À Aix, le Festival de Pâques trouve son rythme de croisière
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Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence. Festival de Pâques.
1-IV-2018. Samuel Barber (1910-1981) : Adagio pour cordes op. 11. Edward Elgar (1857-1934) : Concerto pour violoncelle et orchestre en mi majeur op. 84. Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n° 2 en ré majeur op. 73. Truls Mørk, violoncelle. Luzerner Sinfonieorchester, direction : James Gaffigan
2-IV-2018. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Le Nozze di Figaro, opera buffa en quatre actes sur un livret de Lorenzo da Ponte, d’après Beaumarchais. Version de concert. Carlos Álvarez, Comte Almaviva ; Olga Bezsmertna, Comtesse Almaviva ; Valentina Naforniţă, Susanna ; Jongmin Park, Figaro ; Margarita Gritskova, Cherubino ; Ulrike Helzel, Marcellina ; Pavel Kolgatin, Don Basilio ; Peter Jelosits, Don Curzio ; Dan Paul Dumitrescu, Don Bartolo ; Rafael Fingerlos, Antonio Bryony Dwyer, Barbarina. Chœur du Wiener Staatsoper. Orchestre du Wiener Staatsoper, direction : Alain Altinoglu
6-IV-2018. Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon en ré majeur op. 77. Symphonie n°1 en ut mineur op. 68 . Veronika Eberle, violon. Deutsche Kammerphilharmonie Bremen, direction : Paavo Järvi
8-IV-2018. Claude Debussy (1862–1918) : Prélude à l’après-midi d’un faune (version pour deux pianos) ; Sonate en ré mineur pour violoncelle et piano ; Sonate pour violon et piano. Robert Schumann (1810-1856) : Six études en forme de canon op. 56 (arrangement pour deux pianos de Claude Debussy). Felix Mendelssohn (1809-1847) : Trio pour piano, violon et violoncelle n° 1 en ré mineur op. 49. Renaud Capuçon, violon ; Kian Soltani, violoncelle ; Martha Argerich et Nicholas Angelich, piano
Pour sa 6e édition, le Festival de Pâques d'Aix-en-Provence a su attirer un public très nombreux, impatient de retrouver des affiches inédites et une programmation tout aussi intelligente qu'originale.
Notre première soirée débute sous le signe de l'émotion avec l'Adagio de Barber. Épidermique, mais pas seulement, le thème célèbre figure parmi les morceaux préférés du 7e Art. Rabâché pour certains, il n'en demeure pas moins d'une beauté saisissante : sa mélancolie immédiate, bouleversante de réalisme, est de celles qui font jaillir des larmes. La direction inspirée de James Gaffigan libère le trait pour mieux le laisser s'épanouir.
Le Concerto pour violoncelle d'Elgar est l'occasion d'entendre Truls Mørk. Son instrument magnifique, un Domenico Montagnana de 1723, se distingue par une palette très large de sonorités et de possibilités expressives. Les graves sont particulièrement sombres, ce qui convient parfaitement à cette œuvre dramatique. Sous l'archet du violoncelliste, le thème principal est aussi déchirant que magnifié. Son jeu flexible, mais aussi exigeant, est impressionnant de maîtrise (quels traits tout en legato dans le Finale !) en particulier dans la conduite du discours. L'orchestre brille par sa lecture pleine et contrastée ainsi que son sens aigu du dialogue. On retrouve une douceur vibrante dans l'Adagio qui est un écrin de finesse. Truls Mørk offre en bis un Bach d'une spiritualité lumineuse.
Après l'entracte, la Symphonie n° 2 de Brahms vibre dans toute sa splendeur. Brahms composa cette œuvre lors de vacances au bord des lacs alpins autrichiens durant l'été 1877. Installés aux premières loges, nous contemplons une nature omniprésente sous toutes ses formes, notamment dans l'Allegro initial. Un souffle parcourt les pupitres et sublime la mise en place complexe de la polyphonie. James Gaffigan ne ménage pas ses effets à travers sa direction engagée. La phalange suisse souligne avec élégance le phrasé et éclaire aussi certains détails. Expression enivrante dans l'Adagio, tandis que le Finale se pare d'une dimension héroïque et libère une énergie galvanisante. En bis, l'Allegretto grazioso de la Symphonie n° 8 de Dvořák et sa mélodie populaire prolongent cette soirée au rythme de ce mouvement de valse aussi entraînant que pénétrant.
