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Paris. Opéra Bastille. 13-VI-2018. Modeste Moussorgski (1839-1881) : Boris Godounov, version initiale de 1869. Opéra en sept tableaux sur un livret du compositeur d’après Alexander Pouchkine et Nicolas Karamzine. Mise en scène : Ivo van Hove. Décors et lumières : Jan Versweyveld. Costumes : An D’Huys. Vidéos : Tel Yarden. Dramaturgie : Jan Vandenhouwe. Avec : Alexander Tsymbalyuk, Boris Godounov ; Evdokia Malevskaya, Fiodor ; Ruzan Mantashyan, Xénia ; Alexandra Durseneva, La Nourrice ; Maxim Paster, Le Prince Chouïski ; Boris Pinkhasovich, Andrei Chtchelkalov ; Ain Anger, Pimène ; Dmitry Golovnin, Grigori Otrepiev ; Evgeny Nikitin, Varlaam ; Peter Bronder, Missaïl ; Elena Manistina, L’Aubergiste ; Vasily Efimov, L’Innocent ; Mikhail Timoshenko, Mitioukha ; Maxim Mikhailov, Un Officier de Police ; Luca Sannai, Un Boyard/Voix dans la foule. Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris ; Maîtrise des Hauts-de-Seine. Chœurs de l’Opéra national de Paris (Chef des chœurs : José Luis Basso). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Vladimir Jurowski
En choisissant la version initiale de Boris Godounov, l'Opéra de Paris laisse la direction artistique aux directeurs musicaux et scéniques de la production, Vladimir Jurowski et Ivo van Hove, au risque de renier une histoire pourtant défendue à grand renfort de communication en début d'année pour Don Carlos. D'une proposition grise ne ressort alors plus que le Boris d'Alexander Tsymbalyuk.
En remontant quelques décennies plus tôt, entendre le chef d'œuvre de Modeste Moussorgski dans la version de 1869 était impossible, tant au disque que dans les salles d'opéras du monde entier. Même en tentant de dégraisser la partition à partir de l'édition critique de David Lloyd-Jones en ouverture de La Scala en 1979, Claudio Abbado n'osait s'attaquer à la première version refusée de Boris Godounov et favorisait une proposition hybride. Les temps ont changé et l'époque est aujourd'hui à la recherche d'une vérité et d'une historicité de couloir. L'Opéra de Paris, en voulant à nouveau se montrer moderne, programme donc l'ouvrage dans une version réapparue majoritairement sur les scènes d'Europe ces dernières années, comme en France l'année précédente à Marseille, malgré le fait que cette production importée de Liège soit initialement prévue pour la version de 1872.
À l'heure d'une saison où l'on a imposé Don Carlos dans une version interprétée seulement à la répétition générale de l'Opéra de Paris (donc pour ainsi dire jamais), un bref rappel historique montrait pourtant que si Boris après sa création de 1874 avait eu du mal à intégrer à nouveau les scènes du monde, l'opéra est redevenu extrêmement populaire grâce à Sergei Diaghilev et un certain Fiodor Chaliapine, pour une nouvelle orchestration de 1908 réalisée par Rimski-Korsakov et créée… à l'Opéra de Paris. Mais oublions l'histoire pour assister sur la grande scène de l'Opéra Bastille à la version la plus intimiste du chef-d'œuvre, sans l'acte polonais et ses parties de chœur.
De l'effectif choral, nous ne pourrons regretter d'en avoir entendu plus, car à défaut de ne pas débuter chaud ni tout à fait en place, plus que le manque de préparation, c'est le manque d'implication qui transparaît de cette formation tout au long de la soirée. La Maîtrise des Hauts-de-Seine associée au Chœur d'Enfants de l'Opéra réussit mieux sa belle première scène, pour toutefois s'effondrer dans la dernière. Quant à l'Orchestre, difficile de le sentir concerné lui aussi par la souffrance de Boris au dernier tableau, pas plus que par la retraite de Pimène au troisième ou par le doute du peuple sur la place de la cathédrale au sixième. À cette impression d'ennui issue de la fosse s'ajoute une proposition dangereuse de Vladimir Jurowski, avouant en présentant la production vouloir traiter la partition dans ces penchants noirs-gris-bruns. Et si le gris est touché tout au long de l'ouvrage avec un manque de couleurs évident ou même de soutien des cordes dans les grandes scènes et une absence flagrante de sous-tension dans les grands moments, difficile de saisir les tons sombres dans cette prestation surtout intellectuelle.
