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Liège. Opéra Royal de Wallonie-Liège. 3-III-2018. Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871) : Le Domino noir, opéra-comique en trois actes sur un livret d’Eugène Scribe. Mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq. Décors : Laurent Peduzzi. Costumes : Vanessa Sannino. Lumières : Christian Pinaud. Chorégraphie : Glyslein Lefever. Avec : Anne-Catherine Gillet, Angèle de Olivarès ; Cyrille Dubois, Horace de Massarena ; Antoinette Dennefeld, Brigitte de San Lucar ; François Rougier, Comte Juliano ; Marie Lenormand, Jacinthe ; Laurent Kubla, Gil Perez ; Sylvia Bergé, Ursule ; Laurent Montel, Lord Elfort ; Tatiana Mamonov, La tourière ; Benoît Delvaux, Melchior. Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie (chef des chœurs : Pierre Iodice). Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, direction : Patrick Davin
Entendu plus de 1 200 fois entre 1837 et 1909 et ensuite quasiment disparu du répertoire, Le Domino noir d'Auber, ouvrage autrefois admiré de Berlioz, ressuscite enfin, servi par une mise en scène virtuose et une distribution éblouissante.
Que nos grandes scènes aient boudé les ouvrages lyriques d'Auber et de Scribe pendant de si nombreuses années paraît incroyable, au vu du succès remporté par cette récente coproduction entre l'Opéra Royal de Wallonie et l'Opéra-Comique. Sans doute le mérite revient-il essentiellement aux deux metteurs en scène, Valérie Lesort et Christian Hecq, lesquels ont su habilement adapter et transposer cette action rocambolesque, vaudeville fait d'une invraisemblable succession de quiproquos et de rebondissements, pour l'inscrire dans un univers à la Feydeau et à la Labiche dont on redécouvre aujourd'hui, d'une mise en scène à l'autre, l'impressionnante modernité. Aux costumes à la fois traditionnels et résolument loufoques de Vanessa Sannino, jouant sur d'incroyables couleurs, volumes et accessoires marionnettiques, correspondent les astucieux décors de Laurent Peduzzi, parfaitement différenciés d'un acte à l'autre : un corridor dans les appartements de la reine d'Espagne, que dominent d'imposantes aiguilles d'horloge, pour le premier acte ; au second, la salle de réception du comte Juliano, ornée d'un gigantesque sapin de Noël ; le parloir du couvent des Annonciades, décoré de fantasmagoriques gargouilles et autres statues mobiles, pour le troisième.
Dans cette scénographie à la fois conventionnelle et décalée évolue tout un petit monde en perte de valeurs, évoquant autant la bourgeoisie triomphante du Second Empire que l'aristocratie décadente de la fin de la Restauration, sans oublier le petit peuple incarné par Jacinthe et Gil Pérez, sans qui les grands de ce monde ne seraient rien. Car l'Espagne revisitée de Scribe et d'Auber n'est bien entendu que le reflet de la société française du dix-neuvième siècle, laquelle, dans ce perpétuel et vertigineux jeu de cache-cache, noie ses complexités, ses angoisses et ses contradictions dans une virevoltante quête de légèreté : à la fois un conte de fées – Cendrillon – et un roman gothique à la Henry James – on pense à The American, par exemple, et au sort de la belle Claire de Cintré condamnée au couvent par sa famille –, sans oublier le passage par les ressorts comiques des Mousquetaires au couvent de Varney… Dans un tel contexte gags, canulars et coups de théâtre s'enchaînent dans la plus grande virtuosité, délivrant ici et là des images follement déjantées – le cochon du deuxième acte, les attitudes de porc-épic de Lord Elfort, la queue de paon de Juliano, le chapeau d'Horace, l'inénarrable look de Jacinthe, etc. –, parfois empreintes d'une indicible beauté : la sonnerie des matines, les fameuses apparitions du Domino noir…
Le plateau, parfaitement maîtrisé, ne souffre d'aucune faiblesse grâce à l'implication des interprètes. Sur le plan scénique, on ne pourra pas manquer de mentionner l'impayable Jacinthe de Marie Lenormand ou le craquant Lord Elfort de Laurent Montel. Antoinette Dennefeld, François Rougier et Laurent Kubla font tous trois regretter que leur rôle ne soit pas plus développé sur le plan vocal. Impeccable de ligne, de phrasés et de diction – et avec des aigus de plus en plus rayonnants – Cyrille Dubois confirme toutes les affinités qu'il a avec un répertoire pour lequel il semble être né. C'est cependant sur les épaules d'Anne-Catherine Gillet, enfant de la maison, que repose l'essentiel de la partie musicale. Elle brille de tous les feux de son brillant soprano lyrique, à l'aise dans les trilles et les vocalises de ses airs, et capable également de puissance quand il faut donner de la voix. Sa belle allure et sa remarquable diction en font une des chanteuses francophones les plus complètes du moment.
Le chœur de la maison est assez peu sollicité mais parfaitement à son aise et l'Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie est emmené par un Patrick Davin qui, non content de ficeler des ensembles plus complexes qu'il n'en ont l'air, sait toujours trouver dans ses tempi l'allant et la fluidité qui conviennent pour donner tout son rythme à un spectacle qui ne compte aucun temps mort.
Crédit photographique : Cyrille Dubois et Anne-Catherine Gillet ; Anne-Catherine Gillet © Lorraine Wauters – Opéra Royal de Wallonie
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Liège. Opéra Royal de Wallonie-Liège. 3-III-2018. Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871) : Le Domino noir, opéra-comique en trois actes sur un livret d’Eugène Scribe. Mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq. Décors : Laurent Peduzzi. Costumes : Vanessa Sannino. Lumières : Christian Pinaud. Chorégraphie : Glyslein Lefever. Avec : Anne-Catherine Gillet, Angèle de Olivarès ; Cyrille Dubois, Horace de Massarena ; Antoinette Dennefeld, Brigitte de San Lucar ; François Rougier, Comte Juliano ; Marie Lenormand, Jacinthe ; Laurent Kubla, Gil Perez ; Sylvia Bergé, Ursule ; Laurent Montel, Lord Elfort ; Tatiana Mamonov, La tourière ; Benoît Delvaux, Melchior. Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie (chef des chœurs : Pierre Iodice). Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, direction : Patrick Davin