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Orange. Théâtre antique. 9-VII-2018. Arrigo Boito (1842-1918) : Mefistofele, opéra en un prologue, quatre actes et épilogue sur un livret du compositeur d’après Wolfgang von Goethe. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décors : Rudy Sabounghi. Costumes : Buki Shiff. Vidéos : Julien Soulier. Éclairages : Laurent Castaingt. Avec : Erwin Schrott, Mefistofele ; Jean-François Borras, Faust ; Béatrice Uria-Monzon, Margherita/Elena ; Marie-Ange Todorovitch, Marta ; Reinaldo Macias, Wagner/Nero ; Valentine Lemercier, Pantalis. Chœurs des Opéras d’Avignon, Monte-Carlo et Nice. Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III de Monaco. Orchestre philharmonique de Radio France, direction musicale : Nathalie Stutzmann
Après une Aida routinière et un duo Nucci/Sierra l'année dernière pour un Rigoletto de qualité mais sans grande surprise, Jean-Louis Grinda a su susciter l'étonnement en 2018 en proposant aux Chorégies d'Orange l'opéra Mefistofele d'Arrigo Boito, bien trop rare sur les scènes lyriques françaises.
Pour cette première programmation de Jean-Louis Grinda pour les Chorégies d'Orange, certains trouveront ce choix audacieux alors que dès le prologue, il est évident que le gigantisme de l'œuvre et l'esthétique « grand spectacle » qu'elle engendre sont pleinement adaptés à la grandeur du théâtre antique. Une évidence sur le plan artistique qui questionne surtout sur le sens et l'objectif de la programmation d'un festival si prestigieux. S'agit-il de prendre le risque de présenter une œuvre méconnue des festivaliers alors que l'appétit pour les grands classiques du répertoire commençait sérieusement à s'émousser, mettant à mal le plus vieux festival de France ? Ou bien ne s'adresser qu'aux férus d'opéras en quête de singularité et de découvertes plutôt qu'au grand public « populaire » auquel les Chorégies d'Orange se destinent ? Le nombre de spectateurs lors de la « Nuit russe » organisée la veille atteste bien qu'avec de la volonté et une communication engageante, tout est possible. Pour cette seconde représentation de ce spectacle, les gradins de la cavea sont encore bien remplis. On peut toutefois regretter l'inertie des grands médias partenaires historiques du festival, dont la retransmission à l'écran où sur les ondes radios de cette production n'est pas prévue au programme. Une question de contrats avec les chœurs selon les uns, une œuvre pas assez « bankable » selon les autres, une stratégie du directeur pour faire venir le plus grand nombre sur Orange et non devant un téléviseur : on a tout entendu pour justifier ce qui est difficilement justifiable !
Mais reconnaissons que, sur place, les projections impressionnantes sur le mur de scène sont difficiles à retranscrire à l'écran : feu d'artifice, foisonnement de confettis, paysages grecs et incendie de Troie, lumière divine jaillissant de la statue de l'empereur Auguste, mettent sublimement en lumière un lieu qui s'impose de façon naturelle. Pour sa première mise en scène à Orange et en plein air, le directeur a su édifier une simplicité de bon aloi, tout en spectaculaire, pour une lecture lisible, sans transposition hasardeuse ou défense d'une approche individuelle affirmée, pour un rendu immédiatement séduisant. Simplicité surtout sur le plateau où seuls quelques échafaudages et colonnes antiques évoluent selon les tableaux. Ce dispositif n'est donc pas à l'origine de l'attente un peu longue entre le prologue et le premier acte, c'est aux changements de costumes des 150 choristes qui passent d'un blanc immaculé aux couleurs bariolées de carnaval, concoctées par Buki Shiff, qu'on le doit. Les chœurs des Opéras d'Avignon, Monte-Carlo et Nice sont spectaculaires. Par leur nombre et une cohésion pleine et entière, ils donnent une épaisseur saisissante à la musique et à l'histoire. L'acoustique du lieu et la spatialisation des choristes rendent une homogénéité admirable au regard des moyens démesurés. La Maîtrise de l'Académie Rainier III de Monaco fait particulièrement preuve de précision dans l'articulation d'une partition rapide et virtuose.