La mise en scène d'Ivo van Hove, la première pour l'Opéra de Paris, s'accorde parfaitement à cette grisaille venue de la fosse, en présentant tout au long de l'œuvre des scènes neutres et froides, tout juste surélevées de vidéos, souvent plus intégrées pour occuper une proposition dramaturgique sans âme ni idée plutôt que pour accompagner la réflexion, à l'image des gravats d'une ville (sans doute Kiev en regard de l'histoire récente) ou de la vidéo plus que discutable, au dernier tableau, montrant le meurtre du jeune prétendant au trône de Russie par Boris. À ces quelques propositions s'ajoutent celle d'un Boris assimilé à Vladimir Poutine et d'un Pimène associé à Raspoutine, avec lesquelles le passionné d'histoire slave déjà passé par les textes de Karamzine doit maintenant s'accommoder pour tenter de faire le lien entre le confident des Romanov massacré par un complot d'aristocrates en 1916, un tsar élu aux plus hautes fonctions, et l'actuel président reconduit par une élection contestable à la tête du pays.
Ildar Adbrazakov a privilégié la Russie du ballon rond plutôt que celle de pacotille de cette troisième représentation. Sur le plateau, Paris récupère donc l'excellent Alexander Tsymbalyuk, philistin de la veille au Théâtre des Champs-Élysées et déjà Boris dans la version 1869 de la production Calixto Bieito de Munich. En France comme en Allemagne, le chanteur conquit les esprits grâce à un bas-médium coloré et un chant intelligent autant que sensible. Il surpasse en cela tout le reste de la distribution, soutenue par un autre récent Boris sur l'une des scènes berlinoises, Ain Anger, déjà Pimène en concert avec Tugan Sokhiev à Toulouse et Paris quatre ans plus tôt. Boris Pinkhasovich pour un Andrei Chtchelkalov ouvert et parfaitement projeté et dans une moindre mesure l'Officier de Police énergique de Maxim Mikhailov sont les seuls autres chanteurs à retenir d'une distribution grise elle aussi, à l'image de la soirée.
Crédit photographique © Agathe Poupeney
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Paris. Opéra Bastille. 13-VI-2018. Modeste Moussorgski (1839-1881) : Boris Godounov, version initiale de 1869. Opéra en sept tableaux sur un livret du compositeur d’après Alexander Pouchkine et Nicolas Karamzine. Mise en scène : Ivo van Hove. Décors et lumières : Jan Versweyveld. Costumes : An D’Huys. Vidéos : Tel Yarden. Dramaturgie : Jan Vandenhouwe. Avec : Alexander Tsymbalyuk, Boris Godounov ; Evdokia Malevskaya, Fiodor ; Ruzan Mantashyan, Xénia ; Alexandra Durseneva, La Nourrice ; Maxim Paster, Le Prince Chouïski ; Boris Pinkhasovich, Andrei Chtchelkalov ; Ain Anger, Pimène ; Dmitry Golovnin, Grigori Otrepiev ; Evgeny Nikitin, Varlaam ; Peter Bronder, Missaïl ; Elena Manistina, L’Aubergiste ; Vasily Efimov, L’Innocent ; Mikhail Timoshenko, Mitioukha ; Maxim Mikhailov, Un Officier de Police ; Luca Sannai, Un Boyard/Voix dans la foule. Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris ; Maîtrise des Hauts-de-Seine. Chœurs de l’Opéra national de Paris (Chef des chœurs : José Luis Basso). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Vladimir Jurowski
S’il est, analogiquement avec l’Histoire de Russie au temps de Boris Godounov, un (triste) chef d’Etat récent auquel le metteur en scène aurait DÛ se référer, ce n’est SÛREMENT PAS Vladimir Poutine (réélu DEMOCRATIQUEMENT par une TRES LARGE majorité … n’en déplaise à ce que l’ON – politiciens et médias – pense … « à l’ouest -) mais … Boris ELTSINE, « assassin politique » de Gorbatchev et auteur du Coup d’Etat du 04 octobre 1993 … avant que d’initier, BIEN PLUS qu’en son temps, Boris Godounov, un nouveau « Temps des troubles » qui mènera la Russie au bord de la destruction (INGERENCE des Etats-Unis – nouvelle « Pologne » – dans la « gouvernance » d’un « libéralisme sauvage » de Eltsine et sa réélection de 1996 … … pillage éhonté de la Russie par les oligarques (« réfugiés » depuis à l’ouest !) … banqueroute de 1998) … « suicide politique » d’un Eltsine démissionnant le 3 décembre 1999 … avant que Poutine n’entreprenne de redresser la Russie … au grand dam de ces mêmes Etats-Unis et de l’Occident !!!
