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Dedans, dehors à l’Abbaye de Royaumont

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Abbaye de Royaumont. Festival de Royaumont
8-IX-2018. Orgue & toys : œuvres de Toshio Hosokawa, Noriko Baba, Luciano Berio, Giovanni Bertelli, Giacinto Scelsi. Francisco Filidei, orgue ; Noriko Baba et Yves Chauris, assistants
8-IX-2018. Vertiges : œuvres de Philippe Leroux, Ivan Fedele, Mauro Lanza, Amos Elkana, Hakki Cengiz Eren (création mondiale), Philippe Hurel. Ensemble Meitar ; direction Pierre-André Vallade
9-IX-2018. Carré magique. Sivan Eldar : Heave (création mondiale). Œuvres de Claudio Monteverdi, Lorenzo Pagliei, Carlo Gesualdo, Osvaldo Coluccino. Ensemble Exaudi

filidei_philippe-stirnweiss-31Explorant les relations entre nature et art, la thématique du week-end Voix nouvelles, emmenée par son directeur , mobilise toutes les ressources de l'abbaye, des espaces intérieurs luxuriants à l'humus parfois résonnant de ses jardins.

À l'Abbaye de Royaumont, l'orgue « de salon » au buffet de bois clair joliment sculpté a été placé dans la Salle du réfectoire des moines. Le récital qu'y donne , organiste et compositeur des plus actifs sur la scène internationale, exige deux assistants, voire un troisième dissimulé à l'intérieur des tuyaux pour dompter la mécanique. Avec trois de ses œuvres au programme, la compositrice japonaise – l'un des maîtres de l'Académie Voix Nouvelles – est mise à l'honneur et à contribution, puisqu'elle assiste l'organiste avec son associé . C'est l'orgue à bouche et ses effets vibratoires que suggère Toshio Hosokawa dans le début de Cloudscape, une pièce très impressionnante par ses déploiements sonores. Workouts, titre des deux pièces de entendues en alternance, signifie « exercice de fitness ». La compositrice éprouve en effet l'endurance de l'interprète, du jeu de jambes à celui des paumes voire des bras sur le clavier. Sous son écriture inventive, l'orgue devient une sorte de gros poumon, avec râle, souffle et autres expectorations… Dans la deuxième pièce la compositrice a pris ses distances, jouant elle-même de la flûte à coulisse et autre tuyau, pour créer avec les jeux d'orgue des effets de plein-air, assez rares s'agissant d'un tel instrument. Après Doraemon, Kalavinka, de toujours, est joué en trio, les deux assistants étant munis d'appeaux, harmonica et jouets « couineurs ». Avec le charivari d'oiseaux recréé par les trois musiciens, on se croirait dans la nature, n'était l'action du pédalier et de la soufflerie fauve de l'orgue, le tout canalisé par une conduite rythmique implacable.

L'accord monolithique et complexe qui débute Negativo de Mauro Lanza – autre maître de l'Académie – est soumis aux processus de transformation et aux effets spectaculaires de la registration, dont le compositeur exploite les combinaisons de couleurs. Si Fa-Si de relève de l'énigme, tant au niveau du titre que de l'écriture dispensée, dans Toccata della Madonna de Giovanni Bertelli, les strates sonores qui se superposent atteignent une épaisseur et une intensité vibratoire vertigineuses. Enfin, l'activité des assistants concurrence celle de l'organiste dans In nomine Lucis de , une pièce toute en subtilité exploitant les fluctuations microtonales du son obtenues par l'action des jeux tirés au quart ou à demi : autant de tâches délicates dévolues aux deux assistants, pour déployer l'image lumineuse du spectre sonore.

L' invité par Voix Nouvelles

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Le concert très/trop copieux de l'ensemble israélien Meitar, invité par Voix nouvelles dans le cadre des échanges franco-israéliens 2018, affiche six pièces dont une création mondiale, commande de Voix nouvelles à Hakki Cengiz Eren grâce aux dons financiers de particuliers.

