Joies et déceptions à l’écoute de Yefim Bronfman et des Wiener Philharmoniker
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Paris. Théâtre des Champs Élysées. 10-IV-2018. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano n°3 en do mineur op. 37. Béla Bartók (1881-1945) : Concerto pour piano n° 2 Sz 95. Igor Stravinsky (1882-1971) : Petrouchka (version révisée de 1947). Yefim Bronfman, piano. Wiener Philharmoniker, direction : Andrés Orozco-Estrada
Yefim Bronfman, figure incontournable du piano et grande star aux États-Unis, poursuit sa tournée européenne avec les Wiener Philharmoniker, avec une étape au Théâtre des Champs-Élysées. Beaucoup d'attentes pour ce concert, tantôt comblées, tantôt déçues.
Le programme, alléchant, proposait des œuvres aussi séduisantes pour l'auditeur que difficiles techniquement : le Concerto n° 3 de Beethoven, le Concerto n° 2 de Bartók, et la musique du ballet Petrouchka de Stravinsky. Ces deux dernières ont en commun non seulement leurs références à la musique populaire, mais aussi la puissance de leur langage rythmique. Pour servir ces morceaux de choix, le pianiste Yefim Bronfman, qui – hasard du calendrier – fêtait ses 60 ans ce jour-là, et les Wiener Philharmoniker, sous la direction d'Andrés Orozco-Estrada (récemment nommé à la tête de l'autre grande formation viennoise, les Wiener Symphoniker), suite à la défection de Zubin Mehta.
Le concerto de Beethoven est la grande déception de ce concert. La longue introduction orchestrale s'annonce bien, équilibrée sans être intensément dramatique, mais le soufflet retombe dès l'entrée du pianiste. La grande maîtrise du texte, le phrasé élégant, le toucher délicat et la posture sobre qui font toutes les qualités de ce pianiste ne suffisent pas et frôlent le contresens. Généralement considéré comme le premier concerto d'esprit spécifiquement beethovénien, cette œuvre ne manque pas de tension et de profondeur. Rien de tout cela dans l'interprétation de Yefim Bronfman, lénifiante, sans éclat ni relief (ses attaques trop discrètes, l'absence de réels forte, sa cadence sans vie…).
Heureusement le pianiste se montre plus investi et à son aise dans le Concerto n° 2 de Bartók, notamment pour l'avoir enregistré avec le Los Angeles Philharmonic dirigé par Esa-Pekka Salonen (Grammy Award, 1996). Il donne une version plus envoûtante et frénétique qu'éclatante, contrastée, en cela tout à fait opposée à une interprétation comme celle de Yuja Wang, par exemple. Côté piano, les arêtes rythmiques sont marquées brillamment, sans virulence, et les doubles et triples croches fusent avec la force tranquille généralement reconnue à Yefim Bronfman. Son dialogue avec les vents (parfois un peu distants, malheureusement) et les percussions, pupitres essentiels dans le premier mouvement (sans cordes) comme dans le troisième (avec notamment le rythme martelé des timbales) est réussi. Surtout, le second mouvement (Adagio – Presto – Più adagio) nous laisse suspendu au toucher délicat et feutré du soliste qui fait émerger tout un monde flottant, en demi-teinte, dans une interprétation probablement non moins mystérieuse et prenante que celle d'Evgueni Kissin l'année passée au TCE. Le pianiste quitte la scène après un bis pour lequel nous sommes partagés entre le plaisir d'entendre un savoureux Schumann et la gêne de l'entendre après la fougue rythmique de Bartók.
Après l'entracte, l'orchestre donne une vision colorée et vivante de Petrouchka, dans sa version de 1947 révisée par Stravinsky. Nous apprécions des transitions bien amenées entre les scènes par Orozco-Estrada (investissant l'ensemble de son corps dans la direction) et l'expressivité de tous les pupitres dans les nombreux solos (trompette, flûte, piano, basson, cor anglais…) qui évoquent toute la galerie de personnages du ballet (Petrouchka, le Maure, la ballerine, le charlatan, l'ours…) dont la pantomime est ainsi vivement suggérée. Cette deuxième partie de concert est manifestement une fête pour le Philharmonique de Vienne comme pour le public.
