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Stuttgart. Opernhaus. 30-III-2018. Richard Wagner (1813-1883) : Parsifal, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Calixto Bieito. Décors : Susanne Gschwender ; costumes : Mercé Paloma. Avec : Markus Marquardt, Amfortas ; Matthias Hölle, Titurel ; Attila Jun, Gurnemanz ; Daniel Kirch, Parsifal ; Tobias Schabel, Klingsor ; Christiane Libor, Kundry… Chœur de l’Opéra de Stuttgart (préparé par Christoph Heil et Johannes Knecht) ; Orchestre national de Stuttgart ; direction : Sylvain Cambreling
La soirée ne laissera pas de grands souvenirs musicaux, mais le complexe travail de Bieito vaut le voyage.
Pâques à Stuttgart : la confiserie y a sa place (Don Pasquale), mais les choses sérieuses aussi. L'Opéra de Stuttgart reprend cette année deux de ses productions phares, de celles qui ont marqué l'identité d'une maison connue pour son audace et son ambition artistique et intellectuelle (ce n'est pas un gros mot) : la bouleversante soirée Bach conçue il y a dix-huit ans par Herbert Wernicke, que nous avions critiquée lors de sa dernière reprise et qui reste en 2018 toujours aussi enthousiasmante, et le sombre Parsifal créé en 2010 par Calixto Bieito.
Disons-le tout de suite : on a connu des Parsifal musicalement plus réussis, ne serait-ce que, il y a quelques semaines à peine, à l'Opéra de Zurich ; la qualité d'ensemble est certes là, mais ce répertoire rend exigeant. Sylvain Cambreling, comme la plupart des chefs d'aujourd'hui, dirige un Parsifal allant, où le premier acte prend environ une heure et quarante minutes, avec un sens du théâtre et une qualité sonore honorables – mais, à vrai dire, pas plus que cela.
Chez les chanteurs, Attila Jun en Gurnemanz est le point noir de la soirée : Calixto Bieito ne rend pas sympathique son personnage qu'il rend autoritaire et brutal, mais cela ne justifie pas l'absence de nuances dans la voix et un travail aussi sommaire sur le texte. Les autres ont eux aussi fort à faire avec ce que leur demande le spectacle, et aucun ne peut faire plus que d'assurer son rôle, correctement, avec soin, mais sans cette flamme qui devrait rendre la soirée mémorable, qu'il s'agisse de Daniel Kirch (Parsifal), de Christiane Libor (Kundry), de Markus Marquardt (Amfortas) ou même de la longue silhouette de Tobias Schabel : il fait de Klingsor un portrait fascinant par son jeu, mais la voix reste sans personnalité.
Il y a une exception à cette anémie vocale : la mise en scène de Bieito, contrairement à tant d'autres, n'oublie pas le personnage de Titurel, dont elle montre la force charismatique – avec tout ce que ce charisme, ce pouvoir exercé sur la communauté du Gral peuvent avoir d'inquiétant. C'est le vétéran Matthias Hölle, auréolé de vingt étés passés à Bayreuth à partir du début des années 80 et bien connu du public de Stuttgart, qui l'incarne, et il offre une leçon de chant wagnérien. Avec sa grande taille, on ne peut s'empêcher de voir en lui un double vieilli du Klingsor de Tobias Schabel : ce n'est peut-être pas voulu, mais ce n'est pas mal venu.
Le sauveur et la communauté
Cette communauté du Gral, Bieito ne la peint pas sous des traits sympathiques, mais elle a des excuses : dans ce cadre post-apocalyptique que Bieito a emprunté, paraît-il, au best-seller La route de Cormac McCarthy, les rites sont mis en scène au-delà de leur contenu religieux, dans tout ce qu'ils peuvent exercer de fascination morbide, d'emprise mentale, d'autorité verticale : on comprend bien, ici, la répulsion d'Amfortas à l'accomplir une fois encore. Il y a chez les membres de la communauté des aspirations spirituelles, une inquiétude commune, mais la solution de ces angoisses n'est pas dans une croyance commune : chacun, à la fin de l'acte I, reçoit son propre Gral, un peu dérisoire, dont on pense bien qu'il n'est qu'un palliatif.
Mais le monde de Klingsor, même s'il apparaît d'abord comme un diable pyromane et joueur, n'est pas même l'illusion d'une échappatoire : dans la scène des Filles-Fleurs surtout, on ne voit ici que l'envers du monde enchanté des fantasmes masculins (celui que promet Brünnhilde aux futurs pensionnaires du Walhalla, celui des vierges du paradis musulman) : emballées dans une matière plastique, automutilatrices, hagardes, elles reçoivent dans ce spectacle une existence réelle, et réellement émouvante, de victimes et non de simples instruments maléfiques.
Parsifal, à la fin du spectacle, est revêtu des oripeaux de la pureté sacerdotale qui le transfigure tout autant qu'elle est un poids pour lui, mais Kundry apparaît enceinte au troisième acte – tout comme la mère de Parsifal, qu'elle avait rencontré dans le prélude de l'acte I : l'avènement de Parsifal n'est pas une nouvelle ère, et la violence règne toujours. Titurel, les souvenirs des temps anciens, est tout bonnement assassiné, parce que son aura devient une concurrence pour le nouveau pouvoir. Il n'y a pas de rémission des péchés, il n'y a pas de nouveau départ : Bieito signe un spectacle d'une force peu commune, soutenu par sa maîtrise toujours époustouflante de tous les paramètres techniques du spectacle (magnifiques lumières, fluidité des transitions), et le public de l'Opéra de Stuttgart montre une fois de plus qu'il sait s'approprier les spectacles les plus complexes.
Crédits photographiques : © Martin Sigmund
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Stuttgart. Opernhaus. 30-III-2018. Richard Wagner (1813-1883) : Parsifal, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Calixto Bieito. Décors : Susanne Gschwender ; costumes : Mercé Paloma. Avec : Markus Marquardt, Amfortas ; Matthias Hölle, Titurel ; Attila Jun, Gurnemanz ; Daniel Kirch, Parsifal ; Tobias Schabel, Klingsor ; Christiane Libor, Kundry… Chœur de l’Opéra de Stuttgart (préparé par Christoph Heil et Johannes Knecht) ; Orchestre national de Stuttgart ; direction : Sylvain Cambreling
Cela semble donc être une « laïcisation » d’un « Mystère » religieux … soit une TRAHISON des intentions de Wagner … à l’origine de la rupture avec Nietzsche, l’ENNEMI du christianisme …
Bonjour,
Non, je ne dirais pas qu’il s’agit d’une laïcisation : Bieito affronte, au contraire, nettement le problème religieux, avec un scepticisme que le syncrétisme wagnérien, très éloigné de l’épopée médiévale et plus largement d’une quelconque doctrine chrétienne, peut susciter assez légitimement, me semble-t-il. En outre, Bieito n’abolit pas l’oeuvre de Wagner : on peut attendre d’un spectateur d’opéra qu’il soit capable de laisser coexister deux niveaux de lecture…
DA