Dans Prélude à l'épais qui ouvre la soirée, poursuit son exploration systématique de la matière sonore et du mouvement qui l'anime. Les musiciens, y compris leur chef , qui ont créé l'œuvre en 2017, doivent assumer une partie gestuelle et vocale dont la dramaturgie véhicule sa part de mystère. D', Immagini da Escher (2005) est une pièce exigeante autant que séduisante, en sept parties impeccablement servies par les musiciens. Dans The skin of the onion du facétieux Mauro Lanza, le compositeur exerce sa manière répétitive et processuelle, travaillant dans les registres clairs de la sonorité que rehausse un pupitre de percussions très pastorales.

En seconde partie, après la création française de Tripp, une pièce un rien composite de l'États-unien Amos Elkana, l' donne en création mondiale O Kim de Hahhi Cengiz Eren, une pièce en deux volets très contrastés : son saturé et manière musclée, un peu répétitive, dans une première partie (ab)usant des multiphoniques de la clarinette basse ; la seconde partie est son avers, dans l'infra-saturation, privilégiant les alliages insolites et une matière qui se fige progressivement. Terminer la soirée avec Figures libres de est un défi que les musiciens de Meitar relèvent vaillamment. La virtuosité et l'engagement physique sont les pré-requis de cette pièce en trois mouvements qui engage une dialectique serrée entre figures imposées, le thème et ses phrases asymétriques, et espaces de liberté. et ses interprètes en restituent la brillance et le geste énergétique.

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Germination sonore

Le concert des Exaudi, le lendemain, prend une tournure plus aventureuse, invitant le public dans les jardins de l'Abbaye, le soleil de septembre étant toujours au rendez-vous à Royaumont, tout comme les avions d'ailleurs, qui participent du paysage sonore. Plus précisément, c'est dans le « Carré magique », cet espace vert où l' a enfoui ses haut-parleurs dans les plantations de rhubarbe, qu'a lieu la création mondiale de Heave de la compositrice israélienne , lauréate de Voix nouvelles révélée au public par le festival Manifeste 2018. Co-commande de Royaumont et de l'Ircam, Heave (soulever) est une pièce pour six chanteurs et électronique écrite sur des poèmes de Cordélia Lynn, traitant de deux expériences amoureuses, l'une humaine, l'autre non humaine. Les voix, toujours fragiles et de faible amplitude, évoluent dans un environnement sonore luxuriant et « magique » assurément, car délesté, en apparence du moins, de tout appareillage électronique : l'expérience sensorielle est privilégiée et à fleur d'émotion, dans ce cadre naturel scénographié par Aurélie Lemaignan.

Revenu dans la Salle du réfectoire des moines, l' file la thématique de l'amour, de la séparation et de la mort avec les madrigaux de Monteverdi (Ô printemps gracieux, Mon cœur, tandis que je te regarde) et ceux, plus théâtraux, de Gesualdo (Si c'est ma mort que tu veux, De grâce, comme en vain je soupire), un répertoire à cinq voix dirigé par , qu'il chante avec la couleur et la flexibilité vocale qu'induit cette écriture raffinée. De même, la délicatesse affleure dans les pièces récentes des deux compositeurs italiens présents ce soir. La tension expressive passe par le dépouillement et la retenue dans Scomparsa (Disparition) d'Osvaldo Coluccino. Le matériau est minimal dans Corpi celesti de Lorenzo Pagliei, une pièce d'une grande finesse recherchant le continuum sonore dans une trajectoire circulaire où les voix semblent paradoxalement toujours chuter. Les Exaudi ont gardé la même fraicheur vocale dans le madrigal à cinq voix de Monteverdi Rimanti in pace (Reste ici en paix) avec lequel ils terminent la soirée, sans chef toutefois.

Crédits photographiques : © Abbaye de Royaumont et photo © Philippe Stirnweiss

Lire également :

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