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Reminiscenza, ou le labyrinthe du monde selon Ludmila Berlinskaïa

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« Reminiscenza ». Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate n° 30 en mi majeur op. 109 ; Nikolaï Medtner (1879-1951) : Sonate n° 10 en la mineur « Reminiscenza » op. 38 n° 1 ; Robert Schumann (1810-1856) : Kreisleriana op. 16 ; Maurice Ravel (1875-1937) : Valses nobles et sentimentales. Ludmila Berlinskaïa, piano. 1 CD Melodiya. Enregistré en la grande salle du conservatoire de Moscou en juillet 2017. Textes de présentation de l’artiste en russe, anglais et français. Durée : 79:40

 

71SG960Oj-L._SL1200_Quelques semaines après son récital en la salle Gaveau, nous parvient le nouveau disque de reprenant le programme de ce mémorable concert. Le concept permet de réunir, sous l'auspice des souvenirs, des pages opposées ou complémentaires, et met parfaitement en valeur les qualités pianistiques, musicales, et presque narratives de la pianiste russe qui vit aujourd'hui à Paris.

Fille de Valentin Berlinsky, le violoncelliste légendaire du quatuor Borodine de 1946 à 2007, Ludmila Berlinskaia a pu bénéficier des conseils et de la bienveillante attention d'éminents musiciens de la Russie soviétique. La marque de Sviatoslav Richter est tout à fait audible dans son jeu, tant par l'attention apportée aux vertus expressives du clavier que par la conception très architecturée, quasi-littéraire, du programme, sans que l'on ait pour autant la sensation d'avoir affaire à un simple épigone : ce poids de la grâce intuitive typiquement féminine oublie la manière parfois plus brusque, léonine, de son maître à penser.

Le choix s'est orienté vers un juste partage entre deux sonates et deux cycles de huit pièces. Et sous le titre de « reminiscenza » se cachent des références multiples : bien entendu, tout d'abord, la dixième sonate de , qui connaît ici une interprétation somptueuse, d'une engagement et d'une ferveur admirables, tant dans l'attention apportée aux nuances que dans la globalité de la trajectoire de l'œuvre. Mais les autres pièces du programme, au-delà des propres souvenirs de l'interprète, utilisent peu ou prou les effets de mémoire volontaire ou non, et d'ouverture du tiroir aux effluves passées : le Gesangvoll, mit innigster Empfindung conclusif de la Sonate opus 109 de Beethoven boucle la boucle par une réitération de son thème initial après bien des métamorphoses. Les pièces impaires (côté Florestan) et paires (côté Eusébius) des Kreisleriana de Schumann se répondent intimement par des bribes thématiques cycliques ; quant à l'Épilogue des Valses nobles et sentimentales de Ravel (par-delà la référence à Schubert), il égraine en quatre minutes le parcours total du cycle.

On admirera les contrastes de la sonorité de : tantôt assez courte, voire cinglante (par exemple dans un Ravel d'une conception très originale, imaginé loin des standards et clichés « français » superficiels et un peu éculés), ou ailleurs parfois plus enrobée et directement séduisante (premier temps de la Sonate de Beethoven, idéalement rêveur et timbré). Certes, on pourrait imaginer une plus grande différenciation des variations terminales de cette même sonate, telle, dans une conception voisine, la version ultime et très tranchée d'un Emil Gilels (DGG) ; mais le parcours des Kreisleiriana, tour à tour emportés sans précipitation (Argerich, DGG) ou méditatifs sans mièvrerie, nous aura semblé rarement aussi narratif, elliptique et justement tortueux à la fois dans son labyrinthe psychologique et musical : l'interprète semble, plus encore ici, prendre l'auditeur par la main et le guider d'étape en étape dans un voyage intérieur aux multiples entrelacs, pour un périple méditatif ou douloureux dont personne ne sortira indemne. Pour cette vision à l'inquiétante étrangeté (pour citer Freud à propos des Contes d'Hoffmann), ce merveilleux récital mérite à lui seul d'être acquis, et permettra à bien des mélomanes de découvrir une pianiste éminente et attachante, qui par son destin musical et ses paris esthétiques a réussi – et comment ! – à se faire un prénom.

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« Reminiscenza ». Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate n° 30 en mi majeur op. 109 ; Nikolaï Medtner (1879-1951) : Sonate n° 10 en la mineur « Reminiscenza » op. 38 n° 1 ; Robert Schumann (1810-1856) : Kreisleriana op. 16 ; Maurice Ravel (1875-1937) : Valses nobles et sentimentales. Ludmila Berlinskaïa, piano. 1 CD Melodiya. Enregistré en la grande salle du conservatoire de Moscou en juillet 2017. Textes de présentation de l’artiste en russe, anglais et français. Durée : 79:40

 
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