La dimension humaine de la Passion selon Saint Matthieu au TCE
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 24-III-2018. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Passion selon Saint Matthieu BWV 244. Avec : Louise Kemény, soprano ; Claudia Huckle, contralto ; Mark Padmore, ténor (l’Évangéliste) ; Roderick Williams, baryton (Le Christ) ; Jessica Cale, soprano ; Eleanor Minney, mezzo-soprano ; Hugo Hymas, ténor ; Matthew Brook, baryton-basse. Choir & Orchestra of the Age of Enlightenment, direction : Mark Padmore
L'édifice monumental de la Passion selon Saint Matthieu devient un drame à dimension humaine grâce à l'approche de Mark Padmore, brillant Évangéliste à la tête du Choir & Orchestra of the Age of Enlightenment.
C'est presque un rituel que cette Passion selon Saint Matthieu de Bach au Théâtre des Champs-Élysées à cette époque de l'année : après le Chœur et l'Orchestre du Collegium Vocale Gent dirigés par Philippe Herreweghe l'année dernière, et alors qu'elle est annoncée en avril 2019 avec l'Orchestre National de France sous la direction de Václav Luks, on retrouve ce soir le Choir & Orchestra of the Age of Enlightenment qui avaient présenté l'œuvre dans cette même salle en 2015, déjà sous la direction de Mark Padmore, avant la Passion selon Saint Jean dirigée par Stephen Layton en 2016, naturellement toujours en période pascale.
William Christie l'affirme : « le chef d'orchestre n'est pas prévu en musique baroque. » Mais face à cet ouvrage spectaculaire de la Passion selon Saint Matthieu écrit pour un double chœur, deux ensembles solistes, deux orchestres et deux orgues, le choix de Mark Padmore est périlleux : laisser donner l'impulsion aux deux premiers violons, ou bien se limiter à quelques indications corporelles très discrètes pour les départs des chorals alors qu'il est face au public comme les autres solistes. Il est vrai aussi que le parti-pris de cette interprétation n'a pas été d'aborder l'œuvre comme un édifice monumental. L'effectif de seize chanteurs au total (solistes et choristes) et de trente musiciens en est la conséquence, faisant notamment regretter l'absence du chœur d'enfants et un certain manque d'exaltation lors de l'intervention de la foule comme pour Sind Blitze, sind Donner par exemple. Le dialogue entre Sion (Jérusalem), théâtre du sacrifice de Jésus, et le peuple des croyants se matérialise tout de même, sans rutilance.
Malgré cela, la soirée ne manque pas de solennité (le silence – religieux ? – de la salle durant ces 2h40 de musique en atteste), avec un soin évident apporté à l'articulation orchestrale et à la mise en valeur du moindre détail de la partition, notamment les figuralismes. L'Orchestra of the Age of Enlightenment laisse Bach parler sans contrainte, offrant des instants dramatiques du plus bel effet, alors que le Chœur déploie des chorals de belle qualité, l'intensité du O Haupt voll Blut und Wunden se révélant parmi l'une des plus marquantes.
À côté des récitatifs tirés des chapitres 26 et 27 de l'Évangile de Matthieu, Bach a utilisé le texte d'une Passion écrite par Christian Friedrich Henrici (1700-1764). Mais le Cantor de Leipzig fut seul à choisir le plan, l'ordonnancement et la répartition des moments musicaux au fil du récit évangélique. La distribution vocale de ce soir nous donne l'occasion d'appréhender au mieux ce travail grâce à une mise en lumière de la dimension humaine de ce drame en privilégiant l'expression rhétorique du texte, sans oublier une composante fondamentale de cette partition : la beauté du chant. La netteté de la déclamation des voix, que ce soit des solistes ou du chœur, est l'une des grandes forces de la soirée, sans compter l'Évangéliste de Mark Padmore qui a lui seul justifie le déplacement. Le ténor, expérimenté dans ce rôle, est incontestablement aujourd'hui l'un des Évangélistes les plus marquants de la scène internationale. Incarnation totale, remarquable performance vocale, son empathie viscérale est bien la colonne vertébrale du spectacle. Pour profiter sans limite de cette prouesse totalement habitée, rien de mieux que de s'approprier la version dirigée par Sir Simon Rattle en DVD où Mark Padmore est bien l'élément phare. À ses côtés, les autres solistes de haut niveau ne déméritent aucunement, notamment l'incandescent baryton-basse Matthew Brook dans Gebt mir meinen Jesum wieder, et Eleanor Minney qui livre des phrasés d'une belle sensualité. En toute logique, dans cette configuration, ce sont les airs les plus épurés qui sont les instants musicaux les plus réjouissants : le dialogue entre la mezzo et le violon solo dans Erbarme dich, et l'un des moments les plus magiques de cet ouvrage, Aus Liebe will mein Heiland sterben, avec l'accompagnement du traverso solo seulement soutenu par les deux hautbois da caccia.
Après un silence d'or, le public du Théâtre des Champs-Élysées attend seulement quelques secondes pour se lever et applaudir à tout rompre. Les choix de Mark Padmore à la tête du Choir & Orchestra of the Age of Enlightenment sont effectivement intéressants, portés ce soir par des interprètes de haut vol.
Crédits photographiques : Mark Padmore © Marco Borggreve
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 24-III-2018. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Passion selon Saint Matthieu BWV 244. Avec : Louise Kemény, soprano ; Claudia Huckle, contralto ; Mark Padmore, ténor (l’Évangéliste) ; Roderick Williams, baryton (Le Christ) ; Jessica Cale, soprano ; Eleanor Minney, mezzo-soprano ; Hugo Hymas, ténor ; Matthew Brook, baryton-basse. Choir & Orchestra of the Age of Enlightenment, direction : Mark Padmore