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Bayreuth. Festspielhaus. 3-VIII-2018. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin, opéra romantique en trois actes. Mise en scène : Yuval Sharon. Décors et costumes : Neo Rauch & Rosa Loy. Lumières : Reinhard Traub. Avec : Georg Zeppenfeld, König Heinrich ; Piotr Beczała, Lohengrin ; Anja Harteros, Elsa von Brabant ; Tomasz Konieczny, Friedrich von Telramund ; Waltraud Meier, Ortrud ; Egils Silins, Der Heerrufer des Königs ; Michael Gniffke, Eric Laporte, Kay Stiefermann, Timo Riihonen, Edler. Chor der Bayreuther Festspiele (Chef de Chœur : Eberhard Friedrich). Orchester der Bayreuther Festspiele, direction musicale : Christian Thielemann
Nouvelle production du Festival de Bayreuth 2018, Lohengrin dans la mise en scène de Yuval Sharon ne trouve qu'une proposition axée sur la couleur bleue, dont l'absence de dramaturgie ne rend pas hommage à la distribution portée par Piotr Beczała et la sublime Ortrud de Waltraud Meier, tous soutenus par l'impeccable travail orchestral de Christian Thielemann.
Yuval Sharon a récemment abordé Wagner avec Die Walküre à Karlsruhe dans une production discutable mais pleine d'idées. Il revient au maître de Bayreuth cet été avec une nouvelle mise en scène de Lohengrin, d'abord prévue pour Alvis Hermanis. Mais si sa proposition pour la première journée du Ring montrait trop d'éléments, celle du troisième opéra de maturité de Wagner en montre bien trop peu. Elle semble même faire douter de la véritable assurance du metteur en scène quant à la pertinence de son concept, surtout basé sur la couleur bleue défendue par les décors et costumes de Neo Rauch et Rosa Loy.
Le rideau s'ouvre et présente diverses teintes bleutées du sol au plafond, jusqu'aux costumes. Les peintures des toiles de fond ou celles projetées sur le rideau baissé lors des interludes étalent un trait relativement proche de la période impressionniste, sans jamais magnifier la scène, sauf peut-être la dernière. Un double-jeu autour de l'électricité la montre d'abord physiquement représentée, soit par la centrale électrique par laquelle arrive le héros, soit par des poteaux et fils conducteurs ainsi que des éclairs. Cette électricité image aussi les fluides entre les personnages (comme lors des combats ou dans les relations amoureuses) qui se développent autour de l'idée des insectes. Par exemple, un Roi Heinrich affublé d'ailes de libellule, que l'on retrouve aussi sur Lohengrin et même à la fin clouées au mur, quand Ortrud ressemble avec ses courtes ailes grises à la méchante reine d'un Disney du siècle précédent.
La seconde couleur utilisée, l'orange, tapisse le lit jusqu'au mur à l'intérieur d'une sorte de petit phare surélevé d'un paratonnerre, dans lequel se trouve une antenne conductrice. Cette couleur plus vive représente la passion entre Lohengrin et Elsa, mais une fois passés ces éléments de décors, il ne reste plus rien à quoi se raccrocher, ni à une dramaturgie particulièrement peu travaillée, ni au concept global qui manque de développement, au risque même de nous montrer à l'acte I un ridicule combat sur filins dans les airs entre l'insecte Lohengrin et l'insecte Telramund.
Un si faible jeu d'acteur n'est plus viable aujourd'hui, mais lorsque l'on possède des acteurs du niveau de l'incroyable Waltraud Meier, c'est presque criminel. Totalement livrée à elle-même dans son costume de reine noire, elle n'en magnifie pas moins ses parties et emporte Ortrud encore plus loin qu'à Berlin en 2016. La profondeur du bas-médium et surtout la pureté et la couleur de l'aigu font mouche à chaque phrase, prononcée avec la précision et les intentions que l'on connaît par l'une des plus grandes wagnériennes de tous les temps. Difficile d'en dire autant d'Elsa, car si Anja Harteros tenait encore superbement deux ans plus tôt dans la capitale allemande un rôle qu'elle a porté au plus haut depuis une décennie à Munich puis Milan, la perte du registre haut-aigu ajouté à un vibrato déjà problématique lors de son Elisabeth de 2017 à Munich ne sont plus adaptés à une partition qu'elle tient maintenant sur deux voix, la seconde utilisée pour aller chercher les parties bas-médium.
Tomasz Konieczny n'a pas osé refuser de reprendre Telramund alors qu'il nous avouait déjà lors des représentations parisiennes que le rôle ne convenait plus tout à fait à sa tessiture. Injustement hué à la première, il tient pourtant avec force et gravité un duo particulièrement intéressant face à Lohengrin à l'acte II, même si l'on sent en effet que la voix a évolué et n'est plus faite pour ce personnage trop brutal. Georg Zeppenfeld était déjà König Heinrich dans la production précédente de Hans Neuenfels à Bayreuth et doit maintenant jouer au milieu de lucioles plutôt que de rats de laboratoire. Il n'est lui aussi plus tout à fait référent dans un rôle pour lequel il a toujours la grandeur, mais plus la profondeur de graves, là où Egils Silins présente un Heerrufer impactant, celui d'un baryton capable aussi de chanter Wotan, comme le souhaitait Thielemann lorsqu'il a préparé sa distribution.
Avec l'annulation de Roberto Alagna, Piotr Beczała d'abord prévu dans cette nouvelle production avant d'en disparaître, a dû réapprendre rapidement un mois plus tôt un livret découvert en 2016 à Dresde, rechanté une seule fois depuis en concert à Zurich suite à la défection du ténor Brandon Jovanovitch. Comme nous le pensions déjà lors de sa prestation saxonne et avec encore plus de maturité, il offre un Lohengrin sensible, relativement italien dans la souplesse et la gestion de la coloration du timbre en fonction des besoins dramatiques. La tension vocale de la fin du deuxième acte et même du début du troisième nous font penser qu'il a raison de continuer à vouloir chanter principalement des rôles verdiens et pucciniens plutôt que de s'enfoncer vers Wagner, même si la tenue globale de toutes les parties et surtout la beauté et la justesse des airs, notamment le dernier, attirent et font indubitablement du chanteur l'un des meilleurs tenants du rôle sur les grandes scènes du monde actuellement.
Le superbe Chor der Bayreuther Festspiele se montre légèrement moins préparé que pour le Parsifal de la veille, mais correspond au niveau de qualité attendu pour le festival et intéresse particulièrement dans la dynamique de la fin de l'acte II. Tous bénéficient en outre d'un tapis orchestral de référence grâce à la présence en fosse du directeur musical des lieux, Christian Thielemann. Déjà chef à Dresde en 2016 sous Piotr Beczała après avoir repris l'ouvrage en Saxe en 2013, Thielemann n'a pas fondamentalement évolué dans sa perception d'une partition pour laquelle il se montre parfaitement pertinent. Chaque son du superbe orchestre se trouve parfaitement rendu et seule une légère tendance à l'allègement et à la diversification des couleurs, comme dans le duo de l'acte III, montre une variation par rapport à ses prestations précédentes. Loin de la douceur d'un Nelsons auparavant en fosse à Bayreuth, Thielemann livre une partition brute et parfaitement ciselée autour des instruments liés à chaque caractère sur scène, ainsi qu'un véritable flux architecturé autour du drame. L'été prochain, espérons que le renouvellement de la majorité de la distribution suffise à dynamiser cette production à retravailler scéniquement.
Crédits photographiques © Enrico Nawrath
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