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Berlin. Deutsche Oper. 17-III-2018. Giacomo Puccini (1858-1924) : Turandot, drame lyrique en trois actes et cinq scènes sur un livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni d’après la pièce de Carlo Gozzi, complété par la version originale du Finale de Franco Alfano. Mise en scène : Lorenzo Fioroni. Décors & Vidéos : Paul Zoller. Costumes : Khatarina Gault. Dramaturgie : Claudia Gotta. Avec : Ricarda Merbeth, Turandot ; Stefano La Colla, Calaf ; Albert Pesendorfer, Timur ; Cristina Pasaroiu, Liù ; Dong-Hwan Lee, Ping ; Ya-Chung Huang, Pang ; Attilio Glaser, Pong ; Peter Maus, Altoum ; Byng Gil Kim, Mandarin ; Alexandra Hutton, Sandra Hamaoui, sopranos. Chor und Extra-Chor der Deutschen Oper Berlin (chef de chœur : Jeremy Bines). Kinderchor der Deutschen Oper Berlin (chef de chœur : Christian Lindhorst). Orchester der Deutschen Oper Berlin, direction : Alexander Vedernikov
En reprenant une énième fois la production de Turandot de Lorenzo Fioroni créée en 2008, le Deutsche Oper montre à nouveau sa capacité à traiter avec la plus belle intelligence le répertoire lyrique. Offrir le rôle-titre à Ricarda Merbeth permet d'entendre une voix moins dure qu'avec les habituées du rôle, entourée d'une distribution de grande qualité et d'un chœur propulsé parmi les meilleurs grâce à l'arrivée de Jeremy Bines cette saison, quand en fosse Alexander Vedernikov fait ressortir les merveilles de la partition d'orchestre.
Depuis 2008, la production de Lorenzo Fioroni de Turandot aura permis d'entendre d'abord Lise Lindström, Catherine Foster, Erika Sunnegårdh, et maintenant Ricarda Merbeth. Cette dernière n'est pas aujourd'hui ce que l'on attend fréquemment du rôle, c'est-à-dire une soprano dramatique également Elektra, dans la continuité de Birgit Nilsson. Lorsqu'elle touche à cet opéra de Richard Strauss, Merbeth n'est que Chrysothémis, mais cette tessiture offre justement au dernier grand rôle de Puccini plus de lyrisme, tout en déployant une exceptionnelle puissance jusqu'au dernier duo. La scène des énigmes montre les progrès de la chanteuse dans le répertoire italien, remarquable ici comme à son dernier air, superbe Del primo pianto, auquel ne manque qu'un surplus de charisme scénique.
Psychologique et centré sur la violence autant que sur la folie humaine, Fioroni ne place pas l'action dans un lieu repérable. Il met la masse du peuple face au public sur des chaises numérotées, et laisse en hauteur la nomenclature dirigeante, sauf lorsque Turandot doit se prêter à poser des énigmes comme pour un jeu télévisé où le perdant laisse la vie. Les ministres, affublés alors d'une robe de mariée ou d'un amas d'os comme en portaient les sorciers des tribus cannibales, cherchent à ramener le conte moderne vers les tourments des ancêtres, toujours latents dans nos sociétés actuelles.
Le rôle de Calaf revient à Stefano La Colla, spécialiste de Puccini qui avait su remplacer et surpasser Antonenko à Milan avec Riccardo Chailly en 2015, mais a aussi porté le rôle à Naples, Chicago, Rome ou Munich, ainsi que déjà sur cette scène trois ans plus tôt. La voix s'est quelque peu durcie ces dernières années, parce que ce rôle sans y paraître est l'un des plus lourds du répertoire, bien que le ténor y montre toujours une superbe puissance. Il réussit un magnifique Nessum Dorma autant qu'un touchant Non piangere Liù. Dans le personnage d'amour de Liù, qui donnera par sa mort le goût du bonheur à Turandot, Cristina Pasaroiu ne parvient pas à marquer autant que sur cette même scène l'an passé en Magda dans La Rondine. Elle développe toutefois une femme touchante, vibrante même dans la première partie de l'air juste avant sa mort.
Albert Pesendorfer semble bien remis de dernières années difficiles et livre un Timur sensible, le souffle parfois court, donnant de la crédibilité à ce vieux protagoniste, tandis qu'un autre chanteur statutaire, Peter Maus, délivre depuis la création et dans toutes les reprises de la production une superbe froideur en Empereur Altoum. Byng Gil Kim tient un Mandarin de qualité dès sa première intervention au début de l'acte I, quand des trois ministres, Dong-Hwan Lee en Ping et Ya-Chung Huang en Pang convainquent, mais laissent avant tout ressortir le Pong d'Attilio Glaser par sa présence scénique autant que par la clarté de sa voix et sa parfaite prononciation de l'italien.
Le Chor der Deutschen Oper a toujours fait partie des meilleurs et le prouvait encore cette dernière décennie sous la direction de William Spaulding, surtout dans le répertoire germanique. Mais depuis cette saison est arrivé de Glyndebourne Jeremy Bines, et au risque d'exagérer, la prestation aussi exceptionnelle dans Turandot que celle incroyable d'Aida en octobre nous fait maintenant penser qu'il a propulsé le chœur parmi les cinq meilleurs du monde, aux côtés des ensembles du Royal Opera House et du Metropolitan Opera. Chaque apparition montre une ferveur autant qu'une italianité que l'on ne connaissait pas à cette formation souvent trop massive. La délicatesse du Nessum Dorma ou la violence contenue pour faire parler Liù à l'acte III exaltent tout particulièrement ces parties.
