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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 18-III-2018. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Alcina, dramma per musica en trois actes sur un livret anonyme d’après l’Alcina delusa da Ruggiero (Alcine déjouée par Roger, 1725) d’Antonio Marchi, et / ou d’après L’isola di Alcina (L’Île d’Alcine, 1728) d’Antonio Fanzaglia, inspirés d’un épisode de l’Orlando furioso (Roland furieux, 1516), poème épique de l’Arioste. Mise en scène : Christof Loy. Chorégraphie : Thomas Wilhelm. Scénographie : Johannes Leiacker. Costumes : Ursula Renzenbrink. Lumières : Bernd Purkrabek. Avec : Cecilia Bartoli, Alcina ; Philippe Jaroussky, Ruggiero ; Julie Fuchs, Morgana ; Varduhi Abrahamyan, Bradamante ; Christoph Strehl, Oronte ; Krzysztof Bączyk, Melisso ; Barbara Goodman, Cupido. Orchestre et Chœur du Concert d’Astrée, direction : Emmanuelle Haïm
La troisième représentation d'Alcina de Haendel donnée dimanche dernier au Théâtre des Champs-Élysées doit être considérée comme une réussite, d'autant plus que la soprano Julie Fuchs, qui pour les deux premières représentations était présente sur les planches mais muette en raison de troubles de santé, a pu enfin chanter.
Donnée pour la première fois à l'Opéra de Zurich en 2014, cette production propose une mise en scène originale (trois actes, trois décors, trois univers distincts), renvoyant à plusieurs époques et à des styles différents. C'est par l'intermédiaire du procédé de la mise en abyme que Christof Loy transforme l'île ensorcelée d'Alcina en planches d'un théâtre subissant des transformations. Le premier acte nous emmène dans un monde de splendeurs baroques, avec notamment une structure verticale de la scène – permettant de représenter l'action sur deux niveaux et de passer entre les deux à l'aide d'une machinerie évoquant l'âge d'or des pièces à machines – avec des toiles peintes, des parties dansées décoratives sur fond de ciel couvert de nuages fuligineux et ondulants, des perruques et des costumes somptueux, rappelant le luxe des fêtes et des divertissements du Royal Opera House à Londres, où cette œuvre fut créée en avril 1735.
Au deuxième acte, le charme de la sorcière est rompu, et on est transporté dans trois loges tapissées d'un papier peint crasseux où Alcina et Morgana font face à leurs figures vieillissantes. Cette fois-ci, la scène a une structure horizontale, ce qui permet au metteur en scène de présenter l'action sur trois « niveaux », et surtout de faire agir plusieurs personnages en même temps, y compris ceux qui ne chantent pas. Enfin, pour le troisième acte, on se retrouve dans les coulisses. Dans une arrière-scène aux allures d'endroit abandonné, des restes de portiques et de colonnes antiques sont remisés telles de vieilles décorations théâtrales. C'est dans cet environnement que l'œuvre s'ouvre sur l'humour et la danse avant de se terminer avec une sorte de deus ex machina, intervention surnaturelle en guise d'ultime dénouement.
Une chose qui peut paraître superflue mais qui enrichit cette mise en scène telle la cerise sur le gâteau, est la présence d'un Cupidon muet aux traits de vieille femme qui, en changeant de tenue (contrastes du blanc et du noir), côtoie les personnages tout au long du spectacle, en apportant aussi bien une bonne dose d'humour que, à d'autres moments, une atmosphère de deuil. On dirait que ce Cupidon symbolise l'ambiance ambiguë qui règne dans cette œuvre et qui marque l'évolution psychologique des personnages (surtout celle que subissent Alcina, Ruggiero et Morgana), en oscillant entre le tragique et le comique.
La plus grande réussite de la soirée tient à la qualité de la distribution. Pour un opéra où les femmes mènent le bal, on citera en premier lieu Cecilia Bartoli, l'interprète du rôle-titre. On admire chez elle ce soir, aussi bien la beauté sensible des airs, que la subtilité des récitatifs dont s'accompagne la métamorphose du personnage qu'elle incarne, d'une femme puissante – qui règne en maîtresse absolue sur une île enchantée, séduisant les hommes avant de les transformer, à sa guise, en animal, plante ou rocher – en une amante non seulement foudroyée par la trahison, mais aussi désarmée et impuissante à jeter le moindre sort. Vivant un amour passionnel avec Ruggiero, celui de ses bien-aimés qui est parvenu à conserver une forme humaine, elle est, au début de la pièce, particulièrement envoûtante. Mise en valeur grâce à sa robe somptueuse et des gestes et mimiques rendant justice à son pouvoir absolu, l'Alcina de Cecilia Bartoli plaît autant par l'intelligence, l'intense engagement et la profonde implication dramatique que par la spontanéité expressive d'un art du chant admirable. Bien que, techniquement, elle ne soit plus au sommet de ses capacités, elle est toujours émouvante de sensualité, tout en explorant une grande palette de nuances et d'émotions, rendues plus fortes encore dans les da capo qui viennent intensifier ses prestations en donnant le frisson. Parfaitement audible dans tous les registres et toutes les nuances – même quand elle fait sortir de sa gorge un doux pianissimo –, elle donne à la magicienne une bonne dose de séduction, de même qu'une poignante cruauté, ce contraste étant surtout perceptible lors de l'exécution de l'air Ah, mio cor !, interprété avec une grande finesse, et de l'Ombre pallide, plus expressif et imprégné de bravoure, de même qu'affecté d'un vibrato serré qui nuit un peu à l'épanouissement de la voix.
