Jean-Claude Malgoire, pour la vérité du son
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23 avril 2018. Jour des obsèques de Jean-Claude Malgoire. Après que l'artiste s'est éteint à 77 ans le 13 avril dernier, les hommages se succèdent retraçant sa carrière d'instrumentiste, de musicologue, de pédagogue, de metteur en scène et de chef d'orchestre. Et alors que ResMusica avait rencontré le maître fin 2005 à l'occasion de ses cinquante ans de carrière, on a le droit de se demander ce que sous-entend le qualificatif de « pionnier de la musique baroque » utilisé déjà à l'époque.
« À qui n'a pas entendu le rire de Malgoire à table après un bon concert, il manquera toujours une connaissance musicale baroque de base. » (Philippe Beaussant)
Défenseur de la création contemporaine et découvreur de jeunes talents par le biais de l'Atelier lyrique de Tourcoing, Jean-Claude Malgoire a marqué particulièrement la vie musicale en s'inscrivant dans la redécouverte de la musique baroque et du questionnement interprétatif des musiques anciennes. L'élément déclencheur de cette démarche fut sa lecture de l'ouvrage d'Antoine Geoffroy-Dechaume fortement inspiré des études d'Arnold Dolmetsch, Les secrets de la musique ancienne (manuscrit : 1959, première parution : 1964), qui questionne sur l'instrumentation, les notes inégales, les tempi et autres particularités du répertoire du XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Les années 60 marquent ainsi, grâce à ce digne représentant du courant des « baroqueux », un tournant dans le monde musical français, avec l'intérêt de plus en plus prononcé pour la musique baroque de la part des professionnels comme du public.
Pour la vérité du son
La musique, peu importe la période, peu importe son style, peu importe sa qualité, est éphémère. Une musique qui n'est plus au goût d'une époque, qui ne fait plus vibrer spectateurs ou interprètes, qui n'affirme plus une utilité propre, disparaît. Tout simplement. Elle disparaît tout simplement parce qu'elle n'est plus jouée. Jusqu'au XIXe siècle, la musique vivante était résolument contemporaine, et par la suite, le répertoire « ancien » était interprété comme le répertoire « moderne ». La tradition interprétative de la musique baroque prend ainsi sa source au XIXe siècle et se métamorphose au fur et à mesure des concerts sur ces fondements. Ce n'est qu'au milieu du XXe siècle que les musiciens prennent conscience d'une spécificité sonore propre aux musiques anciennes fortement liée à l'œuvre elle-même.
Ainsi, ce n'est pas « l'authenticité historique » qui porte Jean-Claude Malgoire et les fameux « baroqueux » des années 60, mais bien la vérité sonore d'une œuvre, la vérité du son, fidèle à la tradition. La texture sonore est pour eux inséparable du sens de l'œuvre musicale qui doit donc être débarrassée des ajouts amenés durant plus d'un siècle d'interprétation. La question du diapason, des notes inégales, des voix de petits garçons et des castrats, du tempérament, du port de voix… ne sont que des outils pour atteindre cet idéal. Par exemple, si l'on compare les trois enregistrements de Platée de Rameau sous la direction de Hans Rosbaud (environ 440 Hz), sous la direction de Jean-Claude Malgoire (415 Hz) et sous celle de Marc Minkowski (392 Hz), l'énonciation du texte et les respirations des ténors sont bien différentes entre ces trois versions. Le choix d'un diapason ne tient pas lieu de vérité musicale, mais ses possibles variations sont bien un enjeu musical.
Avec la fondation de La Grande Écurie et la Chambre du Roy en 1966, pour Jean-Claude Malgoire, l'emploi des instruments d'époque n'est que le moyen de retrouver la texture, l'articulation, l'équilibre et les proportions des musiques anciennes. Retour donc aux couleurs plus franches, aux lignes plus déliées et aux sonorités plus directes grâce à ses musiciens possédant plusieurs jeux d'instruments correspondants à différentes périodes, les fabriquant parfois eux-mêmes puisque précurseurs d'un courant qui ne fera que s'accroître au fur et à mesure des années. C'est la même démarche que l'on retrouve avec le Florilegium Musicum de Paris dont il est à la tête, ensemble plus spécifiquement dédié à la musique médiévale qui joue toutes sortes d'instruments à vent anciens.
