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Essen. Aalto-Theater. 20-IV-2018. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Il Trovatore, drame en quatre parties sur un livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare d’après la pièce « El trovador » d’Antonio Garcia Gutiérez. Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser. Décor : Christian Fenouillat. Costumes : Agostino Cavalca. Lumières : Christophe Forey. Avec : Domenico Balzani, Le Comte de Luna ; Aurelia Florian, Leonora ; Carmen Topciu, Azucena ; Gaston Rivero, Manrico ; Baurzhan Anderzhanov, Ferrando ; Liliana de Sousa, Inès ; Albrecht Kludszuweit, Ruiz ; Joo Youp Lee, Un messager ; Andreas Baronner, Un vieux tzigane. Chœur de l’Aalto-Theather (chef de chœur Jens Bingert) et Orchestre philharmonique d’Essen, direction : Johannes Witt
Essen. Aalto-Theater. 21-IV-2018. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en trois actes d’après le drame d’Alexandre Dumas fils La Dame aux camélias. Mise en scène : Josef Ernst Köpplinger. Décors : Johannes Leiacker. Costumes : Alfred Mayerhofer. Avec: Elbenita Kajtari, Violetta Valéry ; Liliana de Sousa, Flora Bervoix ; Bettina Ranch, Annina ; Carlos Cardoso, Alfredo Germont ; Heiko Trinsinger, Giorgio Germont ; Rainer Maria Röhr, Gastone, Visconte de Lestorières; Martijn Cornet, Barone Douphol ; Karel Martin Ludvik, Marchese d’Obigny ; Baurzhan Anderszhanov, Dottore Grenvil ; René Aguilar, Giuseppe ; Arman Manukyan, Domestico ; Michael Kunze, Commissionario. Chœur de l’Aalto-Theater (chef de chœur : Jens Bingert). Orchestre philharmonique d’Essen, direction : Friedrich Haider
On n'en finit pas de louer la belle exception culturelle allemande qui permet de voir un opéra différent chaque soir dans la plupart des villes, le plus souvent dans des présentations soignées et soucieuses d'éviter la routine. Ainsi ces deux Verdi de la « Trilogie populaire » par le Aaalto-Musiktheater d'Essen qui enchaîne un nouveau Trouvère (Leiser/Caurier) et la reprise de sa Traviata de 2012 (Josef Ernst Köpplinger), partagent la contrainte d'un décor unique ainsi que le bilan mitigé de leur réussite.
Déception assez cuisante pour le tandem de metteurs en scène, éblouissant de talent à ses débuts (un Songe d'une nuit d'été et des Troyens lyonnais de légende) et même encore aujourd'hui (Norma), qui se repose ici sur quelques éclairs de métier (un prometteur décor parallélépipédique qu'on peut éclabousser de sang et d'éclairages tranchants, qu'une escouade peut fracasser après un assaut à l'hélicoptère) mais qui achoppe assez vite sur la dramaturgie retorse d'un opéra (et c'est la seule circonstance atténuante qu'on leur attribuera) extrêmement difficile à monter. Les anciens y ont longtemps ennuyé et les plus récents s'y sont cassé les dents en voulant légitimement en briser le carcan. Tcherniakov accoucha ainsi avec son Trouvère pour Bruxelles de son spectacle le plus pénible, ce qui lui permit probablement de se venger plus tard avec sa mémorable Carmen pour Aix. Leiser et Caurier ne visent pas si loin. Leur Trouvère fait des tziganes du livret des parias bien contemporains qu'on parque et qu'on égorge. Azucena est leur héroïne comme elle était celle de Verdi qui voulait titrer son opéra La Gitane, et l'on se désintéresse avec eux des imbroglios amoureux des autres protagonistes, avec une direction d'acteurs à la serpe dans un décor perdant peu à peu son pouvoir de séduction initial : ce qui se voudrait espace mental, où les états d'âmes sont lisibles sur les figures imposées à des dizaines de chaises, rappelle le funeste gymnase à tout faire où Sidi Larbi Cherkaoui enfermait récemment ses Indes galantes.
