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Peindre la musique. Gérard Denizeau. Éditions Muse. 164 pages. 31,80 €. Novembre 2017
Gérard Denizeau, spécialiste des rapports pluridisciplinaires, propose un essai d'une étonnante densité sur les liens, correspondances et interactions entre la peinture et la musique, des temps préhistoriques à nos jours.
L'ouvrage à première vue n'est pas bien épais, mais l'apparence est trompeuse, à l'instar de l'œuvre d'un Anton Webern qui représente six heures de musique mais exige bien plus d'heures d'écoute attentive pour en retirer la substantifique moelle. L'exemple n'est d'ailleurs pas anodin, car la Seconde école de Vienne et ses continuateurs comme Boulez ont inspiré des peintres que l'auteur nous fait (re)découvrir, tel Le tombeau de Webern de Jean Dewasne, « compositeur ès-couleurs ».
En seulement 157 pages, Gérard Denizeau, universitaire et auteur prolifique sur des thèmes aussi différents que l'architecture, la peinture, la musique, se passionne pour l'étude fusionnelle des expressions sensibles. Son Dialogue des Arts (Clef ResMusica, Larousse 2008) avait un spectre plus large car il couvrait cinq arts, les deux qui nous occupent et en plus l'architecture, la sculpture et la littérature. En une cinquantaine de pages, l'auteur passe en revue l'évolution des liens entre musique et peinture de l'art pariétal jusqu'au XIXe siècle, avec l'arrivée des premiers théoriciens des correspondances entre couleurs et sons, Jean-Jacques Rousseau mais peut-être surtout le mathématicien Louis-Bertrand Castel et son Traité sur l'optique des couleurs (1740), qui imaginait déjà un « clavecin oculaire » et une « tapisserie musicale » qui permettrait de « peindre la musique et les sons en les fixant sur une même toile ».
Mais le cœur palpitant de l'ouvrage est dans l'étude – en forme parfois de réhabilitation – de quatre maîtres français qui se sont engagés dans l'abstraction radicale et ont cherché ardemment à établir des passerelles avec la musique : Auguste Herbin (1882-1960) est le pionner, créant en 1941-1942 l'alphabet plastique où à chaque lettre de l'alphabet correspondent des formes, des couleurs et des notes, et des tableaux-notes (Do I, Do II, Do III, Ré, Mi…). Ses recherches ont laissé ses contemporains de marbre, mais il eut des continuateurs. Jean Legros (1917-1981) fut le premier, signant par exemple une série de Ronds musicaux en 1978 où il rend hommage à nombre de compositeurs pour lesquels il avait des affinités, de Couperin à Stockhausen en passant par Mozart, Hector Berlioz (pour son côté aîné rebelle) ou Pierre Henry. Il se suicida, dans l'indifférence. Jean Dewasne (1921-1999) développera des antisculptures, c'est-à-dire des tableaux volumétriques. C'est un inconditionnel des seconds Viennois : son Tombeau d'Anton Webern constitué en 1952 à partir de la partie arrière d'une ancienne voiture de course est un hommage aussi clair que non explicité par l'artiste au compositeur. François Morellet (1926-2016) est comme Dewasne mieux reconnu que leurs prédécesseurs, et penche lui pour John Cage et Steve Reich… ou Johann Sebastian Bach dont il reprend la technique du contrepoint pour composer ses tableaux.
L'ouvrage se conclut sur une prospective : les promesses de l'art vidéo, avec comme figure iconique Bill Viola. Un nouveau champ d'exploration et d'expérimentation semble agrandir encore, de manière vertigineuse, le champ de recherche.
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Peindre la musique. Gérard Denizeau. Éditions Muse. 164 pages. 31,80 €. Novembre 2017
Éditions Muse