La Reine de Chypre ou la résurrection eut enfin lieu

Après un concert à Paris fortement handicapé par la défection in extremis du ténor principal, l'enregistrement de La Reine de Chypre réalisé auparavant permet enfin de redécouvrir l'une des œuvres majeures de Fromental Halévy. 

Ce devait être un événement : la résurrection de La Reine de Chypre, grand opéra disparu des scènes françaises dès les années 1870. Mais le rêve tourna au cauchemar. Cyrille Dubois, lui-même remplaçant de Marc Laho initialement prévu, se désista à la dernière minute. Fatigué après deux jours d'enregistrement, il se déclara incapable d'assurer le concert. Un autre remplaçant fut trouvé qui tenta désespérément de déchiffrer un rôle excédant pourtant ses capacités vocales. Il fallait donc attendre la parution de l'enregistrement pour juger enfin de la valeur de cet opéra oublié.

Mais là aussi, l'événement, n'a pas lieu. A vrai dire, La Reine de Chypre, s'avère une œuvre plutôt inégale. Si l'orchestration réserve quelques heureuses surprises, certains airs sont d'une inspiration assez banale. Et ce n'est qu'au quatrième et cinquième acte que l'émotion se fait enfin jour.

Les rôles principaux ne sont pas moins d'une grande difficulté : Ce fut le légendaire Gilbert Duprez qui créa le rôle de Gérard en 1841. Halévy l'avait écrit sur mesure pour le ténor vedette qui avait « inventé » le contre-ut de poitrine. Des contre-uts, il y en a donc pour Gérard, et même des contre-ré bémols. Cyrille Dubois affronte ces aigus avec une facilité admirable. Mais son ténor léger et suave, au charme indéniable, manque de vaillance pour rendre justice à ce rôle de héros. Véronique Gens, elle non plus, n'a pas exactement les moyens du rôle-titre – la même Catarina Cornaro d'ailleurs que Gaetano Donizetti encensa trois ans plus tard dans son opéra éponyme. Écrit pour Rosine Stoltz, plus mezzo que soprano, le rôle demande une voix particulièrement longue, au registre grave fourni et à l'aigu lumineux. Si certains aigus sonnent un peu mats, d'autres passages sont un peu graves pour la voix de Véronique Gens. Elle tire néanmoins son épingle du jeu grâce à la beauté de son timbre, à l'autorité de son chant et à sa diction exemplaire.

Lusignan, le roi de Chypre, n'est introduit qu'au troisième acte. Étienne Dupuis, baryton ample au chant tour à tour vaillant et nuancé, fait regretter la relative brièveté du rôle. Tout comme Éric Huchet qui n'a que peu d'occasions pour former le caractère du méchant Mocenigo.

Au pupitre de l'Orchestre de chambre de Paris, Hervé Niquet fait ce qu'il peut pour enflammer une musique qui peine à décoller. Nous nous consolons donc avec les deux derniers actes où l'œuvre se hisse finalement au niveau de La Juive.