A-t-on déjà dit combien les images pouvaient conditionner notre perception de ce qui se joue en fosse ? Face à ce qui serait presque une nouvelle forme de routine scénique, la direction de Johannes Witt nous a semblé elle aussi inégalement galvanisante, bien en deçà de l'affirmation de Leonard Cohen invoquée en préambule sur le décor « J'ai vu le futur, mon frère : c'est le meurtre. » Mal soutenue par ses metteurs en scène, une solide distribution fait néanmoins tout ce qu'elle peut : Ferrando hautement racé de Baurzhan Anderzhanov, spinto en manque d'unicité des registres et en quête de grave de la Léonore d'Aurelia Florian (œil un peu trop rivé sur le chef), solide Manrico, jusqu'au facultatif, de Gaston Rivero (chahuté par le costumier), très probe Luna de Domenico Balzani, la triomphatrice de la soirée restant Carmen Topciu, Azucena au tempérament de feu.
Un séduisant décor unique pour une Traviata donnée (quelle bonne idée !) d'un seul souffle. La vision d'un luxueux sanatorium sous la neige, au marbre encadrant des fresques à la Caspar David Friedrich, s'accorde très bien à la mélancolie du Prélude. C'est là que la dévoyée, entre personnel médical et connaissances passées, va tout revivre. Le procédé, qui fonctionne très bien au premier tableau, et même au deuxième (très belle vidéo de nuages ascendants qui donne vraiment l'impression que l'on est dans l'air raréfié et vivifiant de la haute montagne) fait chou blanc chez Flora où l'on ne pardonnera vraiment pas au metteur en scène de ne rien faire du Chœur des bohémiennes et des matadors. Le concept vraisemblable de Köpplinger aurait nécessité un surcroît de virtuosité et de maîtrise des glissements du présent au passé, du réel à la mémoire, un peu comme dans l'univers de surgissements perpétuels des rêves. Le carnaval du III, par exemple, avec l'irruption d'angelots musiciens et de figures morbides, est par trop plaqué. Mais on gardera en mémoire de très belles idées, telle celle de la présence inédite de la fille Germont au deuxième acte.
Si l'on se perd également trop souvent à repérer du signifiant dans une figuration envahissante, on n'a que des certitudes face au rôle-titre, joyau de la soirée. Elbenita Kajtari, ce n'est pas coutume, a toutes les voix du rôle : un I sidérant d'aplomb (avec le contre-ré bémol le plus libéré qu'on ait entendu depuis longtemps), un II profondément passionné, un III avec glissandi déchirants. Face à cette chanteuse, dont l'aplomb serait presque le seul point faible aux yeux de certains, les Germont, tous deux judicieusement privés de cabalette, ne font pas le poids : ni le père (Heiko Trinsinger), trop occupé à la gestion des registres, ni Carlos Cardoso que l'on avait tant aimé en Narraboth l'avant-veille, trop tôt distribué en Alfredo dont il possède la fougue mais que les aigus entraînent à une trop exotique bi-coloration des voyelles. La troupe d'Essen complète efficacement une distribution où brillent déjà le Douphol de Martijn Cornet et le Docteur Grenvil de Baurzhan Anderzhanov.
La direction de Friedrich Haider est passionnée et passionnante, attentive aux chanteurs (quelle plénitude sur Amami Alfredo !), relançant toujours l'intérêt (un troisième tableau haletant) et même révélant des trésors encore enfouis dans la partition la plus rabâchée de Verdi. Beaucoup de satisfactions en somme dans cette honnête Traviata malgré l'impression, au final, qu'à griller un à un ses atouts scéniques, elle n'aura presque été qu'une Traviata de plus dans l'histoire d'une œuvre qui en a connu de mémorables. Au contraire du Trouvère qui, lui, attend toujours son metteur en scène.
Crédits photographiques : © Matthias Jung (Le Trouvère) / Saad Hamza (Traviata)
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Essen. Aalto-Theater. 20-IV-2018. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Il Trovatore, drame en quatre parties sur un livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare d’après la pièce « El trovador » d’Antonio Garcia Gutiérez. Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser. Décor : Christian Fenouillat. Costumes : Agostino Cavalca. Lumières : Christophe Forey. Avec : Domenico Balzani, Le Comte de Luna ; Aurelia Florian, Leonora ; Carmen Topciu, Azucena ; Gaston Rivero, Manrico ; Baurzhan Anderzhanov, Ferrando ; Liliana de Sousa, Inès ; Albrecht Kludszuweit, Ruiz ; Joo Youp Lee, Un messager ; Andreas Baronner, Un vieux tzigane. Chœur de l’Aalto-Theather (chef de chœur Jens Bingert) et Orchestre philharmonique d’Essen, direction : Johannes Witt
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