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Karlsruhe. Staatstheater. 8-V-2018. Avner Dorman (né en 1975) : Wahnfried, opéra en deux actes sur un livret de Lutz Hübner et Sarah Nemitz. Mise en scène : Keith Warner. Décor : Tilo Steffens. Costumes : Julia Müer. Lumières : Stefan Woincke. Vidéo : Manuel Kolip. Avec : Matthias Wohlbrecht, Houston Stewart Chamberlain ; Christina Niessen, Cosima Wagner ; Joo-Anne Bitter, Anna Chamberlain, Isolde Wagner ; Andrew Watts, Siegfried Wagner ; Ina Schlingensiepen, Winifred ; Agnieszka Tomaszewska, Eva Chamberlain; Armin Kolarczyk, Wagnerdämon ; Eleazar Rodriguez, Der Meisterjünger (Hitler) ; Renatus Meszar, Herman Levi ; Karten Mewes , Der Kaiser ; Konstantin Gorny , Bakunin ; Camelia Tarlea, Ulrike Gruber, Doru Cepreaga, Manuel Oswald, Passants ; Eui Kyung Kim, Julia Mazur, Uta Hoffmann, Volker Hanisch, Alexander Huck, Susanne Schellin, Wagnériens. Badische Staatsopernchor (chef de choeur : Ulrich Wagner) et Badische Staatskapelle, direction : Justin Brown
Les démêlés façon Atrides de la famille Wagner, qui pourraient donner matière à une excellente série télévisée, méritaient bien un opéra. C'est chose faite avec ce Wahnfried que l'Opéra de Karlsruhe a commandé au compositeur Avner Dorman. Un opéra politique et une incontestable réussite.
Décidément, 2017 fut une année éprouvante pour les wagnériens : la nouvelle mise en scène des Maîtres-chanteurs de Barrie Kosky à Bayreuth, le livre L'opéra sans rédemption de Marc Goldschmit, et ce bien-nommé Wahnfried, présenté par Karlsruhe comme la cinquième partie de son actuel Ring.
Ils sont venus , ils sont tous là à Wahnfried : Richard, Cosima, Siegfried, Winifred, Eva, Isolde… Mais le héros de l'opéra de Dorman c'est Houston Stewart Chamberlain. Cet essayiste anglais, ensorcelé dès 1882 par la musique de Richard Wagner, se prend pour l'Allemagne d'une passion telle qu'il en reniera ses origines. Il se rapproche de Cosima, dont il épouse en secondes noces la seconde fille adultérine Eva mais aussi les idées nauséabondes qu'il développera en 1899 dans Les fondements du XIXe siècle. Dans cet ouvrage-sésame pour accéder à Wahnfried, la maison des Wagner à Bayreuth, où le racisme antisémite était pain quotidien (Wagner avait déjà écrit sous pseudonyme son détestable Judaïsme dans la musique, sa veuve recrutait les chanteurs selon leurs origines), il se fait le chantre de la suprématie aryenne. Adoubé par l'empereur Guillaume II, Les fondements du XIXe siècle sera pain bénit pour certain dictateur en devenir, vite reçu et choyé à Bayreuth. Après les mots il y aura les actes.
Ce premier opéra en deux actes et vingt et une scènes du compositeur israélien, né en 1975, raconte tout cela, porté par l'excellent livret des auteurs allemands Lutz Hübner et Sarah Nemitz qui signent ici leur troisième collaboration pour l'opéra. De la mort de Wagner à la naissance d'Hitler. Quarante années couvertes avec brio en 2 heures 20. Le temps passe sans qu'on le sente passer par la vertu d'un livret remarquablement lisible, même pour les non-wagnériens, et par celle d'une musique au tourbillon irrésistible. Plutôt véloce et motoriste, faisant la part belle aux fanfares et aux marches populaires, à l'humour (« Houston wir haben ein Problem »), d'une variété proche des nombreux états d'âme en jeu, elle sait faire sourdre la mélancolie : très beau thème sur le départ contraint d'Anna Chamberlain en camisole de force, très bel air de Siegfried ouvrant le second acte… Embarqué par une partition galvanisante, on délaisse très vite le jeu des influences. Les citations musicales sont nombreuses, principalement wagnériennes (on recommande la Marche funèbre façon dixieland), et parfaitement intégrées dans une écriture aussi savante qu'accessible.
