Didier Rotella, jeune compositeur français d’aujourd’hui
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Créations souvent confidentielles, univers élitiste peu représenté dans les cursus des conservatoires et bien trop absent des programmes de l’éducation musicale et artistique dans les écoles… Difficile pour un spectateur lambda de percevoir les nouveaux langages de la musique et de la danse contemporaines ainsi que ses nouveaux acteurs. Quels sont aujourd’hui les jeunes compositeurs et chorégraphes de notre pays qui vont nourrir la création musicale et chorégraphique de demain ? ResMusica propose une série de portraits de cette nouvelle génération de compositeurs et chorégraphes français qui, portés par une ferveur créatrice, ont encore tout à démontrer. Pour accéder au dossier complet : Jeunes compositeurs et chorégraphes français d’aujourd’hui
La création au Centre Georges Pompidou à Paris fin juin par l'ensemble Links de sa dernière œuvre intitulée Catharsis pour deux pianos, deux percussionnistes et dispositif électronique, nous donne l'occasion de mettre en lumière le parcours et le langage musical du jeune compositeur français Didier Rotella, ancien lauréat de la Villa Médicis et actuellement compositeur résident à la Casa Velázquez à Madrid.
« J'ai toujours pensé qu'il valait mieux se taire que se forcer à composer lorsqu'on n'a rien à dire. »
Né en 1982, Didier Rotella débute ses études musicales à 6 ans d'abord à Lille, puis au Conservatoire de Tarbes de 1995 à 2001 où il obtient plusieurs premiers prix dont deux avec mention très bien à l'unanimité (DEM de piano, et DEM d'Analyse) et un avec mention très bien pour un DEM d'écriture qu'il obtient également quelques temps après au Conservatoire à Rayonnement Régional de Boulogne Billancourt. Etudiant de Pierre Grouvel avec qui il obtient un 2ème prix de composition, ce passage en Ile-de-France est surtout l'occasion de finaliser (ou non !) ses premières compositions : une Deuxième sonate pour piano créée en décembre 2004 au CRR de Boulogne-Billancourt, Anathème 2 pour saxophone et piano créé partiellement en février 2006, Cinq mélodies pour chant et piano sur des poèmes de Maurice Rollinat, Aragon, Tristan Corbière, Frederico Garcia-Lorca et Didier Rotella, créées la même année à Boulogne-Billancourt par les élèves de Chant du Conservatoire et le compositeur au piano. Et en juin 2006, c'est Le Festin de Lycaon pour violon et orchestre qui est à l'affiche, d'après des textes issus de la mythologie grecques.
ResMusica : Qu'est-ce qui fait que l'on devient compositeur, que l'on passe le cap ?
Didier Rotella :Dans mon cas il n'y a pas eu de « cap ». Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours écrit de la musique en parallèle de mes études instrumentales. En réalité, j'associais cette activité, ainsi que l'improvisation et le déchiffrage, à une récréation que je m'autorisais après avoir bien travaillé ma leçon pour le cours de piano. Néanmoins, il a fallu quelques années avant que j'ose montrer mes « récréations » à mes professeurs, qui m'ont alors incité à poursuivre plus sérieusement dans cette voie.
Didier Rotella se perfectionne ensuite de 2004 à 2008 en tant que pianiste à l'Ecole Normale de Paris dans la classe d'André Gorog où il est titulaire d'une bourse d'étude de la Fondation Zalewski. Sont créés durant cette période, Trois Préludes pour piano au festival de Mont-Louis en 2006, puis après avoir intégré la classe d'Edith Canat de Chizy au CRR de Paris, Trois Hymnes Primitifs pour violon sur des poèmes de Victor Segalen en mars 2009 par la violoniste Saskia Lethiec, Torana pour dispositif électronique est créé lors des journées de l'électroacoustique en juin et octobre 2008 à l'Auditorium Jean Cocteau de Noisiel, Mémorial pour ensemble de 11 instrumentistes sur un poème de Robert Desnos par les élèves du CRR de Paris en décembre 2008, Polychromies 2 « Moving color » pour ensemble de 13 saxophones et piano et Chimères pour chœur a capella (8 voix mixtes) sur des poèmes de Gérard de Nerval, en mars 2009 à l'Auditorium Saint-Germain par l'ensemble Saxetera.
