interroge la force de ce qui cimente la société, ce qui l'unit contre les dangers qui la guettent, ce qui la détruit de l'intérieur. Ceux qui aiment l'opéra pour le grand spectacle qu'il offre et que les metteurs en scène les plus modernes aiment eux aussi à construire seront déçus par son travail ; ceux qui aiment un théâtre à échelle humaine, et un théâtre riche de sens et d'émotion, seront comblés.
Lohengrin, c'est l'histoire d'un sauveur – malheur à qui croit aux sauveurs. Homme providentiel peut-être, mais aussi expression d'une aspiration à la libération : quand Lohengrin doit combattre Telramund, c'est parce que le peuple l'y pousse, pour ne pas dire l'y force. Le premier acte, réduit à des moyens théâtraux minimaux, est d'une force remarquable : sans autre accessoire qu'un petit cygne en peluche, sans autres costumes qu'une grisaille universelle qui dit le désarroi d'une société sans élan collectif, Schilling rend simplement visibles les enjeux dramatiques et politiques de l'arrivée de Lohengrin. Le décor, dans son épure radicale, est un des plus beaux, un des plus forts qu'on ait vus récemment, avec cette profondeur, ces noirs, ces lumières d'une délicatesse rare. Un cercle tracé à la craie pour le combat entre Lohengrin et Telramund prend une force surnaturelle, et même si Telramund tente de l'effacer d'un geste rageur au début du deuxième acte, cette manière de matérialiser la force de l'incarnation parcourt tout le spectacle. La couleur paraîtra seulement à l'acte II, quand la société reprend espoir par le mariage entre Lohengrin et Elsa – mais le spectacle s'intéresse autant à ce phénomène de l'incarnation qu'à son échec final, et au-delà de ses immenses qualités plastiques, le spectacle tire sa force de l'évidence avec laquelle Schilling rend concrets et évidents les apories de cette société incapable de créer un avenir sans son sauveur.
Crédits photographiques : © Matthias Baus
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Stuttgart. Opernhaus. 29-IX-2018. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Arpád Schilling ; décor : Raimund Orfeo Voigt ; costumes : Tina Kloempken. Avec : Goran Jurić (Henri l’Oiseleur) ; Michael König (Lohengrin) ; Simone Schneider (Elsa) ; Martin Gantner (Friedrich von Telramund) ; Okka von der Damerau (Ortrud) ; Shigeo Ishino (Héraut). Chœur de l’Opéra de Stuttgart (préparation : Manuel Pujol) ; Orchestre national de Stuttgart, direction : Cornelius Meister