C'est l'Anglais Keith Warner, qui a déjà monté tout Wagner, qui s'emploie à rattraper les erreurs funestes de ses compatriotes Chamberlain et Winifred Wagner née Williams. Invité à Bayreuth en 1999 pour Lohengrin par Wolfgang Wagner, c'est en familier de la maison que Keith Warner prend un plaisir manifeste à donner vie au scénario palpitant de Wahnfried. Sa traduction scénique, d'une savoureuse intelligence, ajoute au bonheur des wagnériens puisqu'elle prend pour cadre le contre-champ de la scène même du Festspielhaus. De l'envers des décors successifs glissés sur le plateau, on aperçoit le revers de la fosse mystique, la célèbre pente de la salle (souvent occupée par le chœur), et, tout au fond la rangée des mittelloge. Dans la loge centrale où Hitler prit souvent place, dans cette loge transformée au final en cage à fous s'avançant vers le spectateur, on assiste, au début du spectacle, à la mort de Wagner, aussitôt remplacé par son esprit, baptisé par les librettistes Wagnerdämon. Ce Wagnerdämon (grimé en clown par Warner), fait quelques apparitions marquantes : d'abord juché sur un Fafner d'opérette, il lance avec Bakounine des explosifs dans son propre théâtre (Wagner voulait casser les codes, rêvant de la gratuité à Bayreuth !) mais, plus tard, il ouvre la porte au jeune Hitler. Et c'est lui qui aura le dernier mot, concluant à l'adresse d'un Chamberlain devenu fou : « Tu n'as rien compris. Ni moi, ni la Vie. Tu es une déviation. Ne savais-tu pas que mes héros échouent toujours ? » Cette pirouette finale permet aux auteurs de rendre à Wagner la part de discernement que lui dénie Marc Goldschmit dans son livre. Rien, cependant, n'aura été éludé des effluves délétères engendrés par le génie d'un art devenu totalitaire qui ne se voulait que total : le racisme de Cosima, le déni de reconnaissance en paternité d'Isolde von Bülow, l'appartenance nazi d'Eva, les affres d'Herman Levi, Hofkapellemeister à Karlsruhe de 1864 à 1872 (la place du Staastheater porte son nom) et créateur de Parsifal, l'avènement de la sulfureuse Winifred (bras dessus-bras dessous avec Hitler au cours de la glaçante parade finale), et même les émois homosexuels de Siegfried-Fidi, confiés à la délicatesse d'un contre-ténor.
Karlsruhe a confié la création de Wahnfried (première le 28 janvier 2017), nominé aux International Opera Awards, à la direction enlevée de Justin Brown, à l'excellence de la soixantaine d'instrumentistes de sa Badische Staatskapelle, à un chœur maison très engagé ainsi qu'à une remarquable distribution. Au-delà de nombreux comprimarii, on louera le lyrisme touchant en Anna et Isolde de Joo-Anne Bitter, capable de remplacer deux chanteuses au pied levé le même soir, l'autorité de Christina Niessen en Cosima et d'Agnieszka Tomaszewska en Eva, l'empereur volubile de Karsten Mewes, le Bakounine déchaîné de Konstantin Gorny. Hitler jeune bénéficie de la fougue d'Eleazar Rodríguez, Herman Levi du métier du Wotan maison, Renatus Mészár. Armin Kolarczyk s'amuse beaucoup en Wagnerdämon. Le Siegfried de l'Anglais Andrew Watts bouleverse et son air est applaudi comme si l'on était chez Verdi alors que la coupe du morceau est plutôt brittenienne. Enfin Matthias Wohlbrecht semble jouer sa vie avec un Chamberlain halluciné dont le regard de dément transperce les longs fortissimo des deux fins d'actes.
Suivi avec une grande ferveur par le public, Wahnfried a le potentiel d'un opéra-culte. En tout cas, il atteint pleinement le but que le Badische Staatstheater s'est fixé : alerter. Imaginé en 2012, avant la fuite des migrants, avant le retour des discours suprémacistes, avant certains résultats électoraux (même dans des pays se targuant d'avoir un haut niveau culturel), Wahnfried, se veut un opéra politique. Si Chamberlain est mort en 1927 (Hitler sera un des rares présents à son inhumation), ses idées sont, elles, toujours bien vivantes.
Crédits photographiques: © Falk von Traubenberg
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Karlsruhe. Staatstheater. 8-V-2018. Avner Dorman (né en 1975) : Wahnfried, opéra en deux actes sur un livret de Lutz Hübner et Sarah Nemitz. Mise en scène : Keith Warner. Décor : Tilo Steffens. Costumes : Julia Müer. Lumières : Stefan Woincke. Vidéo : Manuel Kolip. Avec : Matthias Wohlbrecht, Houston Stewart Chamberlain ; Christina Niessen, Cosima Wagner ; Joo-Anne Bitter, Anna Chamberlain, Isolde Wagner ; Andrew Watts, Siegfried Wagner ; Ina Schlingensiepen, Winifred ; Agnieszka Tomaszewska, Eva Chamberlain; Armin Kolarczyk, Wagnerdämon ; Eleazar Rodriguez, Der Meisterjünger (Hitler) ; Renatus Meszar, Herman Levi ; Karten Mewes , Der Kaiser ; Konstantin Gorny , Bakunin ; Camelia Tarlea, Ulrike Gruber, Doru Cepreaga, Manuel Oswald, Passants ; Eui Kyung Kim, Julia Mazur, Uta Hoffmann, Volker Hanisch, Alexander Huck, Susanne Schellin, Wagnériens. Badische Staatsopernchor (chef de choeur : Ulrich Wagner) et Badische Staatskapelle, direction : Justin Brown
IGNOBLE !!! Plutôt que de baver éternellement sur l’antisémitisme de Wagner, il serait BON de « donner la parole à la défense » afin que soit une fois pour toute défini l’origine de cet antisémitisme et POURQUOI il a surgi dans la vie de celui qui reste avec Beethoven, le plus GRAND GENIE musical de l’Allemagne du XIXème siècle !!!
Et, s’agissant de Houston Chamberlain qui s’est pris « pour l’Allemagne d’une passion telle qu’il en reniera ses origines » … j’ai, « en service », son exact contraire, le physicien Frederick Lindemann, né à Baden Baden en 1886 au sein d’une famille juive convertie au catholicisme d’où … cette HAINE de l’Allemagne et l’acharnement obsessionnels dont, devenu « Lord Cherwell » et conseiller de Churchill, il fera preuve à l’égard de l’Allemagne et des Allemands en tant que promoteur de la « stratégie du « Moral Bombing » anti cités, faisant pleuvoir le phosphore sur sa patrie natale … par exemple, Hambourg et Dresde …