Noces en concert
Pour Les Noces de Figaro en version de concert, le lendemain, les organisateurs ont réussi à faire venir l'orchestre du Wiener Staatsoper, dirigé par Alain Altinoglu. L'ouverture offre une interprétation très enlevée avec une rondeur lumineuse côté cordes. Attentif à chaque pupitre, Alain Altinoglu apporte un soutien constant à ses chanteurs. Avec humour, il n'hésite pas à accompagner du regard, prenant part à l'action quand cela s'y prête. La distribution vocale, très séduisante, est d'une belle homogénéité. Tous les chanteurs faisant partie de la troupe de l'Opéra de Vienne, l'alchimie qui les unit est palpable. Le Coréen Jongmin Park dans le rôle de Figaro séduit par sa présence scénique de premier plan et son timbre assuré aux couleurs chaudes et puissantes. Il forme un couple enthousiasmant avec Valentina Naforniţă dont l'aisance et la variété vocale en font une Susanna charmeuse et touchante. Le baryton Carlos Álvarez (Comte Almaviva) est également convaincant avec autorité et brio tout comme la Comtesse d'Olga Bezsmertna, dont l'amplitude tout en contrôle de son vibrato sait toucher le public. À noter aussi, la belle présence de Margarita Gritskova dans un Cherubino qui retient l'attention grâce à son jeu parfois facétieux et la pureté de son timbre avec des aigus limpides. Les autres rôles sont de grande qualité et viennent compléter cette réussite. La salle leur réserve une longue ovation debout.
Autre programmation alléchante en cette fin de deuxième semaine : la venue de Paavo Järvi accompagné du Deutsche Kammerphilharmonie Bremen. Au cours de cette soirée consacrée à Johannes Brahms, la violoniste allemande Veronika Eberle interprète le fameux concerto du Maître. L'introduction de l'Allegro atteint des sommets expressifs. Bois aériens, violons cristallins, gravité des cuivres… Du velours pour la jeune soliste, dont le jeu solide s'illustre avec passion et qui apparaît plus convaincante dans le registre dramatique que dans les nuances douces. Avec un jeu plein souvent viril et une façon toute particulière d'attaquer la première note de certains phrasés, la violoniste se livre totalement, sans retenue. Si ses aigus sont magnifiques, la véhémence du discours fait la différence dans les mises en tension et les montées en puissance. La direction magistrale de Paavo Järvi déploie une pâte orchestrale équilibrée. Il offre une vision sur la grande ligne mais aussi un soin fluide du détail. Le dialogue qui s'instaure ne manque pas de contrastes ni de profondeur. Le Finale est à ce titre brillant, sans être pour autant clinquant. Sa tonalité tzigane et jubilatoire épouse parfaitement la technique incisive d'Eberle, longuement applaudie par les festivaliers.
La Symphonie n° 1 de Brahms constitue le deuxième morceau de choix de ce concert. Par bien des aspects, elle s'apparente à la Quatrième de Schumann, mais aussi à la matière beethovénienne notamment avec la tonalité d'ut mineur, de connotation tragique, ou avec l'utilisation de cellules rythmiques obsédantes sans parler du thème dans le Finale qui fait penser à l'Ode à la joie. Pourtant, l'essence même de cette œuvre est bien brahmsienne, notamment du point de vue de l'originalité du langage harmonique, sans oublier les réminiscences picturales des contrées nordiques, avec la nature qui n'est jamais loin.
Le Deutsche Kammerphilharmonie respire cette musique et gomme toute lourdeur. On est saisi d'emblée par l'unité et la finesse de la construction qui ne force aucun tempo. Chaque plan est d'une clarté exemplaire. Une seule voix s'élève des tutti avec une puissance vibrante sans tomber dans l'emphase. Chaque pupitre brille par la beauté de ses solos, en particulier la remarquable section des bois. Le Un poco Allegretto e grazioso met en lumière avec fraîcheur la douceur d'un tableau champêtre avant ce Finale monumental marqué par une progression magistrale. Les musiciens offrent en bis deux Danses Hongroises de Brahms comme pour prolonger l'invitation au voyage.
