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Frankfurt. Oper Frankfurt. 23-IX-2018. Péter Eötvös (né en 1944) : Trois Sœurs, opéra en trois séquences sur un livret de Claus H. Henneberg d’après la pièce éponyme de Tchékhov. Mise en scène : Dorothea Kirschbaum. Décors : Ashley Martin-Davis. Costumes : Michaela Barth. Lumières : Joachim Klein. Vidéos : Christina Becker. Dramaturgie : Mareike Wink. Avec : Ray Chenez, Irina ; David DQ Lee, Masha ; Dmitry Egorov, Olga ; Mikołaj Trąbka, Andreï ; Eric Jurenas, Natacha ; Mark Milhofer, Docteur ; Krešimir Stražanac, Tusenbach ; Barnaby Rea, Soljoniy ; Thomas Faulkner, Kulygin ; Iain MacNeil, Verchinine ; Alfred Reiter, Anfissa ; Isaac Lee, Rodé ; Michael McCown, Fedotik. Frankfurter Opern- und Museumsorchester, directions musicales : Dennis Russell Davies, Nikolai Petersen
Créé à Lyon en 1998 par Kent Nagano, Trois Sœurs de Péter Eötvös se présente déjà comme l'un des opéras modernes les plus repris ces dernières années : en 2016 avec une nouvelle production de la version pour femmes au Wiener Staatsoper et cette saison dans une nouvelle mise en scène, peut-être la meilleure de l'ouvrage depuis sa création, pour l'Oper Frankfurt.
Parmi les saisons les plus dynamiques au monde, celle de Francfort tient l'un des rangs principaux, à l'image de cette rentrée débutée par deux nouvelles productions simultanées d'opéras créés au tournant du XXIe siècle. En même temps que Lost Highway mis en scène par Yuval Sharon au Bockenheimer Depot, la grande salle de l'Oper Frankfurt propose la passionnante version d'origine de Tri Sestry (Trois Sœurs) de Péter Eötvös, en russe et avec une distribution purement masculine, quand il aurait sans doute été plus simple pour un opéra de Hesse d'utiliser la traduction allemande avec femmes apparue à Düsseldorf une année seulement après la création lyonnaise, avec l'Anfissa mémorable de Martha Mödl.
Sans fuir totalement l'univers du buto créé par la scénographie d'origine d'Ushio Amagatsu et pensé par Eötvös dès la composition de l'opéra, la metteuse en scène Dorothea Kirschbaum intègre le superbe livret de Claus H. Henneberg − librettiste connu aussi pour Lear de Reimann ou Enrico IV de Manfred Trojahn repris à Francfort en février dernier − dans une pièce moderne dont la froideur du design et la blancheur des matériaux d'Ashley Martin-Davis s'adaptent magnifiquement à l'atmosphère du drame de Tchekhov. Le plateau et son salon glacé de contemporanéité coulissent latéralement pour laisser apparaître un jardin d'enfants, d'un gris livide renforcé par les éclairages, à peine relevé par les couleurs du tourniquet et de la balançoire utilisés seulement par les adultes. Les néons autour du cadre de scène s'allument quelquefois en blanc ou rouge pour renforcer certaines situations, magnifiées par un travail de dramaturgie au cordeau et superbement portées par les acteurs. Seules les vidéos en soutien dans le style des films animés de Marjane Satrapi – on pense surtout à Persépolis − ne semblent pas tout à fait intégrées.
Le double orchestre se sépare entre la fosse pour les instruments assemblés par groupe à des personnages scéniques. Le premier ensemble est dirigé par l'excellent Dennis Russell Davis avec une tension énigmatique dès les mesures introductives de l'accordéon ; le second, plus proche d'un orchestre symphonique, au-dessus du plateau en arrière-scène, est conduit par Nikolai Petersen, chef à la battue fluide autant que précise pour adapter les nappes de cordes aux relations ambiguës des treize acteurs.
La distribution met en avant les deux sœurs pour lesquelles une partie de l'opéra est consacrée, Irina et Masha. Alors que la troisième section se voit offerte au frère Andreï plutôt qu'à Olga, la sœur plus effacée dont la vie de célibataire sans passion ne semble pouvoir justifier d'intérêt. Ray Chenez s'accorde magnifiquement au travestissement de la cadette Irina aux cheveux de feu, d'une présence éclatante dans de nombreuses scènes sans jamais non plus que cela crée de déséquilibre. David DQ Lee semble avoir porté des habits féminins toute sa vie tant il s'intègre naturellement à son costume pour développer la posture de mal-être de Masha, qu'il exploite en plus avec la voix la mieux projetée et la plus clair du plateau. Dmitry Egorov offre une carrure plus imposante en même temps qu'une voix plus basse parfaitement adaptées à l'insignifiance d'Olga.
Des autres chanteurs, l'Andreï baryton de Mikołaj Trąbka marque évidemment lors de sa partie dédiée et plus particulièrement lors de son long monologue. On retient aussi la gravité de la basse Barnaby Rea pour Soljoniy et le bas-médium d'Alfred Reiter pour la servante Anfissa. Le Docteur éploré de Mark Milhofer attire plus que le reste des amants et maris. Il faut également citer la prestation remarquée du quatrième contre-ténor, Eric Jurenas pour Natacha, rôle de la femme d'Andreï, déjà tenu à Vienne dans la production de Yuval Sharon, aujourd'hui en robe et chaussures à talon vertes.
Cette production manifeste avec un peu plus en évidence encore la qualité de chef-d'œuvre du premier opéra de Péter Eötvös.
Crédits photographiques © Monika Rittershaus
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