ResMusica : Vos premières compositions sont fondamentalement liées à vos études. Quelles étaient vos influences à l'époque et comment s'est construit votre langage musical ? Que cherchiez-vous à démontrer à travers vos premières œuvres ?
Didier Rotella : Ainsi que vous le soulignez, l'influence de ma pratique instrumentale a largement dominé mes premières compositions, dont le style a évolué en même temps que j'abordais des répertoires plus « actuels ». Je crois me souvenir que ma première sonate pour piano ressemblait à un mix entre Scriabine et Alban Berg, dans une forme rappelant la sonate de Liszt !… Par la suite, ce furent des rencontres qui ont fait évoluer mon langage, que ce soit des interprètes ou des compositeurs comme Edith Canat de Chizy, Henri Dutilleux, Frédéric Durieux…
Pour ce qui est des influences, je crois que ce sont d'abord mes séances de déchiffrage au piano qui ont déterminé mes premiers choix esthétiques. Adolescent, je passais mon temps libre à la bibliothèque et bien sûr, les compositeurs du XIXe siècle avaient ma prédilection, mais très vite rejoints par des créateurs plus modernes : Berg, Messiaen, Ligeti, Dutilleux…
En revanche, je crois n'avoir jamais cherché à démontrer quelque chose à travers mes pièces. L'acte d'écrire a toujours été associé au plaisir, à la liberté (du moins au début !). J'ai toujours pensé qu'il valait mieux se taire que se forcer à composer lorsqu'on n'a rien à dire.
Des prix à foison mais surtout des rencontres
Parallèlement à son cursus instrumental, Didier Rotella obtient avec mention très bien à l'unanimité un DEM de composition et d'orchestration au CRR de Paris, et suit les cours au CNSMD de Louis-Marie Vigne en direction de chœur grégorien, Olivier Trachier en écriture Renaissance, et Alain Louvier en Analyse où il obtient son prix avec mention très bien à l'unanimité, avant d'intégrer le cursus de composition dans la classe de Frédéric Durieux (composition instrumentale), Denis Cohen (orchestration), Yann Geslin, Luis Naon, Tom Mais et Yann Maresz (nouvelles technologies), bénéficiant d'une bourse de la fondation Meyer. A l'issue de son cursus en 2014, il reçoit le prix de la fondation Salabert pour sa pièce Instants Mêlés pour soprano et ensemble avec électronique sur des poèmes de Brigitte Athéa.
ResMusica : Pouvez-vous nous présenter Instants Mêlés ?
Didier Rotella : Il s'agit d'un projet que j'avais entamé en 2013, lorsque j'ai découvert par hasard le recueil « Instants de Femme » de la poétesse Brigitte Athéa. Immédiatement séduit par cet univers, j'ai pris un texte parmi la vingtaine de portraits pour en faire une courte pièce, initialement prévue pour voix et ensemble, mais finalement dévolue à neuf instrumentistes, qui fut créée par l'ensemble Intercontemporain : ce fut l' « Etude pour un jour de pluie ». Frustré d'avoir dû renoncer à une partie de l'idée initiale, il m'importait de bâtir une œuvre plus importante qui fasse sens, d'abord en rajoutant une partie vocale (féminine bien sûr), et en étoffant l'ensemble qui est passé à vingt musiciens. La forme elle-même a évolué : trois poèmes constituent l'argument poétique de la pièce : à « Jour de Pluie » j'ai ajouté « Prière » et « Cauchemar » mais, comme souvent, j'ai cherché à réagencer les textes à ma manière pour élaborer une forme musicale personnelle, et cela sans dénaturer l'esprit de chacun. L'esthétique musicale correspond quant à elle à mes recherches de l'époque, c'est à dire un environnement harmonique micro-tonal et une texture sonore oscillant du domaine fréquentiel à celui de modes de jeux plus « détimbrés » suivant la dramaturgie des poèmes. C'est aussi une des premières pièces pour grand ensemble où j'ai mêlé mes deux activités de compositeur et de pianiste en défendant mon travail sur scène aux côtés des musiciens de l'orchestre, une chose que je fais régulièrement depuis.