Crédits photographiques : Andrés Orozco-Estrada © Werner Kmetitsch ; Yefim Bronfman © Dario Acosta
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Paris. Théâtre des Champs Élysées. 10-IV-2018. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano n°3 en do mineur op. 37. Béla Bartók (1881-1945) : Concerto pour piano n° 2 Sz 95. Igor Stravinsky (1882-1971) : Petrouchka (version révisée de 1947). Yefim Bronfman, piano. Wiener Philharmoniker, direction : Andrés Orozco-Estrada
Je suis content de voir une critique mesurée de concert, qui évite le manichéisme ou l’angélisme du public. J’ai craint un instant que l’on n’oserait pas avancer des réserves face aux Wiener Philharmoniker… Je dois dire que c’est, comme toujours, un orchestre somptueux, d’une loyauté sans failles, et, si le concert a été mitigé, c’est qu’il faut aller chercher ailleurs.
Dans la première partie j’ai aussi ressenti que dans Beethoven le soliste n’avait pas atteint le niveau de l’orchestre et que dans Bartok c’était l’inverse, comme si Bronfman s’était ménagé avant de se libérer. Cela peut être compréhensible quand on s’attaque à 2 monuments de la musique concertante et que l’on veut montrer l’étendue de ses talents. Par contre, j’avoue ne pas avoir compris du tout l’attitude d’Orozco-Estrada qui a totalement éteint l’orchestre bartokien. Le premier mouvement était un concerto pour piano et timbales, il fallait vraiment tendre l’oreille pour percevoir vents et cuivres que le chef ne semblait pas vouloir faire plus entendre… Cette impression de mezzofortisme (dans le sens péjoratif de Chostakovitch) s’est un peu poursuivie dans le deuxième mouvement mais y collait assez bien — mis à part le presto central. Quant au final, surarticulé, il manquait de tension à mon goût, il n’y avait pas de grand geste rhapsodique pour mener tout cela.
Malheureusement, cette incompréhension de la direction s’est poursuivie pour moi dans la seconde partie du concert : toujours cette surarticulation et cet alanguissement. La semaine grasse était donc très grasse (et lourde), et il n’y avait pas cette alacrité caractéristique de l’oeuvre. La joie, il fallait la trouver dans les couleurs de l’orchestre et leur cohésion sans failles, qui fait comprendre pourquoi Bernstein arrivait à en tirer tant de choses malgré des tempi modérés. Sauf que Lenny avait une vision, une tension, une folie, qu’Orozco n’a pas, même s’il bouge volontiers le bassin… D’ailleurs cette même impression désagréable d’une démonstration du chef s’est retrouvée dans le bis. L’ouverture de Ruslan et Lyudmila était partie avec la folie nécessaire qu’il faut adopter, à l’instar des grands chefs russes. Sauf que l’alanguissement fut de retour dans la partie centrale…
Au final, j’ai trouvé l’attitude du chef bien caractéristique de sa direction : était-il nécessaire de faire tant de révérences et de courbettes au public et à l’orchestre avant de partir ; ne faudrait-il pas plus d’humilité, moins de surjeu, surtout face à cet orchestre ?
Merci de vos remarques, nous avons rectifié et précisé.
Aussi étrange que cela paraisse, l’erreur relevée en introduction (les « 3 mouvements de Petrouchka ») était en fait présente dans le programme de salle du Théâtre des Champs Elysées et sur son site internet auparavant.
Assez d’accord avec votre critique.
Magnifique Petrouchka et une ouverture de Russlan et Ludmilla bien enlevée, pour clôturer le spectacle.
Une association Wiener Philharmoniker- Rudolf Buchbinder aurait sans doute été plus porteuse pour le concerto de Beethoven.