Plus de détails
Mémoires d’un artiste. Charles Gounod. Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 363 pages. 11€. ISBN 978-2-330-09280-1. Dépôt légal janvier 2018.
Quelle excellente idée, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Charles Gounod, que la republication de son autobiographie, dans une édition revue et augmentée, sous la supervision de Gérard Condé !
Ces Mémoires sont en fait le fruit d'une édition posthume de la compilation de trois sources différentes : Mémoires d'un artiste (1876) et À ma mère (1884), plus un manuscrit non-autographe, intitulé Mes souvenirs de pensionnaire de l'Académie de France à Rome. Celles-ci se recoupant souvent et se complétant, le choix de telle ou telle est expliqué dans de riches notes en bas de page.
Dans la mesure où ces textes se terminent par l'avènement de Faust, ce qui aurait pu être bien frustrant pour le lecteur, une seconde partie fait feu de tout bois pour éclairer la suite de la carrière du compositeur : lettres, carnets intimes, articles de journaux écrits de sa main, manifestes… La frustration demeure plus ou moins, cependant, car la première partie, d'une écriture allègre, dépeint l'intimité profonde de Gounod, alors que la seconde, plus publique, plus dirigée vers l'extérieur, ne nous donne pas le même contact avec l'âme de l'artiste. Elle nous offre cependant de beaux avis sur son goût pour des musiciens tels que Rossini, Meyerbeer, Wagner ou Berlioz, sa vision de l'Art en général, et tout particulièrement de l'adaptation de la musique à la prose, réellement passionnants.
Qu'apprenons-nous donc sur Gounod, au fil de ces 363 pages ? On est tout d'abord étonnée, réjouie, de cette plume facile, alerte, tellement actuelle, si différente de ces livrets d'opéra ampoulés qui nous tiennent parfois lieu de référence quant à la prose du XIXe siècle. Cela se lit tout seul, comme un roman. L'auteur se plaît à dire que si son père avait vécu plus longtemps, il aurait pu embrasser une carrière de peintre plutôt que de musicien. Celle d'écrivain aurait été également envisageable, au vu de la qualité et de la facilité de son écriture.
On y découvre de prime abord un attachement indéfectible pour sa mère, omniprésente, jeune veuve avec deux enfants à charge, donnant des cours de musique pour faire vivre la famille, et qui entame très tôt la formation du petit Charles. Il semble qu'il lui a tout donné, que toutes ses réussites lui ont été dues. Les anecdotes sont nombreuses, souvent amusantes, et convoquent bon nombre de célébrités de l'époque (Pauline Viardot, Halévy, Ingres, Duprez, Reicha, Cherubini, Fanny Mendelssohn, l'impératrice Eugénie, et on en passe…).
Les choix de mettre en avant telle ou telle situation, tel ou tel personnage, sont effectués avec délicatesse. Les amis sont choyés, félicités, tandis que les ennemis sont ignorés avec dédain, mises à part quelques phrases sibyllines, voire assassines, quand il s'agit de son éditeur Choudens, à tort ou à raison (il écrit ces quelques lignes en pleine tempête Georgina Weldon). Le séjour à Rome fait l'objet de vastes développement, alors que celui en Allemagne ne donne lieu qu'à quelques passages désolés – il se languissait alors de revoir sa mère. La religion, qui a tant été monté en épingle par ses biographes, ne semble pas si importante, plus affaire d'opportunités et de rencontres que d'un désir véritable de rentrer dans les ordres. Quant aux côtés noirs, dépressions à répétition, problèmes de couple, sa pudeur est telle qu'il faut soit savoir lire entre les lignes, soit se reporter aux notes de bas de page.
Un grand artiste, d'une sincérité à toute épreuve, et un grand monsieur !
Plus de détails
Mémoires d’un artiste. Charles Gounod. Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 363 pages. 11€. ISBN 978-2-330-09280-1. Dépôt légal janvier 2018.
Actes SudPalazzetto Bru Zane