Laissons à M. Loncin son appréhension particulière de la démocratie qu’il a tout à fait le droit de soutenir (même si l’on s’écarte de la musique) ; le mérite de son commentaire est de montrer toute l’ambiguïté de la notion, comme de celle de chef légitime, ce qui est présent dans Boris ! L’enjeu n’est pas de savoir si Boris a tué le tsarévitch puisque dans la version 1869 c’est nettement explicite et, de ce fait, Ivo van Hove montre qu’il n’a absolument pas compris l’oeuvre et passe totalement à côté. Je pense que c’est cette mise en scène scolaire qui jette la grisaille sur tout le spectacle, la direction d’orchestre est loin d’être aussi indigne qu’indiquée. Il fallait interroger la légitimité du pouvoir : pourquoi ne pas voir Poutine se questionner sur son accession au pouvoir, cela aurait eu le mérite d’apporter une idée, une conception. Quitte à faire une mise en scène de pure forme, autant s’interroger sur la forme du pouvoir. J’aurais préféré pour ma part, en 2018, que l’on évoque Staline dont Boris était paradoxalement l’opéra préféré! La version de 1869 ne supporte pas la médiocrité, malheureusement M. van Hove s’y vautre allègrement : les scènes au couvent et à l’auberge montrent bien son désintérêt total pour ce chef d’oeuvre.
Mais c’est précisément cette mise en scène (d’espèce politique) « d’un Boris assimilé à Vladimir Poutine et d’un Pimène associé à Raspoutine » comme d’une « Kiev en regard de l’histoire récente » que je dénonce par cette analogie avec l’Histoire toute récente de Russie …
Ce compte rendu ne rend précisément pas compte de ce spectacle. Passons sur la mise en scène minimaliste, mais qui a l’avantage de ne pas être intrusive, et ne m’a pas obligé à fermer régulièrement les yeux, comme souvent, pour ne pas avoir à supporter des contresens entre action et musique.
Version de 1869 grise, et non grand opéra, oui, peut-être, mais la vie est grise et Boris n’est pas une partie de plaisir. Je pensais irrésistiblement à De la Maison des Morts en écoutant cette musique, et je rends grâce à Vladimir Jurowski d’avoir rendu sensible cette parenté avec Janacek.
Un orchestre tenu d’une main de fer, un chœur impressionnant, disons à partir de la scène de l’Innocent, moment où la mayonnaise pris, ou, pour parler autrement, moment où les musiciens se sont dégourdis.
Distribution vocale homogène, triangle Boris, Chouisky, Innocent convaincant, pour un drame dont les vertus purement musicales éclipsent les appâts scéniques, ce qui peut être frustrant pour les amateurs de grand spectacle. Je sais désormais que la première version de Boris est celle qui me va, et je dispose maintenant d’une référence fiable à l’aune de laquelle juger musicalement les interprétations existantes.
J’ai l’impression de ne pas avoir assisté au même spectacle que Mr Guillemin, tant au contraire , la variété des couleurs des émotions déclenchées par un spectacle très puissant et parfaitement assemblé entre scénographie , vidéo et gestion des protagonistes, m’a bouleversé. Bravo à l’Opéra national de Paris pour cette production qui est à marquer d’une pierre blanche avec également une distribution parfaite du plus petit au plus grand rôle. Le spectacle avait bien mûri lorsque j’y ai assité lors d’une des dernière représentations en juillet…