Pour les autres personnages féminins, on n'oubliera pas de citer Julie Fuchs qui, en Morgana, aurait probablement recueilli plus d'applaudissements si un coup de froid ne l'avait contrainte à retenir un peu l'émission de sa voix, mais qui se distingue, comme actrice, par une présence scénique incroyable, entrant dans le rôle avec engagement, conviction et crédibilité. Son soprano au timbre cristallin fait penser au chant du rossignol, de teintes claires et d'une agilité remarquable. Signalons aussi les engagements tenus par la mezzo-soprano Varduhi Abrahamyan, déguisée en homme tout au long du premier acte et au début du deuxième, dont la voix ample et feutrée, aux graves un brin trop cuivrés, contribue – accompagnée d'une présence scénique quasiment sans défaut – à nous restituer une incarnation toute de suggestion et de sensualité, en convainquant a priori dans les airs « guerriers ».
Chez les messieurs, on citera en premier lieu Philippe Jaroussky en Ruggiero, dont le timbre doux, lumineux (en particulier dans les aigus) et ravissant par la poésie de la cantilène, témoigne toutefois d'un certain manque de fluidité dans les ornements. Malgré cette réserve, le contre-ténor maîtrise son rôle du début jusqu'à la fin, en offrant d'abord un Ruggiero juvénile et – sous l'emprise de l'Alcina – un peu léthargique ; puis, suite au désabusement, un homme comique plutôt qu'un chevalier prêt à se battre pour sa bien-aimée. On se rappelle la scène où il se joint, dans le dernier acte, à un groupe de danseurs, tout en essayant d'imiter leurs poses et leurs mouvements, mais en le faisant d'une manière délibérément maladroite.
Enfin, parmi les rôles masculins, saluons la basse crémeuse, souple, majestueuse et profondément habitée au registre grave de Krzysztof Bączyk, dont la prestation nous fait regretter que Haendel n'ait pas confié plus d'airs au personnage de Melisso. Oronte est interprété par Christoph Strehl, dont la voix, dépourvue de densité, impressionne, cependant, par un timbre chaleureux et une palette de couleurs lumineuses.
De ce spectacle, on est déçu de quelques coupures, particulièrement la suppression du personnage d'Oberto, dont le rôle est insignifiant pour le déroulement de l'intrigue, mais embellit pourtant cet opéra en y apportant de la fraîcheur. Pour ce qui est de l'accompagnement orchestral, Emmanuelle Haïm, dirigeant pour la première fois Alcina – après l'avoir maintes fois accompagnée de son continuo dans les années 1990 – joue sur les contrastes musicaux et, en accord avec le drame, sur la théâtralité. Les chanteurs sont accompagnés avec attention et intelligence, encore que, dans certains passages, on aurait préféré avoir plus d'énergie, et, surtout pour les solos de violon et de violoncelle, plus de justesse.
Salués par un tonnerre d'applaudissements et une standing ovation dans un Théâtre des Champs-Élysées chauffé à blanc et plein à craquer, les interprètes ne quittent pas la scène pendant une bonne dizaine de minutes. Un grand bouquet de roses blanches jetées à Cecilia Bartoli par l'un des spectateurs témoigne de la satisfaction du public.
Crédits photographiques : © Vincent Pontet ; © Monika Rittershaus
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 18-III-2018. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Alcina, dramma per musica en trois actes sur un livret anonyme d’après l’Alcina delusa da Ruggiero (Alcine déjouée par Roger, 1725) d’Antonio Marchi, et / ou d’après L’isola di Alcina (L’Île d’Alcine, 1728) d’Antonio Fanzaglia, inspirés d’un épisode de l’Orlando furioso (Roland furieux, 1516), poème épique de l’Arioste. Mise en scène : Christof Loy. Chorégraphie : Thomas Wilhelm. Scénographie : Johannes Leiacker. Costumes : Ursula Renzenbrink. Lumières : Bernd Purkrabek. Avec : Cecilia Bartoli, Alcina ; Philippe Jaroussky, Ruggiero ; Julie Fuchs, Morgana ; Varduhi Abrahamyan, Bradamante ; Christoph Strehl, Oronte ; Krzysztof Bączyk, Melisso ; Barbara Goodman, Cupido. Orchestre et Chœur du Concert d’Astrée, direction : Emmanuelle Haïm
Toutes les voix sont absolument parfaites, merveilleuses, Haïm dirige si bien MAIS la mise en Scène est NULLE et nuit à l’écoute absolument … ! Vraiment dommage….