ResMusica : Premier prix du 6ème Concours international Jurgenson (Moscou) en 2011 pour jeunes compositeurs dans la catégorie « Ensembles », prix Chevillon-Bonnaud au Concours international de Piano d'Orléans pour Strophe 1, mention spéciale au concours international de composition London Ear en 2013 pour Strophe 2, prix de la fondation Salabert en 2014, Second prix du concours de composition pour quatuor à cordes Sorodha (Belgique) et lauréat du concours Franco Donatoni en 2016 : que vous ont apporté tous ces concours sur le plan artistique et en termes de carrière ?
Didier Rotella : Malgré ce que l'on peut penser en énumérant ces distinctions, je n'organise pas vraiment ma vie de musicien en suivant un plan de « carrière ». Je tiens d'ailleurs ce mot en piètre estime, peut-être parce que l'on a tendance à l'entendre beaucoup durant les études ou les résidences d'artistes. Le point positif de ces distinctions peut à la limite être une valorisation personnelle et très éphémère, juste le temps de se dire que la direction de son travail n'est peut-être pas dénuée d'intérêt. Bien sûr, certains concours m'ont permis d'avoir des commandes par la suite, mais les meilleures réussites sont à mon sens de porter un projet auquel l'on croit jusqu'à son terme, quels que soient les barrières à lever, les producteurs ou les ensembles à convaincre. Ce sont aussi et surtout les relations qui peuvent se tisser entre le compositeur et des musiciens, des ensembles, ou des artistes de pratiques diverses dans une énergie commune pour faire exister une œuvre, et qui peuvent déboucher sur des collaborations fructueuses sur plusieurs années.
L'organisation du discours selon le geste musical
2014 marque une étape importante pour Didier Rotella qui fait ses premiers pas lyriques pas moins qu'à l'Opéra national de Paris. Il est en effet sélectionné pour participer à la création collective Maudits les innocents, « récit lyrique » autour de la guerre sainte imaginé conjointement par le Conservatoire national de Paris et l'Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris. Sur un livret de Laurent Gaudé, prix Goncourt en 2004 pour Le soleil des Scorta, quatre actes ont été composés par autant de musiciens différents issus du Conservatoire : Mikel Urquiza, Julian Lemke, Francisco Alvarado et Didier Rotella pour un troisième acte (« Le Monde est devenu Sombre ») intégrant de grandes plages lyriques. Projet audacieux aboutissant à un spectacle saisissant évoquant la croisade de 1212 sur les routes d'Europe d'enfants venus d'Allemagne et de France pour rejoindre la Terre sainte, dont l'interdiction du pape craignant de voir son autorité affaiblie par l'existence de cette marche, entraîna les enfants vers un destin tragique.
ResMusica : Comment faire « vivre » ses œuvres ? Est-ce que vous faites vous-même des démarches pour vous faire connaître et lesquels ?
Didier Rotella : Difficile question… Je ne sais pas s'il existe une réponse satisfaisante ! Je dois dire que c'est aujourd'hui un peu ce qu'il me manque, une visibilité de mon travail. Je dois confesser que j'ai encore un peu de mal à consacrer du temps à la « promotion », surtout parce que j'ai continuellement le sentiment de manquer de temps pour composer, ou dans mon activité d'interprète.
Je pense dans un premier temps que la meilleure promotion que je puisse faire est de m'investir au maximum dans la précision et l'évolution de mon travail, et de parfois défendre celui-ci sur scène. Les pièces les plus rejouées de mon catalogue sont en effet celles pour piano seul ou avec électronique.
Ensuite, les résidences sont justement un passage très important pour donner un coup de pouce dans ce domaine, celles-ci mettant les compositeurs en lien avec des ensembles, des personnalités influentes du monde des arts, etc.
Le fait d'éditer ses œuvres est aussi parfois une aide afin de se faire connaître, que ce soit les éditeurs classiques ou les plateformes de diffusion sur Internet.
Enfin, participer à un festival comme Manifeste au centre Pompidou est bien sûr une grande chance dans cette optique également.
