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Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché. 10-VII-2018. Henry Purcell (1659-1695) : Didon et Énée, opéra en un prologue et trois actes sur un livret de Nahum Tate. Nouveau prologue écrit par Maylis de Kerangal, interprété par Rokia Traoré. Mise en scène : Vincent Huguet. Décors: Aurélie Maestre. Costumes: Caroline de Vivaise. Lumière : Bertrand Couderc. Dramaturgie : Louis Geisler. Avec : Anaïk Morel, Didon ; Tobias Lee Greenhalgh, Énée ; Sophie Burgos, Belinda ; Lucile Richardot, la magicienne ; Rachel Redmond, seconde dame ; Fleur Barron, première sorcière ; Majdouline Zerari, deuxième sorcière ; Peter Kirk, un marin. Chœur et orchestre de l’Ensemble Pygmalion, direction musicale : Václav Luks
Véritable concentré d'opéra, Didon et Énée a eu la part belle dans la programmation du Festival d'Aix depuis 1960. La dernière fois, c'était il y a dix ans avec l'Académie Européenne de Musique, sous la direction du claveciniste Kenneth Weiss, dans une version de concert qui a laissé de grands souvenirs. Cette nouvelle production avec le chœur et l'orchestre Pygmalion sous la baguette de Václav Luks, se présente augmentée d'un prologue dû à la plume de Maylis de Kerangal.
Sur fond de ciel étoilé, une cohorte de femmes voilées de châles et de couvertures viennent composer une fresque orientaliste sur l'avant-scène, cependant que la chanteuse malienne Rokia Traoré, tragédienne erratique, s'avance pour nous conter le récit de l'errance de Didon depuis son départ de Tyr. Par cette fresque et ce texte très fort, l'histoire de l'exil de Didon se confond avec celle des migrants de toutes les époques et prend une dimension intemporelle. Mais dans cette étape aux rivages de Chypre, Didon n'est pas la victime : elle est l'instigatrice de l'enlèvement des femmes qui viendront peupler de force son nouveau royaume de Carthage. Donner le mauvais rôle à Didon, et venger par sa mort la violence faite aux femmes, tel est le parti pris original de la mise en scène de Vincent Huguet.
Didon signifie « errante » en langage numide. Cette errance s'achèvera devant un mur, unique décor de l'opéra, en résonance avec les photographies de ruines antiques de Ferrante Ferranti où un chapiteau corinthien est comme imbriqué au milieu des pierres. Dans le livret de Nahum Tate, la magie remplace la mythologie, dans une démarche très shakespearienne. Ainsi, les sorcières remplacent les dieux du mythe originel, et ce sont elles les véritables héroïnes de l'opéra. C'est d'ailleurs à leur arrivée, sur une nef descendue des cintres au milieu des éclairs, que tout s'anime au début du deuxième acte.
Dès l'ouverture, l'orchestre de l'ensemble Pygmalion se révèle à la fois somptueux et subtil sous la direction précise de Václav Luks qui remplace le chef habituel, Raphaël Pichon, mobilisé par La flûte enchantée dans la programmation d'Aix. Le continuo, magnifié par la présence de la harpe d'Angélique Mauillon, est d'une parfaite qualité expressive. Quant au chœur, son rôle est primordial dans cet opéra. Loin d'être un simple ornement, chaque intervention prend une place centrale dans la dramaturgie, à l'instar de ce qui se passe dans le théâtre grec antique. Et les qualités vocales du chœur de Pygmalion font beaucoup pour la réussite musicale de cette production. Il nous gratifie aussi d'un magnifique effet de spatialisation, au moment du départ d'Énée, lorsqu'il chante en écho depuis le fond du théâtre. Quant à l'ultime moment d'émotion qui suit la mort de Didon, le chœur se fait magicien de précision et de subtilité et fait planer nos sens sur un sublime pianissimo a capella.
Ce soir, c'est une prise de rôle pour Anaïk Morel qui remplace dans le rôle de Didon Kelebogile Pearl Besong, souffrante. Une belle couleur de timbre, mais l'impression d'être un peu en retrait pendant le premier acte. C'est d'ailleurs la sensation que donne également Tobias Lee Greenhalgh dans le rôle d'Énée. Mais autant ce dernier reste sur une certaine réserve vocale durant tout l'opéra, autant Didon gagne en assurance au fil des actes jusqu'à se révéler au moment tant attendu de sa mort et de nous offrir alors un air d'une très belle intensité dramatique. Beaucoup d'émotion dans cette voix, sublimée par l'accompagnement subtil de la harpe.
Mais le grand frisson, c'est Lucile Richardot qui nous l'offre lorsqu'elle arrive sur sa barque telle une déesse ex machina, accompagnée par les deux autres sorcières, excellentes Fleur Barron et Majdouline Zerari. La voix chaude et ample de l'interprète associée à son extraordinaire présence scénique font de ce moment le tournant de l'opéra, et cette qualité ne se dément pas jusqu'à la fin. Autre intervention remarquée : celle de Peter Kirk dans le rôle du marin, au début de l'acte III, dont l'apparition trop fugitive est l'unique moment de comédie au cœur de la tragédie
Cette production de Didon et Énée, loin de faire l'unanimité, rend parfaitement justice aux excellents choix artistiques de Bernard Foccroulle qui aura été un grand directeur du festival et dont beaucoup regretteront le départ à la fin de cette édition.
Crédits photographiques : © Vincent Pontet
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Merci pour cette belle critique qui rejoint point par point notre ressenti. Le festival d’Aix est là pour nous emmener et renouveler les mythes. C’est chose faite avec ce prologue qui ne nous fera plus entendre Didon et Enée de la même manière à l’avenir.