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Les Soldats reviennent chez eux à Cologne avec François-Xavier Roth

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Cologne. Staatenhaus. 11-V-2018. Bernd Aloïs Zimmermann (1918-1970) : Die Soldaten, opéra en 4 actes sur un livret du compositeur d’après Les Soldats de J. M. R. Lenz. Mise en scène : Carlus Padrissa (La Fura dels Baus). Décor : Roland Olbeter. Costumes : Chu Uroz. Lumières : Andreas Grüter. Vidéo : Marc Molinos, Alberto de Gobbi. Avec: Frank van Hove, Wesener ; Emily Hindrichs, Marie ; Judith Thielsen, Charlotte ; Kismara Pessati, Mère de Wesener ; Nikolay Borchev, Stolzius ; Dalia Schaechter, Mère de Stolzius ; Miroslav Stricevic, Obrist, comte de Spannheim ; Martin Koch, Desportes ; John Heuzenroeder, Pirzel ; Olivier Zwarg, Eisenhardt ; Miljenko Turk, Haudy ; Wolfgang Stefan Schwaiger, Mary ; Sharon Kempton, Comtesse de la Roche ; Alexander Kaimbacher, le Comte, son fils. Orchestre du Gürzenich de Cologne, direction : François-Xavier Roth

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À en juger par le nombre « bayreuthien » de spectateurs à la recherche de places aux abords de la Staatenhaus, et par le nombre de maisons d'opéras qui le programment aujourd'hui, il ne fait plus aucun doute que l'opéra de Bernd Alois Zimmermann peut être qualifié de populaire.

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Die Soldaten, splendide crépuscule du dodécaphonisme, force à voir les choses en grand. C'est chose faite à Cologne qui, en ce printemps 2018, fête avec cette production exemplaire le centenaire de la naissance du compositeur. C'est là que naquit Zimmermann, là que se créa, en 1965, son unique opéra, ces Soldats où il avait tant mis de sa stupeur face à la violence d'un monde qui le terrifiait. C'est là que occupe, depuis 2015, les fonctions de directeur musical général et de directeur artistique de l'Orchestre du Gürzenich et de celui de l'Opéra. L'on a eu maintes fois l'occasion de louer le grand berliozien qu'il est. Son génie analytique, pour faire ressortir les beautés orchestrales du compositeur français, fait merveille face à l'instrumentarium opulent de l'allemand. Grand déclencheur de cataclysmes analytiques, la réussite de la soirée est probablement d'abord la sienne.

Longtemps illisible à la scène (on n'a pas oublié le brouillon de la création française en 1983 à Lyon avec la mise en scène échevelée de , ni les invectives échangées d'un spectateur à l'autre – « ceux que le sexe effraie n'ont qu'à aller se confesser » –, ni le bras d'honneur que Serge Baudo adressa aux contempteurs entre deux tableaux !), Die Soldaten, avec des scènes parfois simultanées, est d'abord une affaire de dispositif. Pour ce retour au bercail, il se trouve que le repli obligé de l'ancien Opéra en rénovation dans la froide Staatenhaus est une aubaine pour une œuvre dont le foisonnement peine à s'inscrire en-deçà du quatrième mur. Le style de , dont le Ring ultra-visuel se diluait dans un certain inintérêt pour la direction d'acteurs, fonctionne beaucoup mieux pour les deux heures de Die Soldaten. Le metteur en scène a choisi une vision à 360° parfaitement adaptée au vertige de cet opéra-monde. Le décor, une passerelle pentue rehaussée de murs tapissés de nombreuses vidéos (Zimmermann invitait aussi le cinéma dans son Gesamtkunstwerk à lui), encercle le spectateur réfugié sur de spartiates sièges pivotants lui permettant de diriger son regard à sa guise.

Dans cet environnement idéal, il ne reste plus qu'à énoncer quelques idées-force, toutes personnelles, et qui n'auraient certainement pas déplu à l'humaniste à vif qu'était Zimmermann : pour , la pléonastique violence sexuelle et guerrière n'est pas cantonnée à la France du siècle dit des Lumières du livret, mais, ainsi qu'en témoignent les couvre-chefs cosmopolites de ces nouveaux soldats, bien à l'œuvre aux quatre coins du monde. La première femme entendue, et dont le cri déchire l'irrésistible Preludio, est une Femen très contemporaine (dont l'on s'étonne ici qu'elle ne se déleste pas de son soutien-gorge : le public d'opéra en a vu d'autres). Au final, Marie et son père finissent enlacés. Trois petits cailloux humanistes dans les bottes d'une œuvre apocalyptique, que Padrissa fait culminer dans l'éblouissement stroboscopique visuel du terrifiant carrousel d'un cercle de militaires pendus se masturbant de plus en plus frénétiquement.

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Un tiers de la salle est réservé à l'orchestre dont s'échappent trois groupes de percussions œuvrant au milieu des spectateurs et même en Sensurround sous les gradins. Deux échafaudages, abritant quelques scènes spécifiques, révèlent l'originalité de l'orchestration en mettant en lumière certains passagers clandestins, comme la guitare. Deux chefs associés veillant sur les chanteurs secondent Roth, principalement attaché à la matière orchestrale. Les costumes (Chu Uroz) sont parfaitement dessinés. La distribution est remarquable. Des quarante-quatre solistes, et en commençant par les femmes, très exposées, on est impressionné par l'assurance d'Emilie Hindrichs, pitoyable Marie en mini-robe à panier et sous-vêtements aux couleurs du drapeau français, par la haute voltige, en Comtesse de La Roche, de Sharon Kempton, la très solide Charlotte de . On retient aussi l'imposante , costumée comme une princesse barbare, mère-araignée qui attache son fils façon Fura dels Baus pour de bien étranges séquences d'affection filiale. Les hommes sont au même niveau de qualité : le Wesener débonnaire de Frank van Hove, la morgue détestable du Desportes de , le Comte velléitaire de , le prêcheur impuissant d'. Atroce défilé masculin que s'escrime en vain à rédimer le Stolzius brûlant de  : après son Mercure facétieux de La Calisto à Strasbourg, l'attachant baryton apporte la puissance et le poids émotionnel nécessaires à l'incarnation de cet autre sacrifié de l'histoire.

Car Die Soldaten, campé sur le passé du drame éponyme de Jacob Lenz, avec ses dix tableaux datés de 1775 et cadrés par les termes très fondateurs de ricercare, preludio, chaconne, toccata, notturno, toccata, rondeau, capriccio, parlant de notre présent, et nous invitant à envisager notre futur, c'est avant tout et surtout, pour reprendre à l'envers le titre du célèbre ouvrage de Catherine Clément, la « défaite des hommes ».

Crédits photographiques : © Paul Leclaire

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