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Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence. 14-VII-2018. Wolfgang-Amadeus Mozart (1756-1791) : La Flûte enchantée, singspiel en deux actes sur un livret d’Emmanuel Schikaneder. Mise en scène : Simon McBurney. Décor : Michael Levine. Costumes : Nicky Gillibrand. Lumières : Jean Kalman. Vidéo : Finn Ross. Robin Beer, illustrateur vidéo. Ruth Sullivan, illustratrice sonore. Avec : Kathryn Lewek, La Reine de la Nuit ; Mari Eriksmoen, Pamina ; Lilian Farahani, Papagena ; Judith van Wanroij, Première Dame ; Rosanne van Sandwijk, Deuxième Dame ; Helena Rasker, Troisième Dame ; Stanislas de Barbeyrac, Tamino ; Dimitry Ivashchenko, Sarastro ; Bengt-Ola Morgny, Monostatos ; Christian Immler, L’Orateur ; Trystan Llŷr Griffiths, Premier homme d’armes/Deuxième Prêtre ; Geoffroy Buffière, Premier Prêtre/Deuxième homme d’armes ; Membres du Knabenchor der Chorakademie Dortmund, Trois garçons. Chœur et Orchestre de l’Ensemble Pygmalion, direction : Raphaël Pichon
Ainsi qu'il l'avait fait pour Le Songe d'une nuit d'été par Robert Carsen, Bernard Foccroulle, pour sa dernière programmation à la tête du Festival d'Aix-en-Provence, ré-inscrit un de ses plus grands succès, cette Flûte enchantée de 2014 réinventée par Simon McBurney, et dont la distribution quasi-fidèle est magnifiée par la direction bouleversante de Raphaël Pichon.
Le plus grand mérite du travail du metteur en scène britannique est de parvenir à unifier les strates de l'hétéroclite dernier Mozart avec une relative légèreté de moyens qui l'apparente à la création de l'œuvre en 1791 au populaire Theater auf der Wieden, une volonté de transmission du message humaniste de cet opus emblématique des Lumières, et même une attention constante à la fosse. Lorsque le spectateur entre, les instrumentistes et leur chef devisent de concert sur le plateau : on jauge la salle, on descend à son rythme dans une fosse quasiment sur-élevée à la hauteur de la scène et d'où s'échapperont quelques solistes, se réfugieront quelques chanteurs. En bord du plateau, jardin et cour sont occupés par deux cabines de plexiglas : de l'une, bourrée d'ustensiles, s'échappe une flopée de sons d'ambiance, de l'autre sont filmés décors et graffiti tracés à la craie, le tout fabriqué en direct. Sur scène, l'unique élément de décor est un plateau de jeu amovible abrité par quatre pylônes métalliques et manipulé à l'envi par quatre câbles. Le plateau monte à mi-hauteur, faisant parfois subir de vertigineuses inclinaisons à ses occupants, côtoie même la verticale. En fond de scène, un rideau de lamelles grises. À l'avant un tulle. Et c'est tout. Les oiseaux sont des feuilles A4 agitées à vue par des figurants. Le noir domine jusque dans les costumes où la couleur est réservée au couple Papageno/Papagena, et, bien sûr, le blanc à Tamino et Pamina. À l'Acte I, on trouve ce bricolage sympathique, la réputation du spectacle quelque peu usurpée et l'on se dit même que Simon McBurney fera beaucoup plus spectaculaire trois ans après avec le clin d'œil peut-être fortuit de son Rake's Progress à la sensationnelle Theodora bâloise du regretté Herbert Wernicke qui fracassait chaque soir son décor.
Mais il nous faut battre notre coulpe face à la montée en puissance d'un deuxième acte d'anthologie et sans un temps mort. Une très belle scène de conseil autour du plateau surélevé à hauteur de table avec une forte présence dévolue au Chœur Pygmalion, de désopilantes scènes de Papageno, des épreuves spectaculaires en apesanteur, les visions saisissantes d'une Reine de la Nuit se décharnant au fil de ses apparitions et entraînant avec elle un Monostatos évoluant vers l'animal, jusqu'à un final de cinéma à la Esther Williams avec tous les protagonistes couchés au sol et filmés du ciel. Le plus beau pour la fin : ce retour à Mozart de ce qui lui appartient, avec cette image de la troupe au grand complet qui se relève, s'approche de la fosse et, d'un geste ascendant, fait monter les derniers accords vers les spectateurs pendant que s'affichent, écrits à la craie sur le tableau noir du fond de scène, ces deux maîtres-mots de l'humanité, arrachés au livret de Schikaneder : Schönheit, Weisheit.
Beauté, sagesse, c'est ce qu'on aura entendu aussi dans la direction d'une prenante élévation spirituelle autant que musicale de Raphaël Pichon. La gestique est tranquille, précise, sans emphase, d'un grand naturel, à genoux devant des chanteurs qui ne forcent jamais. Ach Ich fühl's est un parangon de délicatesse, les larmes montant aux yeux à l'écoute du soprano très pur de Mari Eriksmoen. Dimitry Ivashchenko, un des Sarastro les plus paisibles qu'on ait entendus, ne pontifie jamais. Les Trois Dames menées par la luxueuse Judith van Wanroij sont aussi de merveilleuses actrices (formidable scène pentue à l'acte II). Les Trois Garçons, revus en vieillards squelettiques s'appuyant sur une canne, n'ont pas l'air de réaliser la difficulté de leur partie. Le metteur en scène donne une belle visibilité à l'orateur stylé de Christian Immler. Monostatos (Bengt-Ola Morgny) et Hommes d'armes sont au diapason d'une interprétation générale de type chambriste, au sein de laquelle détonnerait presque le Tamino de haut lignage mais plus sonore de Stanislas de Barbeyrac. McBurney parvient même à renouveler les gags aujourd'hui bien éventés qui sont le lot du rôle de Papageno, l'infatigable Thomas Oliemans faisant s'esclaffer plus d'une fois l'assistance : son hilarante intrusion dans la cabine à sons où Ruth Sullivan se croyait à l'abri, son « hashtag en manque », sa capacité à exiger le passage en faisant se lever par deux fois le premier rang de spectateurs, et, surtout le savoureux hommage, en français, aux Valseuses, avec cette adresse de l'oiseleur à Tamino : « On n'est pas bien là… à la fraîche…. », en présence d'Isabelle Huppert elle-même qui, comme on le sait, fit des débuts remarqués dans ce célèbre film de Bertrand Blier. Une Papagena très volontaire (Lilian Farahani). Une Reine de la Nuit d'exception (Kathryn Lewek, as du contre-fa mais aussi du fauteuil roulant : gare à ses flippants virages à 90° !) couronne avec éclat une distribution (Chœur Pygmalion compris, bien évidemment) vraiment mémorable.
Un seul regret : la coupure, à l'acte II, du très beau duo des prêtres Bewahre euch vor Weibertücken. Aurait-on cédé aux excès de certain air du temps ? Un metteur en scène aussi talentueux que Simon McBurney aurait dû pouvoir ne faire qu'une bouchée de l'invraisemblable misogynie de ces deux minutes de génie mozartien.
Crédits photographiques : © Pascal Victor – ArtComPress
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