À cela s'ajoute la direction superbe de finesse d'Alexander Vedernikov, chef trop peu invité qui avait déjà pris en 2015 dans cette fosse la place qu'occupait auparavant pour cette œuvre le regretté Jesús López Cobos. Très différemment de cet autre très grand chef, trop peu considéré face à des noms mieux markétés, Vedernikov applique à cette partition une modernité autant qu'une légèreté qui lui rendent grâce, avec un climax dans le traitement de l'orchestre lors de la scène des énigmes. Le chef magnifie également le Finale de Franco Alfano, dans la version non coupée par Toscanini. Avec environ trois minutes de plus que celle habituellement validée, ce choix présente nettement plus de détails, en plus de montrer de difficiles harmoniques qui revalorisent le travail effectué par le compositeur après le décès de Puccini, et semble être actuellement la meilleure version possible pour achever l'opéra, devant la réorchestration de Berio ou la clôture de l'ouvrage juste après la mort de Liù.
Crédit photographique : © Bettina Stöß
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Berlin. Deutsche Oper. 17-III-2018. Giacomo Puccini (1858-1924) : Turandot, drame lyrique en trois actes et cinq scènes sur un livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni d’après la pièce de Carlo Gozzi, complété par la version originale du Finale de Franco Alfano. Mise en scène : Lorenzo Fioroni. Décors & Vidéos : Paul Zoller. Costumes : Khatarina Gault. Dramaturgie : Claudia Gotta. Avec : Ricarda Merbeth, Turandot ; Stefano La Colla, Calaf ; Albert Pesendorfer, Timur ; Cristina Pasaroiu, Liù ; Dong-Hwan Lee, Ping ; Ya-Chung Huang, Pang ; Attilio Glaser, Pong ; Peter Maus, Altoum ; Byng Gil Kim, Mandarin ; Alexandra Hutton, Sandra Hamaoui, sopranos. Chor und Extra-Chor der Deutschen Oper Berlin (chef de chœur : Jeremy Bines). Kinderchor der Deutschen Oper Berlin (chef de chœur : Christian Lindhorst). Orchester der Deutschen Oper Berlin, direction : Alexander Vedernikov
Vous dites à propos de Ricarda Merbeth : « Cette dernière n’est pas aujourd’hui ce que l’on attend fréquemment du rôle, c’est-à-dire une soprano dramatique également Elektra »
Ricarda Merbeth sera Elektra à la Scala de Milan en novembre prochain
Ricarda Merbeth sera aussi Leonore (dans Fidelio) à Vienne et Tokyo dans les semaines à venir.
Ricarda Merbeth a été en 2017 Isolde (Amsterdam, Turin), La Maréchale (Tokyo), Vénus ET Elisabeth (Berlin), Leonore (encore, Londres) et Brünnhilde (Tokyo et Berlin).
Vous êtes sur qu’elle n’est pas une soprano dramatique ?
Bonjour Madame ou Monsieur,
Merci pour votre commentaire, dû sans
doute à une incompréhension de la phrase que vous soulignez, ou des
nuances entre les rôles que vous évoquez.
En effet Ricarda
Merbeth ‘va prochainement’ chanter Elektra, mais elle ne chante pas
encore ce rôle, et cela change tout. Vous citez Isolde, rôle plus souple
qu’Elektra, et oubliez justement le lieu de sa prise de rôle, où
j’étais : le Staatsoper Hamburg, où j’avais d’ailleurs échangé avec Kent
Nagano sur le choix de Merbeth (justement pour la souplesse de la
voix), et sur sa formation au rôle par l’un des grand maître de
Bayreuth, Richard Trimborn, idée de génie pour transférer la tradition
quand on sait que cet homme est décédé depuis, en octobre dernier.
J’organisais d’ailleurs une interview de lui pour cette saison…
Vous
citez La Maréchale, mais de Strauss les sopranos qui touchent à Elektra
chantent la Teinturière, plus l’Impératrice, et lorsque Stemme a
abandonné la Maréchale quelques années plus tôt à Zurich, alors
seulement a-t-elle pris le temps de se concentrer à Salomé pour dériver
seulement ensuite vers Elektra. Par rapport à sa prise de rôle de
Turandot à Stockholm et à la reprise à La Scala, elle a maintenant du
mal (annulation d’une partie à Munich) à tenir ce rôle puccinnien, et
n’y reviendra peut-être plus maintenant qu’elle s’oriente vers Kundry et
d’autres rôles de cette lourdeur.
Enfin vous évoquez Brünnhilde
(je passe Léonore, qui nous obligerait alors à parler des héroïnes
verdiennes), mais pour y avoir entendu Merbeth à Berlin, peu de temps
après l’avoir interviewée sur le sujet, elle ne chante bien évidemment
de ce rôle que la plus aigüe : celle de Siegfried. Dans Götterdämmerung,
elle était alors Gutrune, Brünnhilde revenant à une certaine
Herlitzius, qui, il me semble, aborde également le rôle d’Elektra…
quant à la production du Tannhäuser de Berlin, je l’ai vue avec Merbeth
mais critiquée avec Heidi Melton, et évidemment dans ce cas du même
personnage dans deux rôles très différents, il faut trouver un juste
milieu, qui penche plus vers Elisabeth.
J’espère avoir répondu à
vos doutes! Et je n’ai jamais dit que Merbeth n’étais pas une soprano
dramatique, j’ai écrit qu’elle n’est pas « une soprano dramatique
également Elektra ».