Face à un tel mastodonte musical (la centaine d'instrumentistes de l'Orchestre philharmonique de Radio France en fosse et certains en coulisses ainsi qu'à peu près le même nombre de choristes sur scène), la direction soignée de Nathalie Stutzmann est une véritable prouesse. Jean-Louis Grinda lui confia pour la première fois la direction d'un opéra à Monte-Carlo (L'Elisir d'Amore) ; elle devient la première femme à diriger aux Chorégies. Fermeté et clarté sont les maîtres mots de cette lecture minutieuse, vive et forte, jamais dépourvue de contrastes dramatiques et lyriques, comme de densité et de transparence pour défendre au mieux cette unique tentative musicale de restitution des deux Faust de Goethe où Boito cherchait à atteindre un « art total » à la Wagner en écrivant lui-même le livret, en dirigeant lors de la création de son œuvre qu'il aura lui-même mis en scène, puis par la rédaction de la Disposizione scenica où il détaille en plus de 100 pages ces indications pour les interprètes, les chanteurs, les choristes, le peintre-décorateur et même les techniciens. Boito cherchait aussi à révolutionner l'art lyrique italien grâce à cette grande fresque métaphysique, même si l'écriture mélodique profondément italienne et l'esthétisme du grand opéra de Meyerbeer auront raison de cet objectif avorté.
Entourés d'interprètes des seconds rôles de belle qualité, Erwin Schrott bénéficie de l'aura exceptionnelle du rôle-titre, exploitant les ressorts comiques du livret par un cabotinage diabolique. La basse connaît parfaitement le rôle (Baden-Baden en 2014 puis en 2016), ce qui lui permet de véhiculer la puissance saisissante de cette personnification du mal, d'où découle une froideur glaciale et une rage continue étouffée. Même si ses graves se révèlent assez peu sonores, le chant d'une parfaite musicalité est percutant dans toute la tessiture, porté par une émission claire et un timbre singulier dans ses grands airs que sont « Sono lo spirito che nega sempre tutto » (acte 1) et « Ecco il mondo » (Acte 2). L'artiste fait preuve d'une présence et d'une assurance indéniables, également acteur à part entière. Ce voyou ténébreux devient presque irréel lorsque l'interprète utilise son ombre en arrière-plan pour déployer toute la verve de son personnage.
La représentation du Bien, défendue par Jean-François Borras (Faust), reste quelque peu limitée à une projection assez faible pour dominer certains tutti. Mais le ténor détient de beaux atouts, visibles lors de son « Forma ideal purissima », touchant directement au cœur lors de ses affectueux « Elena, Elena ». Une discrète rumeur monte dans l'assistance lorsque la nacelle qui suscita bien des frayeurs à la première (en vacillant dangereusement, la crainte d'une chute de plusieurs mètres des deux artistes fut glaciale pour tous les témoins de la scène), se meut sans les deux protagonistes à son bord, et sans que cela ne gêne en quoi que ce soit dans la compréhension de la scène.
C'est une longue histoire qui lie Béatrice Uria-Monzon aux Chorégies d'Orange. Mais sa voix évolue sans qu'elle soit ce soir en corrélation avec le rôle de soprano dramatique de Margherita, semblant plus adaptée dans le second rôle qu'elle assume par la suite (Elena). Les graves manquent d'ampleur dans son « altra notte », les médiums sourds agrémentent un chant en force dont les vibratos envahissants affaiblissent la prestation, seule réserve de ce Mefistofele annonçant un beau renouveau des Chorégies d'Orange.
Crédits photographiques : Image de une © Philippe Gromelle ; Erwin Schrott (Mefistofele) et Jean-François Borras (Faust) © C. Bernateau ; Chœurs et orchestre © Bruno Abadie
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