Carte blanche
Le concert de clôture du Festival réserve depuis les débuts de la manifestation une « carte blanche » à son directeur musical, Renaud Capuçon. Le violoniste y invite ses amis musiciens, complices de longue date. Ce concert-là n'échappe pas à la règle, notamment avec la venue très attendue de Martha Argerich. Daniel Baremboim, souffrant, est remplacé par Nicholas Angelich qui s'avère être un partenaire de choix dans le Prélude à l'après-midi d'un faune dans sa version pour deux pianos. Un souffle poétique s'élève et libère des effluves idylliques et colorées. Le pianiste trouve des sonorités cristallines tandis qu'Argerich s'immisce dans cette rêverie éveillée avec une délicatesse frémissante et suggestive pour mieux s'attarder sur ce que l'on devine.
Le langage fantasque de la Sonate pour violoncelle et piano de Debussy nous plonge ensuite dans un univers étonnant, teinté d'humour sarcastique dans des atmosphères de « Pierrot lunaire » et de fête espagnole. Le violoncelle de Kian Soltani séduit avec ses sonorités profondes. Toutefois, de là où nous étions, l'acoustique sèche a favorisé le piano au détriment du violoncelliste, malgré son engagement réel. Angelich apporte, quant à lui, une dimension lumineuse, loin d'être un simple accompagnateur. Dans la Sonate pour violon et piano, toujours de Debussy, Renaud Capuçon prend place aux côtés du pianiste. Le jeu délié du violoniste est au service de la dramaturgie et de l'écoute de son partenaire. Sa sensibilité, sa capacité à trouver le ton juste sur l'instant s'expriment avec bonheur en privilégiant une approche simple et organique. Le volet dramatique de l'œuvre est particulièrement réussi.
Après l'entracte, nous retrouvons Martha Argerich dans une transcription de Schumann par Debussy. Proche de l'esprit des Romances sans Paroles, ce cycle d'Études, rarissime sur scène, est caractéristique du Schumann intimiste. Le cantabile du piano et l'évidence mélodique des pièces centrales provoquent une émotion vive. Dernière œuvre de la soirée, le Trio n° 1 de Mendelssohn, pièce romantique au caractère jubilatoire, réunit les musiciens dans une interprétation d'une fraîcheur juvénile. Au-delà de cette vélocité digitale de haute voltige, de sa spontanéité fougueuse, l'approche authentique d'Argerich nous fait redécouvrir la musique autrement. Ses deux complices parviennent à trouver leur place à ses côtés pour offrir un très beau moment de partage. Le public obtient deux bis, dont le troisième mouvement bissé, puis une incursion à deux pianos dans Debussy.
Crédits photographiques : © Caroline Doutre
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Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence. Festival de Pâques.
1-IV-2018. Samuel Barber (1910-1981) : Adagio pour cordes op. 11. Edward Elgar (1857-1934) : Concerto pour violoncelle et orchestre en mi majeur op. 84. Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n° 2 en ré majeur op. 73. Truls Mørk, violoncelle. Luzerner Sinfonieorchester, direction : James Gaffigan
2-IV-2018. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Le Nozze di Figaro, opera buffa en quatre actes sur un livret de Lorenzo da Ponte, d’après Beaumarchais. Version de concert. Carlos Álvarez, Comte Almaviva ; Olga Bezsmertna, Comtesse Almaviva ; Valentina Naforniţă, Susanna ; Jongmin Park, Figaro ; Margarita Gritskova, Cherubino ; Ulrike Helzel, Marcellina ; Pavel Kolgatin, Don Basilio ; Peter Jelosits, Don Curzio ; Dan Paul Dumitrescu, Don Bartolo ; Rafael Fingerlos, Antonio Bryony Dwyer, Barbarina. Chœur du Wiener Staatsoper. Orchestre du Wiener Staatsoper, direction : Alain Altinoglu
6-IV-2018. Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon en ré majeur op. 77. Symphonie n°1 en ut mineur op. 68 . Veronika Eberle, violon. Deutsche Kammerphilharmonie Bremen, direction : Paavo Järvi
8-IV-2018. Claude Debussy (1862–1918) : Prélude à l’après-midi d’un faune (version pour deux pianos) ; Sonate en ré mineur pour violoncelle et piano ; Sonate pour violon et piano. Robert Schumann (1810-1856) : Six études en forme de canon op. 56 (arrangement pour deux pianos de Claude Debussy). Felix Mendelssohn (1809-1847) : Trio pour piano, violon et violoncelle n° 1 en ré mineur op. 49. Renaud Capuçon, violon ; Kian Soltani, violoncelle ; Martha Argerich et Nicholas Angelich, piano