Pour la résurrection d'œuvres oubliées
Mais cette interprétation historiquement informée, ces foisonnantes recherches musicales, ses études et analyses sur des textes originaux, semblent laisser bien peu de place à une véritable vision créatrice du chef d'orchestre. Ce que l'on retient généralement de l'enregistrement de Water Music en 1970, c'est d'abord les cordes en boyau et les cors naturels ainsi que les caractéristiques originelles de l'ouverture à la française. Cela ne s'est d'ailleurs pas fait sans heurts : alors que la question de l'instrumentation a largement essuyé les foudres de la critique, la spécificité nouvelle de l'interprétation du maître horripile quelques instrumentistes déserteurs. Aujourd'hui, à la suite de son décès, les grands noms du baroque français, hauts héritiers de son œuvre, lui ont rendu de vibrants hommages : Christophe Rousset, Raphaël Pichon, Emmanuelle Haïm et tant d'autres…
« On a une certaine fierté d'avoir ouvert la voie, ouvert les oreilles du public. On a créé l'envie, c'est le principal. » (Jean-Claude Malgoire)
La Grande Écurie et la Chambre du Roy est à l'origine de plusieurs premières mondiales comme Rinaldo de Haendel et Alceste de Lully. Et à l'époque, le témoignage de Philippe Beaussant lorsqu'il découvre Alceste lors des répétitions à Saint-Maximin, répond à notre interrogation : « Cet après-midi-là, c'était bien d'exploration et d'invention qu'il s'agissait. Il y a des musiques belles et froides. La sienne a d'autant plus de chances d'être bonne qu'elle se fait dans une sorte d'effusion chaleureuse et proprement créatrice. Il garde toujours quelque chose de l'improvisateur qu'il est. De sorte que s'il nous laisse parfois en deçà de la délectation que savent distiller les musiciens froids, il y a toujours avec lui un moment où le flux de l'œuvre l'emporte, où la grâce passe, où le miracle se produit et où l'émotion agit : et dans ces moments-là, Malgoire entraîne sa musique et la fait voler bien au-dessus des musiques froides. » (Vous avez dit baroque ?, 1988)
L'une des grandes victoires de Jean-Claude Malgoire est de généraliser les interprétations de Mozart par des « baroqueux » avec instruments d'époque, alors que nombre de ses enregistrements sont désormais considérés comme des références : Alceste de Lully, Les Indes Galantes de Rameau, Idomeneo de Mozart, et bien sûr Montezuma de Vivaldi avec lequel le maître reçoit en 1993 une Victoire de la musique.
Pour la création contemporaine et la découverte de talents
Directeur artistique de l'Atelier Lyrique de Tourcoing depuis sa création en 1981, Jean-Claude Malgoire défend ardemment ce laboratoire de créations, cet « opéra d'art et d'essai » comme il le disait lui-même, qui a exploré depuis son existence, avec quatre siècles de musique : Orfeo de Monteverdi en 2006, Orlando de Haendel en 2008, Rinaldo en 2005 et Agrippina en 2005, Alceste de Lully en 2006, Les Indes Galantes de Rameau en 2006, Mozart avec La Clemenza di Tito en 2007, Don Giovanni en 2006, ou encore L'Opéra de quat'sous de Kurt Weill et Tribun de Mauricio Kagel… L'histoire lui a encore donné raison puisque les jeunes débutants d'alors sont désormais devenus des artistes de premier plan de la scène lyrique : Sabine Devieilhe, Stéphanie d'Oustrac, Philippe Jaroussky, Véronique Gens…
Fervent défenseur de la création contemporaine, c'est en qualité d'hautboïste que Jean-Claude Malgloire assure la création française de Sequenza VII de Luciano Berio en 1970, s'implique dans la musique contemporaine avec l'ensemble 2E2M, et enregistre avec la complicité de la claveciniste et pianiste Danièle Salzer et le harpiste Francis Pierre, un disque intitulé Le Hautbois moderne composé de pièces d'avant-garde contemporaine.
Aujourd'hui, recueillons-nous sur le départ d'un homme, d'un grand artiste, d'un musicien majeur de notre époque. Demain, comme hier, l'impact de son œuvre vibrera dans le cœur des nombreux musiciens et aux oreilles d'un public toujours aussi nombreux, pour que la vérité du son rayonne encore et toujours. Et toujours. Et toujours.