La Villa Médicis, l'IRCAM et la Caza Velázquez
Compositeur lauréat en 2015 de la Villa Médicis avec comme projets de compositions durant ces quelques mois Fragrances pour quatuor à cordes (premier mouvement), la mise en chantier du Livre pour piano (titre provisoire), les repérages et premières esquisses pour Polychromies III et l'élaboration du livret de La Dame Rouge avec Brigitte Athéa, Didier Rotella intègre ensuite le cursus de composition de l'IRCAM qui l'amène à composer sa pièce pour flûte et électronique créée au Centre Pompidou en avril 2016 avec Ludivine Moreau à la flûte, Strophe 3 – Sur le Fil. Il devient ensuite compositeur résident à la Casa Velázquez, expérience qui s'achèvera cet été. Que ce soit dans la musique électronique ou dans ses pièces acoustiques, le travail récent de ce jeune compositeur est marqué par la suprématie du geste instrumental comme élément organisationnel de son discours musical.
ResMusica : Vous êtes passé par le CNSMDP, la Villa Médicis, l'IRCAM et maintenant la Casa Velázquez, est-ce un passage obligé d'évoluer dans de grandes institutions pour une carrière marquante aujourd'hui ?
Didier Rotella : Ainsi que je l'ai déjà dit, je n'aime pas le mot « carrière ». Il est certain cependant que c'est un plus pour avoir de la crédibilité auprès des collègues musiciens, ou des partenaires, producteurs, administrations, décideurs… qui ont à faire un choix parmi le grand nombre de compositeurs aujourd'hui !…
Mais je connais beaucoup de compositeurs de grand talent qui ne sont pas passés par ces institutions, ou pas par toutes. Le monde musical me paraît encore assez ouvert pour permettre une diversité parfois passionnante des profils et des parcours…
Le principal projet du jeune compositeur résident à la Casa Velázquez, lui permet de continuer son exploration du domaine vocal avec un second opéra, un « drame lyrique de chambre », intitulé La Dame Rouge. Ce travail marque la troisième collaboration entre Didier Rotella et Brigitte Athéa en charge du livret, après Étude pour un jour de Pluie (2013), et Instants Mêlés (2014). Ils explorent ensemble des thèmes qui leur sont chers : la famille comme symbole des liens sociaux qui se délitent pour Brigitte Athéa ; l'engagement, le renoncement, la révolte, la « folie » des hommes avant d'être celle de l'héroïne pour Didier Rotella. Le prologue de cette prochaine création vient d'être joué à Madrid, Paris et Rome par l'Ensemble Orchestral Contemporain, dirigé par Daniel Kawka, alors que dans quelques jours, sa nouvelle création Catharsis pour deux pianos, deux percussionnistes et un dispositif électronique, commande de l'IRCAM, sera créée par l'ensemble Links au Centre Georges Pompidou.
ResMusica : L'Ouverture de La Dame Rouge a été présentée en mai dernier au Museo Nacional de Arte Reina Sofia à Madrid, puis au CRR de Paris, en enfin à la villa Médicis. Quels ont été les premiers retours des auditeurs ?
Didier Rotella : Globalement satisfaisant, c'est assez motivant pour la suite du projet !
Crédits photographiques : Image du dossier © Laure Escudier ; Portraits © Emilie Barneff ; Didier Rotella au travail © Deborah Lopatin
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Créations souvent confidentielles, univers élitiste peu représenté dans les cursus des conservatoires et bien trop absent des programmes de l’éducation musicale et artistique dans les écoles… Difficile pour un spectateur lambda de percevoir les nouveaux langages de la musique et de la danse contemporaines ainsi que ses nouveaux acteurs. Quels sont aujourd’hui les jeunes compositeurs et chorégraphes de notre pays qui vont nourrir la création musicale et chorégraphique de demain ? ResMusica propose une série de portraits de cette nouvelle génération de compositeurs et chorégraphes français qui, portés par une ferveur créatrice, ont encore tout à démontrer. Pour accéder au dossier complet : Jeunes compositeurs et chorégraphes français d’aujourd’hui