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Aix en Provence. Théâtre du Jeu de Paume. 12-VII-2018. Ondřej Adámek (né en 1979) : Seven stones, opéra a capella pour quatre chanteurs solistes et douze chanteurs choristes sur un livret de Sjón. Mise en scène et chorégraphie : Eric Oberdorff. Scénographie et lumières : Eric Soyer. Costumes : Clémence Pernoud. Avec : Anne-Emmanuelle Davy, Maid, Storyteller I; Shigeko Hata, Land Lady, Storyteller II ; Nicolas Simeha, Stone Collector ; Landy Andriamboavonjy, Stone Collector’s wife. Chœur Accentus/axe 21, direction musicale : Léo Warynski
À la marge des productions attendues de la 70e édition du Festival d'Aix-en-Provence, la création mondiale de Seven stones d'Ondřej Adámek interroge, hypnotise et finit par éblouir. Le biais d'un voyage intérieur aux résonances contemporaines s'accompagne d'un retour aux sources matriciel vers les fondements du genre : la voix et l'instrument.
Bien que très jeune, le tchèque Ondřej Adámek a déjà beaucoup voyagé, dans le monde (de Bali à la Villa Médicis où ce second opéra a vu le jour) comme dans sa tête. Tout cela se retrouve dans Seven stones, son premier opéra, conçu, au terme de sept années de gestation, en étroite collaboration avec un librettiste islandais (Sjón) un metteur en scène français (Eric Oberdorff), et des chanteurs multi-fonctions.
Un ostinato pendulaire d'une immédiate préhension, un Prélude-ode à ce « grand sculpteur » qu'est le Temps, agrippe d'emblée le spectateur pour mieux le conduire ensuite dans les traverses d'un conte initiatique en sept parties, assez ambitieux en terme d'unité de temps comme de lieux, mais toujours garant de sa lisibilité. Un collectionneur de pierres obstiné (« Le charme d'un homme obsédé est infini – au début », se souvient, non sans humour sa propre femme) laisse épouse et enfants, part pour un voyage au retour duquel, aveuglé par une troublante méprise (il aura pris son propre fils, devenu adulte et barbu, pour un amant), il lapide cette énième Pénélope. Prostré à la fin du spectacle, comme au début, au bord du gouffre de la fosse d'orchestre (capable ici d'accueillir brièvement un chef mais ensuite commode déversoir d'objets devenus encombrants ou source à fumigènes), on le trouve brisé, « homme perdu », bégayant un I remember qu'on espère porteur d'espoir. Le voyage du collectionneur l'emmène à Buenos Aires, en Alaska ou encore à Paris au cœur d'une troublante rencontre entre Marie Curie et Edvard Munch (le célèbre Cri serait-il l'expression de l'horreur nucléaire dont les ravages sont cliniquement déroulés en un français glaçant dans un opéra écrit en anglais ?)
Il est clair qu'en creux, l'œuvre questionne la lapidation, un terme que l'on voulait croire circonscrit aux pages noircies de certains ouvrages religieux, mais hélas pitoyable serpent de mer de l'histoire des hommes. On note que seul le Collectionneur-lapideur porte la barbe, le compositeur lui-même apparaissant délesté de la sienne aux saluts. Au moyen de proverbes immémoriaux, Seven stones chante l'histoire des pierres, témoins privilégiés et durables de celles d'hommes auxquels elles survivent : « Une pierre est un bon serviteur et un mauvais maître », mais met en garde : « Une pierre jetée par colère ne peut pas revenir dans la main ». Pour cette « première pierre » dont parle la Bible, Adámek compose d'ailleurs une scène d'une infinie douceur avec les moyens qui évoquent ceux d'une Passion de Bach.
D'une durée météorite d'une heure trente, l'opéra aligne un prélude, sept scènes, deux intermezzi et un finale. On s'attendait un peu, surtout dans le même lieu, le rouge théâtre du Jeu de Paume, à un nouveau Svadba. On aura eu davantage, aussi bien en termes musicaux que scéniques. La mise en scène du chorégraphe Eric Oberdorff (la compagnie qu'il a fondée s'appelle Compagnie humaine) fait surgir de l'ombre, avec une attention religieuse et une grande fluidité, praticables, accessoires et instrumentarium inédit. La partition convoque à peu près, et sans la grandiloquence future qui sera la marque du genre opéra, tout ce qu'une voix humaine peut émettre : parole, bruit, murmure, bruits labiaux. Au début, on songe au théâtre musical des années soixante-dix, au régressif (en apparence seulement) Einstein on the beach, plus loin à Bernstein, mais à la fin, si l'on s'est laissé aller à la radicalité d'un tel dispositif, on est gagné peu à peu par la sensation d'être revenu aux balbutiements d'un genre, d'avoir assisté à la naissance de l'opéra. Et donc à la naissance de l'orchestre, les chanteurs de la production s'accompagnant eux-mêmes (violon, verres, scie, planches de bois… la première pierre menant bien sûr le bal d'un arsenal de percussions). Pour le festivalier, commencer par Seven Stones son parcours d'une manifestation dédiée depuis toujours à la Voix, n'est donc pas sans intérêt.
L'engagement des artistes à l'œuvre est probablement d'autant plus intense que la création de Seven stones était prête pour l'édition 2017. Le Chœur Accentus/axe 21 et les solistes principaux (merveilleuses Anne-Emmanuelle Davy et Shigeko Hata), individualisés par les camaïeux de bleus-gris de leurs costumes spécifiques, sont d'une beauté et d'une excellence qui ne sent jamais l'effort, même si on devine combien cette alchimie sur le fil est à réinventer chaque soir. L'émotion est plus que palpable entre Landy Andriamboavonjy et Nicolas Simeha, impressionnant couple vedette, notamment lors du duo final, une sorte de Pur ti miro qui aurait une suite, et qui glisse de la plus touchante sensualité à l'effroi du meurtre. Léo Warynski dirige de la fosse, du plateau, de la coulisse, avec une discrétion qui confine à l'invisibilité, un effacement qui laisse à penser que les seize artistes réunis devant un public fervent, en plus d'être des virtuoses de leur art, sont totalement autonomes. Seven stones est un prégnant voyage au cœur de l'humain.
Crédits photographiques : © Vincent Pontet
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